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Dans la société antique il y avait les maîtres et les esclaves ; ceux-ci étaient malmenés et frappés par leurs maîtres, et la Bible elle-même rapporte qu’un maître qui a frappé son esclave n’est pas répréhensible si celui-ci ne meurt pas dans les trois jours ; au Moyen-âge la société était composée des nobles seigneurs d’un côté, et d’autre part des serfs qui, attachés à la glèbe, étaient vendus avec la terre elle-même. Ceux-ci étaient plus malheureux encore que les esclaves, qu’il fallait acheter au marché pour une somme d’argent, et que la cupidité des maîtres empêchait de laisser mourir inutilement. Les serfs connaissaient la famine toute leur vie ; ils mangeaient des rayes à défaut de pain, en Limousin des châtaignes, et ils broutaient l’herbe quand ils n’avaient pas autre chose à se mettre sous la dent ; pendant ce temps, les nobles seigneurs faisaient ripaille dans leurs châteaux et faisaient danser les catins dorées dans les salons du Roi-Soleil.

Actuellement, c’est la société capitaliste, composée d’une poignée de bourgeois qui détiennent dans leurs mains toutes les richesses mondiales, et des innombrables légions de parias, de prolétaires qui ne possèdent rien ou peu de chose, quoique produisant tout par leur travail et dont les bénéfices sont accaparés en vue de ses fins par la classe régnante.

Aucune de ces associations n’a donc réalisé le but pour lequel l’homme s’est senti obligé de vivre dans la société de ses semblables pour être plus heureux ; au contraire, les masses humaines ont été bien plus malheureuses d’être obligées de vivre dans ces sociétés, que si elles eussent vécu dans l’isolement individuel ; et de plus, toutes ces sociétés basées sur de mauvais principes, les principes les plus antisociaux (propriété, autorité), ont exalté et développé dans le cœur des individus tous les mauvais penchants, tous les vices, toutes les passions qui déshonorent l’humanité et font un monstre de l’être humain. La société à laquelle aspire l’homme en vue d’augmenter son bonheur, n’a jamais encore été réalisée et ne le sera que lorsque l’humanité, parvenue enfin à l’usage de la raison et jouissant de tout son bon sens, aura le courage et la sagesse de chasser tous ceux qui se disent ses maîtres : bourgeois, gouvernants, parasites malfaisants qui la grugent et la martyrisent, et en prenant possession d’elle-même et du globe sur lequel elle vit, sans dieux ni maîtres, instaurera le règne du bon sens, de la raison et de la justice, et alors naîtra cette société parfaite basée sur la solidarité, l’équité, la raison et la fraternité universelle, la bonté, les sentiments d’humanité, c’est-à-dire sur tous les principes scientifiques qui constituent la vraie science sociologique, et qu’on appelle l’idéal libertaire ou anarchiste.

S’appuyant constamment sur les données acquises de la science, l’idéal anarchiste correspond à la plus puissante et la plus rationnelle organisation de la production tant agricole qu’industrielle, qui est indispensable pour pourvoir à tous les besoins matériels de l’humanité. Dans cet état social, le travail étant exécuté en commun, par tous les valides sans exception, et avec la machine dans la mesure du possible, on obtient le maximum de rendement avec le minimum d’effort personnel, ce qui donne le maximum de bien-être pour les travailleurs, bien-être qui ira toujours croissant, grâce au progrès scientifique constant.

Cette société future, cette société libertaire évoluera, grâce à la volonté de tous ses membres, vers un perfectionnement indéfini. Comme toute société, elle implique des obligations pour tous ses sociétaires ; mais ces obligations, ses devoirs sont très doux à remplir, puisqu’ils consistent à faire à ses semblables tout le bien dont on est capable, pour en recevoir en échange, du bien, de bons offices ; à les aimer et à vivre fraternellement avec eux. Dans cette société, tous les membres jouissent de toute cette liberté qui n’a de limite que la liberté d’autrui, de nos semblables, qui doit être aussi sacrée pour

chacun de nous que la nôtre propre. Dans cet état social, émanation de l’idéal anarchiste, l’être humain, sans distinction de personnes, vit intégralement sa vie matérielle, réalise toutes ses possibilités intellectuelles et morales. Ici, plus de parasites qui consomment sans rien produire, tous les valides à la besogne. Les infirmes, les enfants et les vieillards vivront des produits du travail de la collectivité. Le travail y est collectif, comme nous l’avons déjà dit, pour obtenir un plus grand rendement avec moins d’effort, mais la consommation y est familiale, chacun vit tranquillement chez soi. Chaque unité sociale, ou groupe social, commune ou soviet, peu importe le nom, tant agricole qu’industriel, doit comprendre un assez grand nombre d’habitants pour que les travaux de tout genre puissent être exécutés en temps opportun et convenable.

Nous n’avons pas besoin de dire que le principe nocif de la propriété individuelle n’est pas admis dans cette société, la propriété y est collective, tout appartient à tous, par conséquent les intérêts personnels de chacun se confondent avec ceux de tous ses semblables ; il n’y a plus aussi ni or ni argent, ni aucune espèce de monnaie ; tout cela a été remplacé par l’échange direct des produits, d’un groupe communal à l’autre, ou entre groupes agricoles et industriels, ou entre les diverses contrées qui composent la grande république universelle anarchiste. Toute société humaine digne de ce nom a pour obligation stricte d’assurer le développement intégral de toutes les facultés des individus qui la composent. La société anarchiste, plus que toute autre, s’acquittera entièrement de cette obligation, et les individus qui composeront cette société ne seront pas, comme le furent leurs vieux ancêtres, une population vouée à l’ignorance. Dans cette société future, l’instruction, la science, ne seront plus l’apanage d’une classe privilégiée ; l’École sera ouverte à tous les enfants du peuple, et tous pourront acquérir, en raison de leurs facultés, toutes les connaissances scientifiques, philosophiques, mathématiques, littéraires, etc., etc., l’École à tous les degrés d’enseignement sera pour tous. A dix-huit ans, ceux qui voudront apprendre une carrière dite libérale, médecin, pharmacien, vétérinaire, ingénieur, architecte, ingénieur-agronome, etc., etc., entreront dans les écoles spéciales préparatoires à ces professions. Les heureuses populations de ces temps-là seront suffisamment instruites pour vivre leur vie du cerveau, pour goûter à toutes les délices de la vie intellectuelle.

Les heureux composants de cette société y vivront également sans entraves leur vie sexuelle, assurée par liberté intégrale dont eux-mêmes et tout leur entourage peuvent user. Le mariage, cette monstrueuse institution de la société capitaliste, sera aboli. Dans cette société, où les intérêts pécuniaires seront inconnus, les âmes sœurs se rechercheront et lorsqu’elles se rencontreront, elles organiseront entre elles la vie commune. C’est là la constitution rationnelle de la famille anarchiste.

C’est ici le lieu de parler du crime passionnel ; il serait étonnant que parmi cette population instruite, consciente par conséquent, et jouissant de la plus entière liberté, il se trouvât des individus, assez irrespectueux de la liberté d’autrui pour user de violences à l’égard de leurs semblables. S’il s’en trouvait, les individus qui s’en rendraient coupables, seraient soignés, rééduqués dans des établissements appropriés, non plus enfermés dans les prisons où l’être achève de se dégrader.

Nous voici arrivés au moment de nous entretenir des sentiments affectifs de nos heureux sociétaires. Ces sentiments sont inconnus à nos bourgeois. Les institutions de la société capitaliste permettant le cumul des richesses personnelles, font naître en eux une cupidité et un égoïsme féroces qui les empêchent d’aimer autre chose que leur personne. Il n’en est pas de même des composants de notre société libertaire ; les sentiments affectifs