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livre sont devenus d’une circulation si aisée que nulle interdiction ne peut empêcher l’examen des bases de la religion. Déjà l’incroyance a atteint toutes les classes de la société, et même dans le monde catholique, on passe outre aux lois de l’Index.


INDIGENCE n. f. (du latin indigentia). Manque des choses indispensables à la vie. La personne qui manque souvent des premiers biens est qualifiée d’indigente. L’indigence est donc le contraire de l’opulence. C’est par rapport aux riches qui jouissent non seulement du nécessaire, mais encore du superflu, que l’indigence est regrettable socialement. Indigence est synonyme de misère, de dénuement. C’est malheureusement le lot (trouvé dans le berceau) d’un nombre important de personnes, contraintes à souffrir dans la pauvreté, si bonne soit leur intention de sortir de cette situation par le travail. L’organisation sociale dans laquelle les déshérités sont obligés de se mouvoir, est créatrice d’indigence. Il ne suffit pas, dans la société actuelle, aux pauvres gens de vouloir travailler pour pouvoir le faire ; de même qu’il ne suffit pas de travailler pour recevoir l’intégralité du produit de son travail. Le travail engendre bien toutes les richesses, mais il n’attribue pas, du fait de l’organisation de la propriété et d’une mauvaise éducation, la propriété des produits du travail à qui les a créés. Dans une société rationnelle l’indigence ne saurait exister.

Au figuré, on considère comme indigente la personne dont l’esprit manque de lucidité. — E. S.


INDIGÈNE adj. (du latin indigena ; de indi ou endu, à l’intérieur, dans le pays ; et de gena, né ; de l’inusité geno, j’engendre, qui se rapporte à la racine sanscrite gan, engendrer, produire). Qui est originaire du pays, de la contrée ; qui lui est exclusivement propre. Plante indigène ; production indigène. Subst., personne originaire du pays : « Les indigènes de l’Amérique ».

Les migrations périodiques des peuples nomades ; les migrations accidentelles de populations fuyant devant la famine ou les cataclysmes naturels ; les guerres de toute sorte ; les colonisations ; le commerce, etc., ont sans cesse créé des échanges de populations, des mélanges de races, aussi est-il à peu près impossible à l’heure actuelle, de déterminer scientifiquement le degré réel d’indigénat d’un individu.

L’indigène est donc chose tout à fait relative. On entend bien qu’un Français est indigène de France, un Espagnol d’Espagne, un Algérien d’Algérie, etc., mais cela ne correspond à la réalité que conventionnellement, administrativement. Envahie par vingt peuplades qui ont séjourné plus ou moins longtemps sur son sol, s’y sont même fixées, la France, par exemple, ne saurait prétendre que ses habitants sont des indigènes. Pas plus que l’Espagne d’ailleurs, que les Juifs et les Arabes ont habité plusieurs siècles ; ou que les États-Unis d’Amérique, presque entièrement peuplés d’émigrants des cinq parties du monde.

Mais les États entretiennent soigneusement les préjugés relatifs au patriotisme, dont la base est l’indigénat. Il nous faut dénoncer sans relâche, le mensonge de l’unité native des peuples, des races, afin qu’il n’y ait plus sur terre que des indigènes du monde. — A. Lapeyre.


INDISCIPLINE n. f. (du latin indisciplina). Est le manque de discipline. La signification de ces deux mots a été profondément modifiée pour arriver à celle qu’on lui donne communément aujourd’hui. Ils viennent du latin : disciplina et indisciplina, produits par discere qui voulait dire : apprendre, et se rapportait à l’instruction.

Le véritable sens de discipline est : « instruction qui

se transmet » (Bescherelle). C’est l’enseignement, l’éducation, l’étude, ce qui forme la connaissance, donne à l’activité humaine une direction intelligente, éclairée. Le manque de discipline, ou indiscipline, est l’ignorance, l’obéissance aux préjugés, la marche aveugle à travers les chausse-trapes de la sottise. On lit dans Oresme : « Et aussi le gieu du bien discipliné (instruit) diffère du gieu de celui qui est indiscipliné ». Le disciple était celui qui suivait la direction, la discipline, de celui qui l’avait instruit ou de l’enseignement qu’il avait reçu.

Tout cela s’est modifié et fait que tout le monde ne parle plus la même langue en matière de discipline et de son contraire l’indiscipline. Peu à peu le disciple devint celui qui se plaça sous l’autorité d’un maître ou d’un enseignement sans jamais les avoir connus. C’est ainsi qu’on a vu tant de disciples dénaturer et ridiculiser, en prétendant les défendre, des idées et des hommes qu’ils n’avaient jamais compris. L’ignorance du disciple incita le maître à pontifier et à se montrer de plus en plus tyrannique. La discipline, perdant son caractère d’enseignement, devint la règle, la loi qui exige l’obéissance passive.

C’est au christianisme que l’on doit cette transformation. Les disciples du Christ, jusqu’à saint Paul qui établit la doctrine de l’Église, furent des ignorants admirant et suivant leur Maître de confiance. L’Église, en formulant des dogmes de plus en plus impénétrables à l’esprit humain, créa cette discipline de la foi qui consiste à croire d’autant plus fortement qu’on comprend moins ce qu’on croit, et qui aboutit à l’obéissance perinde ac cadaver des jésuites. La discipline, direction intelligente d’après la connaissance, devenait la discipline, soumission aveugle dans un renoncement de l’intelligence qui allait jusqu’à la mort. La même discipline s’établit pour le guerrier avec la formation des armées permanentes. Elle fut le corollaire de la discipline religieuse. L’homme qui, comme chrétien, devait obéir aveuglément en toutes circonstances, ne pouvait qu’obéir aussi à la guerre où, si souvent la religion menait la danse ; et il ne pouvait qu’obéir aussi de la même façon aux lois civiles établies par un pouvoir émanant de la puissance divine. De là cette discipline érigée en commandement formel, sans réplique, et la soumission totale avec l’obéissance sans discussion. De là aussi, la réaction inévitable, l’antidote du poison : l’indiscipline devenant bonne contre une discipline devenue mauvaise.

La discipline, sous la forme de l’instruction, est nécessaire à l’homme. Il faut, pour que ces efforts ne soient pas inutiles, que son temps ne soit pas perdu, qu’il ait une méthode de travail et de vie. Il la trouve dans une discipline librement choisie et acceptée, qui ne s’applique pas seulement à sa vie privée mais aussi à ses rapports avec ses semblables. Cette discipline est, suivant les circonstances, d’ordre moral on d’ordre pratique ; elle envisage toutes les formes de la collaboration, de la coopération, de la solidarité sociale ; elle est l’adhésion à tout ce que l’homme raisonnable juge bon et accepte pour la conduite de sa vie et elle lui est d’autant plus nécessaire et favorable qu’elle lui permet d’avoir des relations plus harmonieuses avec les autres hommes. Aussi, comprend-on l’indiscipline quand cette discipline n’existe pas.

Non seulement l’indiscipline éclate inévitablement sous l’effet de la contrainte, mais elle est une nécessité vitale dans une société où la raison de l’individu, le libre choix de ses directions, sont de plus en plus annihilés par la discipline collective. L’indiscipline, c’est-à-dire la rébellion contre les contraintes qui ne respectent pas les droits de l’individu, est comme l’insurrection, lorsque le gouvernement viole les droits du peuple : « le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » (Déclaration des Droits de l’Homme, de 1793, article 35). Il n’y a de discipline véritable que celle qui