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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/322

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IDE
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occupent une place très large dans leur vie. Dans cette société, où ne comptent plus les intérêts pécuniaires, les unions des partenaires sexuels ne seront pas dictées par l’intérêt, mais seulement par leur attachement réciproque, par la similitude des pensées, des sentiments, des principes, etc., etc. D’un autre côté, l’attachement des parents pour leurs enfants sera aussi sans bornes, car dans cette société instruite de tout ce qu’elle doit savoir, il ne naîtra pas, ou que très peu, d’indésirables ; tous les enfants qui viendront au monde seront les enfants de l’amour, qui, de leur côté, auront pour les auteurs de leurs jours, la plus tendre, la plus vive affection, motivée par tous les bons soins dont ils seront constamment entourés. Et tous les rapports des hommes entre eux, dans cette société, seront empreints de la plus grande cordialité parce qu’ils seront basés sur les principes de la plus étroite solidarité. Chacun s’empressera de faire pour son prochain tout ce qu’il pourra pour lui être agréable et utile, et toutes les relations humaines seront empreintes de la plus franche cordialité, ce qui augmentera dans une très large mesure le bonheur de tous.

Dans cet état social, les cœurs sensibles et généreux ne seront jamais affligés par le triste spectacle de la misère et des privations, parce que l’organisation rationnelle et scientifique de la production permettra l’aisance pour tous ; alors les découvertes de plus en plus merveilleuses des savants ne seront plus employées à la destruction de l’humanité, comme cela a lieu dans la société capitaliste actuelle, mais exclusivement à augmenter son bien-être et son bonheur ; ils n’y seront jamais affligés non plus par le hideux spectacle de la souffrance infligée, même à nos animaux domestiques, qui seront partout et toujours humainement traités, et ces sentiments d’humanité doivent même s’étendre à tous les êtres sensibles, quels qu’ils soient, qui sont capables de souffrir.

Cet idéal anarchiste est la seule philosophie qui soit capable d’élever véritablement la mentalité humaine et permettre à l’être, doué par la nature d’intelligence et de raison, de réaliser le rôle qu’il doit jouer en ce monde.

Tel est l’idéal anarchiste ; sa réalisation permettra, seule, la libération intégrale de l’humanité. L’anarchie, c’est le soleil intellectuel dont les doux rayons éclaireront et réchaufferont le cœur des générations futures ; c’est le phare étincelant, à la lumière duquel l’humanité suivra la voie de sa libération intégrale. Dans son discours de Monflanquin (Lot-et-Garonne), M. Leygues, député et plusieurs fois ministre, disait à ses concitoyens assemblés autour de lui : « L’ennemi le plus dangereux pour les sociétés démocratiques, c’est l’Anarchie ». M. Leygues avait parfaitement raison ; toutes ces sociétés démocratiques, à formes plus ou moins diverses ; société capitaliste, républicaine ou monarchiste, suivant les nations, société soviétique, dite à tort communiste, société socialiste, toutes étatistes, toutes puissances de malfaisance sociale, sont appelées à disparaître et à laisser la place à la société anarchiste qui mettra fin à tous les privilèges, à l’exploitation de l’homme par l’homme, à toutes les coercitions autoritaires ; et qui sera le règne de la justice et de la raison et assurera à tous les êtres humains bien-être, bonheur et liberté.

Tel est l’idéal anarchiste. — P. Naugé (paysan anarchiste).


IDÉALISME n. m. Si nous prenons la définition philosophique du mot, nous voyons que « l’idéalisme est une doctrine qui nie la réalité individuelle des choses distinctes du « moi » et n’en admet que l’idée ». Cette doctrine fut soutenue avec retentissement par Emmanuel Kant dans ses ouvrages : « Critique de la Raison pure et Critique de la Raison pratique » ; « Poursuite de l’idéal dans les œuvres d’art ». Cette définition

ne laisse pas que d’être incomplète. L’idéalisme est cette force innée en beaucoup d’individus, qui les pousse à se tracer un idéal, puis à chercher à s’en rapprocher d’abord, à le réaliser enfin.

On a longtemps reproché aux anarchistes d’être des idéalistes ; on a dit que leurs doctrines étaient du pur idéalisme en opposition avec la réalité. En vérité, notre idéalisme est fait d’une certitude. Nous savons que tôt ou tard les hommes en viendront à comprendre que leur intérêt est de se passer de maîtres. Et si nous recherchons chaque jour à nous rapprocher davantage de notre idéal c’est parce que celui-ci est bâti sur la pleine raison.

On dit : « l’idéalisme d’un poète, d’un penseur, d’un chercheur » pour spécifier qu’il se détache des contingences et ne pense qu’à sa poésie, sa recherche ou sa pensée. L’idéalisme est pris, à ce moment-là, dans le sens de désintéressement, isolement des choses extérieures.

Pour nous, l’idéalisme, c’est la marche continue vers l’idéal de liberté et de fraternité : l’anarchie. Et cet idéalisme-là vaut mieux que le « réalisme » de ceux qui ne cherchent qu’à tirer parti de toutes les situations pour se tailler une part de profits.

IDÉALISME (et Matérialisme). On a mille fois constaté que les hommes avant d’arriver à la vérité, ou à ce qu’ils peuvent atteindre de vérité relative dans les divers moments de leur développement intellectuel et social, tombent habituellement dans les erreurs les plus diverses, regardant des choses tantôt une face, tantôt une autre, et passant ainsi d’une exagération à l’exagération opposée.

C’est un phénomène de ce genre et qui intéresse hautement toute la vie sociale contemporaine que je veux examiner ici.

Il y a quelques années, on était « matérialiste ». Au nom d’une science qui était la dogmatisation de principes généraux de principes déduits de connaissances positives trop incomplètes, on prétendait expliquer par les simples besoins matériels élémentaires toute la psychologie de l’humanité et toutes les vicissitudes de son histoire. Le « facteur économique » donnait la clef du passé, du présent et de l’avenir. Toutes les manifestations de la pensée et du sentiment, toutes les fluctuations de la vie : amour et haine, bonnes et mauvaises passions, condition de la femme, ambition, jalousie, orgueil de race, rapports de toute sorte entre individus et entre peuples, guerre et paix, soumission ou révolte des masses, constitutions diverses de la famille et de la société, régimes politiques, religion, morale, littérature, arts, sciences… tout n’était que la simple conséquence du mode de production et de répartition de la richesse et des instruments de travail prévalant à chaque époque.

Et ceux qui avaient une conception plus large et moins simpliste de la nature humaine et de l’histoire, étaient considérés, autant dans le camp conservateur que dans le camp subversif, comme des gens arriérés et à court de « science ».

Cette manière de voir influait naturellement sur la conduite pratique des partis et tendait à faire sacrifier tout idéal, même le plus noble, aux questions économiques, même de la plus minime importance.

Aujourd’hui, la mode a changé. Aujourd’hui, on est « idéaliste ». Chacun affecte de mépriser le « ventre » et considère l’homme comme s’il était un pur esprit pour qui, manger, se vêtir et satisfaire les besoins physiologiques sont choses négligeables dont il ne doit pas se préoccuper sous peine de déchéance morale.

Je n’entends pas m’occuper ici de ces sinistres farceurs pour qui « l’idéalisme » n’est qu’hypocrisie et instrument de tromperie : du capitaliste qui prêche aux ouvriers le sentiment du devoir et l’esprit de sacrifice,