Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ICO
925


I


ICONOCLASTE n.et adj. (de eikôn, image, et klasein, briser). Signifie proprement briseur d’image. (L’appellation d’image s’appliquait, dès l’antiquité, à toutes les figures peintes ou sculptées). Il désigne particulièrement les personnes ou les sectes opposées à l’adoration des images et en poursuivant la destruction. L’iconoclastie appartient de ce fait à l’histoire des religions qui ont admis et pratiqué le culte des images et à toutes les manifestations qui en ont poursuivi, à travers le temps, les apparentements religiosâtres…

La loi de Moïse proscrivait, pour leurs réminiscences païennes, les hommages aux représentations de la divinité. Elle tentait ainsi d’atteindre toutes les dispersions dites idolâtres qui, du fétichisme au sabéisme et à leurs multiples dérivés, montaient jusqu’à l’anthropolâtrie et l’invocation des esprits. Les anathèmes et les injonctions du Décalogue visaient dans le polythéisme les formes qui, par leur épuration relative, menaçaient le plus l’unité nouvelle, risquaient, par, la confusion de pratiques similaires, d’amoindrir le prestige du Dieu révélé. On connaît le martyre du néophyte Polyeucte, soldat romain, qui, au iiie siècle, renversa en Arménie les idoles des dieux. Tirant de la légende de cet iconoclaste chrétien, une tragédie aux puissants caractères, Corneille, le premier, portera plus tard la religion sur le terrain profane du théâtre. Mais le christianisme ne va pas tarder à reprendre à son compte, voilées des prétextes du souvenir, les coutumes des religions polythéistes. La substitution des images sacrées aux figurations adverses nourrira maints épisodes de la guerre des suprématies. Et l’exaltation mystique, grandie dans le sang des arènes et des gibets, vouée par sa tension même à l’effondrement, y retrouvera des éléments précieux de longévité…

Le soutien du concret est un élément dont ne peuvent longtemps s’affranchir les plus ingénieuses constructions de la théogonie. La foi des peuples et l’enthousiasme des foules ont besoin d’étreindre l’objet de leur amour. Les croyants ne font d’incursions durables dans l’impalpable et l’abstrait qu’à travers les embrassements de la matière où s’incarnent leurs déités. Les souffrances du Dieu fait homme et les formes corporelles de sa résurrection ont, plus que toutes les mystiques paradisiaques, parlé à l’âme des éternels enfants de la terre. Si prometteur soit le séjour des extases, il ne peut flotter en délices imprécisions sur un fond fuyant d’immensité. De confuses ripailles bousculent en ondes plantureuses le lac trop lisse des contemplations infinies. Les inférences de la vie portent jusqu’au ciel les festins et les ruts, toute la sensualité païenne d’ici-bas. Et il faut sur la terre des temples et de l’encens, des statues et des flammes, des images et des voix. Ah ! Dieu est partout ! Mais le cœur des humbles le rendrait vite aux régions mortelles de l’ombre s’il ne pouvait sur les autels en dresser la chair fulgurante, suivre en chemins de croix les étapes saignantes du Golgotha, tâter sous la plastique des marbres le palpitement des béatitudes, par-delà les tableaux qu’un sobre nimbe idéalise, apercevoir le frémissement humain des bienheureux…

Dès le iiie siècle, les premiers chrétiens écartent l’anathème du Sinaï et retrouvent l’anthropomorphisme irré-

sistible du Fils de l’Homme et des martyrs. Gravie l’ère des persécutions, les maisons du Seigneur crient au firmament l’ardeur physique de leur attachement. Avides de porter au grand jour un prosélytisme à l’étroit sous les cryptes et d’aller « dans son temple adorer l’Éternel », ils y portent le Messie et les saints, compagnons voisinants, éloquentes images, jusqu’aux tables du sacrifice. L’Orient, berceau de la couleur et de l’extériorisation, souffrait plus que tout autre d’une subjectivité sans aliment, s’étiolait dans l’ascétisme du tabernacle intérieur. La contrainte écartée, il épanche en floraisons matérielles sa passion concentrée, prodigue les sculptures et les figurines, les tableaux et les icônes, répand les tons luxuriants de sa palette sur les saints enfin revivifiés, fond sous les effluves lumineux la glace des perpétuations éthérées… La galerie des douloureux canonisés répond en mirages chatoyants aux espérances des fidèles. Les horizons célestes se rapprochent et la main les frôle aux voûtes des églises. L’éternité enveloppe de chaude et tangible sollicitude les séjours provisoires hier encore désolés…

La profusion réaliste des objets de vénération finit par porter ombrage aux empereurs, ralliés davantage par politique que par conviction au christianisme envahissant. De Léon III partent les premières interdictions. L’ordre de « détruire les images dans tous les édifices sacrés ou profanes » va, pour plus d’un siècle, porter le trouble dans l’Église d’Orient, agiter de secousses sanglantes les temples décorés. Le surnom d’Iconoclaste flagelle — de père en fils — la tyrannie des persécuteurs. Du Saint-Synode, docile et apeuré, Constantin Copronyme obtient, en 754, la condamnation officielle des pratiques poursuivies. En 780, Irène, impératrice régnante, amorce la pacification, tend la main au Saint-Siège. Le deuxième concile œcuménique de Nicée, en 787, réhabilite le culte des images, en proclame la légitimité, distingue « les honneurs qu’il est convenable de leur rendre, du culte de latrie, réservé à Dieu seul ». Mais, avec plus ou moins de violence, le parti des iconoclastes étend jusqu’au milieu du ixe siècle son hostilité et ses destructions, que couvre souvent l’encouragement des empereurs. L’apaisement ne se fait qu’avec la régence de Théodora…

A Rome, le droit d’image, d’abord propre au patriciat, s’amplifie bientôt grâce à l’accession des ennoblis de la plèbe, aux magistratures curules. Les images — statues, bustes de cire peinte ou taillés dans le bois, le bronze ou le marbre — ornent l’atrium et participent à la pompe des cérémonies, se mêlent aux cortèges funéraires. De leur vivant, les images des empereurs sont honorées à l’égal de celles des divinités. Elles figurent sur les enseignes des légions, appellent des hommages tout religieux. Et les soldats chrétiens vont au martyre pour les avoir méprisées, pour s’être refusé à des devoirs qu’ils réservent aux attributs du Seigneur…

Au Moyen-âge, d’imposantes images continuent à décorer les palais et les édifices sacrés. Plus réduites, les images d’intérieur, devenues meublantes (images de la Vierge, du Christ et des saints patrons) cessent d’être l’apanage des manoirs seigneuriaux et des riches demeures bourgeoises. Elles président — grossières pro-