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poinçons en acier ; à frapper des matrices et à fondre des lettres en métal. Ils affirment que Gutenberg, son collaborateur, lui déroba ses instruments et s’enfuit à Mayence où il passa pour être l’inventeur de l’art qui nous occupe. Les habitants de Strasbourg, de leur côté, revendiquent la paternité de l’invention pour leur concitoyen Jean Mentelin. Mais tout cela reste à prouver. L’ancienne tradition qui place le berceau de l’imprimerie en Chine, est aussi erronée. Certes, l’imprimerie tabellaire était connue dans cet empire dès le vie siècle, mais on sait que les types métalliques y furent introduits par les Européens. Par ailleurs, l’usage des planches en bois n’y est pas entièrement abandonné.

Aussitôt que le secret des inventeurs fut divulgué, une foule d’imprimeries se créèrent dans les grandes villes de l’Europe. En 1470, Gering, Crantz et Friburger, qui avaient travaillé chez Fust, commencèrent à imprimer dans le collège de la Sorbonne, à Paris. Il y avait dans cette ville, à la fin du xve siècle, deux cents établissements dont les produits, qualifiés d’incunables, attestaient le mérite de l’invention. Au début du xvie siècle, les Estienne, aidés du graveur célèbre Garamond, donnèrent des éditions remarquables. À cette époque, l’imprimerie était encouragée, et les maîtres imprimeurs jouissaient de privilèges, ce qui contribua à l’essor de l’invention. Malheureusement, un peu plus tard, François Ier, poussé par la Sorbonne, défendit, le 13 janvier 1533, d’imprimer sous peine de la hart. Cet édit stupide fut rapporté ensuite et il n’en resta d’autre souvenir que celui de « proscripteur de l’Imprimerie » donné au roi par quelques historiens. Il faut ajouter aux méfaits de ce roi la barbare exécution de l’érudit imprimeur Etienne Dolet, accusé d’athéisme. Sous les régimes qui suivirent, on continua de fouetter, de pendre, de brûler vifs les imprimeurs accusés d’avoir propagé quelque hérésie.

Au xviiie siècle, l’art typographique fut illustré en France par les Didot, les Barbou, les Crapelet.

En Italie, Rome, Venise, Milan et d’autres villes s’empressèrent d’accueillir l’art dont la naissance venait d’étonner l’Europe et qui devait contribuer à répandre les immortels chefs-d’œuvre de Dante, de Pétrarque et de Boccace. En 1460, Nicolas Jenson, à Venise, grava le caractère dit romain, qui devait remplacer le caractère « gothique », en usage au début de l’imprimerie. Dans la même ville, Alde Manuce grava le caractère aldin, ou italique. Parmi les imprimeurs les plus connus de l’Italie, il faut citer, à la fin du xviiie siècle, Bodoni, imprimeur de Parme.

Les éditions hollandaises eurent aussi une grande célébrité au cours des xvie et xviie siècle. Citons parmi les typographes les plus réputés : Christophe Plantin, établi à Anvers en 1560, à qui Philippe II d’Espagne décerna le titre d’archi-imprimeur, et, plus tard, les Elzévir.

En Angleterre, l’art typographique est resté longtemps stationnaire. L’imprimeur le plus connu fut Baskerville, au milieu du xviiie siècle. L’Espagne reçut la première presse en 1474, mais elle n’a guère produit d’éditions dignes de retenir l’attention, à part celles d’Ibarra au xviiie siècle. Ce fut cent ans seulement après son invention que l’imprimerie pénétra en Russie ; la fabrication des livres y rencontra du reste une foule d’obstacles, cette nation étant alors plongée dans l’ignorance et la barbarie.

La machine à papier continu et la stéréotypie, deux inventions des Didot, ont fait de l’imprimerie une puissance sans rivale. Les perfectionnements des presses mécaniques ont permis à cette industrie de diriger absolument la pensée universelle par le livre et par le journal. Il n’existe plus, à l’heure actuelle, que quelques contrées barbares où elle n’a pu pénétrer et porter le germe, de la civilisation.

Technique. — Dans son sens général, l’imprimerie comprend la lithographie (ou impression sur pierre) et la typographie, qui est le procédé de reproduction graphique le plus employé et que nous nous bornerons à traiter ici. Elle comprend la composition et l’impression. Le compositeur manie des caractères mobiles qu’il prend dans une casse munie de cassetins correspondant aux lettres et signes. Il assemble ces caractères enlignés dans un outil appelé composteur et réunit ensuite les lignes en paquets. La composition manuelle est de plus en plus remplacée par la composition mécanique, tout au moins en ce qui concerne le journal et le livre. On utilise des machines munies d’un clavier comme la machine à écrire et d’un creuset destiné à fondre le plomb.

Dans la linotype, la plus répandue de ces machines, un seul opérateur suffit pour composer, clicher les lignes et distribuer. Les paquets étant composés, on en fait une première épreuve destinée à la lecture par le correcteur. Après correction, le metteur en pages dispose les paquets sur une longueur déterminée, ce qui forme les pages ; celles-ci sont ensuite mises en châssis, c’est-à-dire imposées dans l’ordre convenable pour l’impression.

L’impression a pour objet de transposer l’empreinte des lettres ou des clichés sur le papier. Le tirage est précédé de la mise en train pour régulariser le foulage et l’encrage. Quand on a obtenu une « bonne feuille » on tire le nombre d’exemplaires voulus et, ensuite, on distribue le caractère mobile ou en envoie à la refonte les lignes, s’il s’agit de composition mécanique.

L’impression avait lieu autrefois au moyen de la presse à bras. Celle de Gutenberg et de ses successeurs immédiats était en bois et fonctionnait au-moyen d’une vis verticale comme celle d’un pressoir. Elle a été remplacée par les presses avec marbre et platine en fonte, puis simplifiée par l’Anglais Stanhope vers 1800.

Le rouleau typographique, inventé en 1810, remplaça les balles en usage jusque-là. Il contribua, dans une large mesure, au développement de l’impression mécanique. L’ingénieuse machine de l’Allemand Kœnig conçue au début du xixe siècle, acquérait une vitesse moyenne de 700 feuilles à l’heure, ce qui semblait fantastique à l’époque. Par la suite, les presses se perfectionnèrent. Des machines en blanc et des machines à retiration, on passa aux rotatives qui impriment sur des clichés cylindriques et qui fournissent en quelques heures des centaines de mille de journaux.

Législation. — À l’origine de l’imprimerie, l’Université, composée exclusivement d’ecclésiastiques, exerçait un contrôle rigoureux sur l’imprimerie. Suivant un édit de Henri II (1555), aucun ouvrage ne pouvait être imprimé sans l’autorisation de la Sorbonne, et ce, sous peine de mort contre l’imprimeur, le libraire ou le distributeur. La peine de mort fut remplacée en 1728 par le carcan et les galères. Plus tard, l’Assemblée Constituante, par un décret du 17 mars 1791, accorda la liberté à l’imprimerie comme elle l’avait accordée au commerce et à l’industrie. Mais des restrictions furent apportées à nouveau par le décret du 5 février 1810 qui limita le nombre des imprimeurs pour Paris à 60, puis ensuite à 80. Le Ministre de l’Intérieur était libre d’accorder ou de refuser les brevets. Il pratiquait d’une façon abusive le droit de censure. En 1813 et 1814, la surveillance devint encore plus rigoureuse et la loi du 21 octobre 1814 supprima un grand nombre d’imprimeries. La Restauration, à son tour, ne manqua pas de persécuter les imprimeurs et retira les brevets de Paul Dupont et Constant Champie, deux des plus forts imprimeurs de la capitale. Firmin Didot et Benjamin Constant s’élevèrent avec vigueur contre un tel état de choses qui ramenait l’imprimerie aux plus mauvais jours de François Ier.

La législation ne fut guère modifiée par la suite. Le