par millions d’exemplaires les rêves des poètes, les méditations des philosophes, toutes ces productions du génie humain qui font les délices et la consolation des lettrés, qui peuplent la solitude et remplissent de voix le silence du liseur enfermé dans son cabinet de travail, qui charment, exaltent et inspirent les nouveaux venus du monde intellectuel. Elle a mis à la portée de tous, en popularisant les œuvres d’art, des jouissances qui semblaient l’apanage d’une petite aristocratie.
« Sur le présent, l’Imprimerie exerce une influence tout aussi considérable. Elle est la grande informatrice ; elle donne des ailes à la pensée ; elle est, comme disait Sieyès, pour l’immensité de l’espace ce qu’était la voix de l’orateur sur les places publiques d’Athènes et de Rome ; elle porte la parole humaine par-dessus les montagnes et les mers jusqu’aux confins de la planète. Puis elle incite au savoir et elle le facilite ; elle a de toutes parts fait surgir les écoles. Elle transfigure la bête à deux pieds que fut l’homme primitif en un être de plus en plus cérébral ; elle tend à faire prédominer l’intelligence sur la force brutale, le pouvoir de la raison sur celui des épées. Mais surtout elle est créatrice de l’avenir. Elle est une semeuse d’idées et d’aspirations nouvelles. Sans son aide, Luther eût été brûlé comme le fut Jean Hus, la Révolution française n’eût été qu’un feu de paille. N’est-ce pas Rivarol qui, frappé de sa puissance combative, la dénommait : l’artillerie de la pensée ?
« … Elle est un instrument de progrès indéfini qui peut sans doute être détourné de sa véritable et bienfaisante fonction mais qui, manié comme il faut, a produit et produira encore de quoi réjouir, consoler et guider les hommes, de quoi les rendre plus maîtres de la nature et d’eux-mêmes, plus justes, plus heureux et meilleurs. »
C’est bien là notre désir le plus cher et aussi notre espoir le plus vif. Il ne faut pas que l’Imprimerie demeure ce qu’elle est : le meilleur instrument de conservation sociale mis au service des gouvernants. L’État qui, en réalité, détient le monopole de l’enseignement, éduque les enfants au moyen de livres appropriés, et le Capital, qui détient le monopole de la presse, inculque à la foule les préceptes propres à la domestiquer. Ainsi que l’a fort bien dit Voltaire : « C’est un grand inconvénient attaché au bel art de l’imprimerie que cette facilité malheureuse de publier les impostures et les calomnies. »
Quoi qu’il en soit, nous faisons confiance à l’avenir. L’imprimerie est dans une faible mesure au service du peuple ; elle le deviendra tout à fait. Après avoir contribué à obscurcir les cerveaux en répandant les absurdités théologiques, après avoir servi les forces de régression sociale, elle apportera la lumière aux générations futures et, suivant le mot de Sieyès, changera la face du monde.
Historique. — L’Imprimerie qui a le plus contribué à fixer les faits de l’Histoire, est restée entourée de mystère, quant à ses origines. Les érudits ne sont d’accord ni sur la date, ni sur le lieu, ni sur l’auteur de cette découverte, et nous en sommes encore à chercher la solution de ce triple problème. Ce qui est certain, c’est que cette invention est intimement liée à la xylographie ou gravure sur bois, en usage chez les Chinois dès le vie siècle et introduite en France au xiie siècle. Les cartes à jouer reproduites par ce procédé furent inventées vers l’an 1376 et furent gravées en Allemagne vers l’an 1400. La plus ancienne gravure sur bois, accompagnée de texte, et qui ait une date, est celle d’une image de saint Christophe. Elle est datée de 1423. De la même époque, et gravés par le même procédé, citons les célèbres donats ou livres de grammaire, et la fameuse Bible des pauvres, dont un exemplaire se trouve à la Bibliothèque Nationale.
On fait remonter la naissance de l’imprimerie vers la moitié du xve siècle. Si nous nous reportons à la majorité des bibliographes qui, jusqu’à ce jour, ont cherché à faire la lumière sur cette énigme, voici quelle est la thèse généralement admise :
Vers l’an 1437, Jean Gensfleich, ou Gutenberg, originaire de Mayence et vivant à Strasbourg, imagina de substituer au travail long, dispendieux et souvent imparfait des scribes et des copistes, un procédé mécanique qui permît de multiplier à l’infini les copies d’un ouvrage. S’inspirant de la xylographie déjà répandue à l’époque, il entreprit de graver sur des planches de bois des lettres en relief qui, enduites d’une encre spéciale et mises en contact avec une feuille de papier, devaient produire une empreinte analogue à celle de l’écriture.
Les premiers essais épuisèrent rapidement ses ressources pécuniaires. Il dut chercher un collaborateur. En 1444, il quitta Strasbourg et se rendit à Mayence. Là il s’associa avec l’orfèvre Jean Fust. Celui-ci, frappé de l’imperfection des planches gravées par Gutenberg, conçut l’idée d’en composer avec des lettres isolées dont la combinaison variable pût assurer une application infinie. Malheureusement, le bois, qui était la substance de ces caractères, n’avait pas la solidité et la régularité nécessaires pour permettre une grande reproduction d’ouvrages. Gutenberg et Fust imaginèrent alors de faire des types métalliques. Pierre Schaeffer, domestique de Fust, fut chargé de graver des poinçons en relief avec lesquels il frappa des matrices. Ces matrices, ajustées dans des moules en fer, servirent à la fonte des caractères, composés d’un alliage à base de plomb. Grâce à ce procédé, Gutenberg et Fust réussirent à faire une Bible latine, dite Bible de 1450, dont la Bibliothèque Nationale possède deux exemplaires.
En résumé, trois périodes marquent les débuts de l’invention : 1° la gravure des planches fixes, inspirée de la xylographie ; 2° la gravure des types en bois mobiles pour en généraliser l’emploi ; 3° la gravure du poinçon et la confection du moule qui multiplient les lettres de métal à l’infini avec une rigoureuse identité. C’est, en réalité, de cette période que date l’imprimerie proprement dite. Il n’y avait eu, jusque-là, que les « informes essais des cartes à jouer, puis des images avec légendes, puis des donais imprimés d’abord sur des tables de bois, puis sur des lettres de bois mobiles, puis en caractères de métal, soit sculptés sur pièce, soit retouchés au burin après avoir été coulés » (A.-F. Didot).
La découverte de Gutenberg, Fust et Schaeffer n’acquit de la publicité que quelques années plus tard. Ils réussirent pendant quelque temps à vendre comme manuscrits ce qui n’était qu’une contrefaçon, mais leur secret fut divulgué par les personnes de leur entourage. L’association ne dura pas longtemps. Fust se rendit en 1462 à Paris pour y vendre sa Bible imprimée avec Schaeffer. Il la vendit d’abord au prix des manuscrits, puis finit par la vendre au vingtième de sa valeur primitive. A la surprise, succéda la fureur dans le camp des copistes et des enlumineurs. L’ignorance de ce temps fit croire à un sortilège. On accusa Fust de magie et il fut conduit en prison, mais Louis XI lui rendit la liberté à condition qu’il fit connaître les moyens employés pour reproduire dans une telle proportion les copies d’un même livre.
Nous avons noté, dans les lignes qui précèdent, les faits les plus vraisemblables quant à l’origine de l’imprimerie, mais d’autres villes et d’autres auteurs revendiquèrent la gloire de cette invention. Les Hollandais prétendent que Laurent-Jean Coster, de Harlem, inventa l’imprimerie vers 1430, qu’il se servit d’abord des planches fixes en bois et qu’il se mit ensuite à tailler des