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tout un cortège de basses passions et de vilenies. Intrigants, solliciteurs, flagorneurs, parasites de toutes les espèces s’accrochent à elle comme les poux aux crinières sales pour importuner ceux qui la possèdent. Ceux-ci, d’ailleurs, ne trouvent là que ce qu’ils ont cherché. Ils espéraient sans doute que le cortège serait plus brillant ; mauvais psychologues, ils n’ont pas compris que la fortune est comme la plus belle fille du monde et ne peut donner que ce qu’elle a, souvent bien peu de choses.

Plutôt que de donner l’indépendance et le bonheur, la fortune les supprime. Elle crée des sujétions de plus en plus tyranniques, d’abord pour l’acquérir, ensuite pour la conserver et l’augmenter. Elle ne peut donner l’indépendance à qui ne la porte pas en lui. Si l’homme fortuné échappe aux soucis matériels, il est parfois dans une dépendance plus lamentable par son hérédité, son éducation, son milieu. Il y a quelque chose de vrai dans cette opinion de M. Paul Bourget que « la souffrance des riches dépasse en intensité celle des pauvres ». Leur souffrance est aggravée de la déception qu’ils éprouvent en constatant que le bonheur ne s’achète pas plus que la santé, l’amour et l’amitié. Une telle souffrance n’est pas précisément signe d’indépendance. S’il échappe au joug du salariat, l’homme riche est l’esclave de la complexité de ses passions. Il n’y a qu’à lire tous les jours les faits-divers des journaux, racontant les turpitudes où la fortune plonge tant de ceux qui la possèdent, pour voir tout ce qu’il y a de faux flans la prétendue indépendance qu’elle leur procure.

Évidemment, dans une société où tous les rapports sont basés sur la puissance de l’argent — une autre est possible, heureusement ! — la fortune est une garantie d’indépendance matérielle ; mais quelles longues et basses servitudes, négatrices de toute indépendance, n’exige-t-elle pas pour l’acquérir ? Seul, le « gros lot » qui échoit par un hasard quelconque, est susceptible de créer une indépendance enviable s’il favorise un homme intelligent, actif, scrupuleux, à qui il donne le moyen de s’occuper suivant ses goûts. Mais pour un de ces hommes intelligents, combien de sots, d’orgueilleux, de malfaiteurs et de maniaques plus ou moins dangereux pour qui la fortune n’est que le moyen de satisfaire de folles ambitions, d’assouvir de malpropres passions, et dont l’indépendance ne se manifeste que dans une licence vile et déshonorante ! Et encore, si pure que soit l’origine et si bon que soit l’usage de la fortune, elle établit toujours, entre celui qui la possède et le désordre social, une solidarité compromettante pour un homme véritablement indépendant.

Certes, nous n’avons pas à repousser la fortune si elle se présente. Comme le chantait Béranger :

    « La richesse, que des frondeurs
    Dédaignent, et pour cause,
    Quand elle vient sans les grandeurs,
    Est bonne à quelque chose. »

Mais ce n’est pas parce qu’elle nous échoira qu’elle sera bonne ; elle ne vaudra que par l’usage que nous en ferons et elle ne nous apportera une véritable indépendance que tout autant qu’elle ne nous mettra pas sous le pouvoir de la sottise dont elle s accompagne le plus souvent.

La vérité est du côté de Bossuet disant:« Il n’y rien de plus libre et de plus indépendant qu’un homme qui sait vivre de peu ». Doctrine d’humiliation, de résignation ricanent certains. — Non, doctrine de sagesse qui, si Bossuet l’avait suivie, n’aurait pas fait de lui un des plus bas flagorneurs de Louis XIV. Doctrine qui fit un Diogène indépendant d’un Alexandre, lui permettant, dans son dénuement, de mépriser l’orgueilleux despote qui venait mendier son admiration et, à qui il ne demanda que de se lever de son soleil. Ce jour-là, moins que jamais, Diogène ne trouva l’homme qu’il cherchait.

La fortune ne peut échoir qu’à un certain nombre de privilégiés, profiteurs de l’exploitation humaine. Il ne peut y avoir des riches que parce qu’il y a des pauvres sur lesquels ils exercent leur violence. L’indépendance que procure la fortune a pour corollaire la dépendance de ceux qui la produisent. Et voilà tout ce que des économistes bourgeois, qui prétendent former l’élite des hommes, viennent nous proposer comme le seul moyen d’indépendance !…

Pour le groupe humain, l’indépendance est dans la liberté d’association des individus suivant leurs besoins communs et les possibilités de satisfaire ces besoins, tant matériels qu’intellectuels et moraux. Là encore, l’état de violence et d’iniquité, le droit du plus fort et les exigences de la sottise se sont imposés. La guerre a placé des groupes sous la dépendance d’autres groupes comme la loi du groupe s’est imposée à l’individu. Peu à peu s’est établie pour les groupes une indépendance factice, conventionnelle, appelée « nationale ». L’indépendance propre à chaque groupe a été absorbée comme celle de l’individu par l’agglomération successive dans la famille, le village, la région, le pays, au point de se confondre aujourd’hui dans celle des populations des grands États.

Les peuples ont souvent lutté pour leur indépendance, surtout au début de leur existence. Ils n’ont réussi qu’à changer les formes de leur dépendance. Plus ou moins brutalement, les plus forts ont absorbé les plus faibles et il en continue toujours ainsi. Les principes du droit international ne disent-ils pas qu’il y a des États souverains, d’autres mi-souverains, et d’autres que « les intérêts de communauté internationale » permettent de tenir complètement en tutelle ? Avec de tels principes on justifie toutes les violences. La raison des plus forts continue à être la meilleure, et ce ne sont pas les hypocrites assemblées des rhéteurs réunis dans ce qu’on appelle la « Société des Nations » qui y changeront quelque chose. On l’a vu à la façon dont l’indépendance des petites nationalités a été respectée à la suite de la Guerre du Droit et de la Civilisation; on le voit au Maroc, en Syrie, au Nicaragua, en Chine et ailleurs.

Seuls des hommes indépendants pourront former des peuples indépendants, quand la violence n’imposera plus des groupements arbitraires, quand les individus s’associeront suivant leurs besoins, leurs affinités, en dehors de toute dépendance qui n’aura pas été librement acceptée. Alors, il n’y aura plus de patries jalouses et sanguinaires, enfermées dans des frontières, et on pourra voir une immense Fédération où chacun sera indépendant dans l’indépendance de tous. — Édouard Rothen.


INDEX n. m. (m. lat. signifiant:indicateur; de in : vers, et dicere : dire). Doigt le plus proche du pouce, appelé aussi : indicateur. Table alphabétique des matières d’un livre. Catalogue de livres dont l’autorité pontificale défend la lecture (Index librorum prohibitorum). C’est une liste officielle des ouvrages prohibés par l’Église catholique, publiée régulièrement à Rome. Elle est établie par la « Congrégation de l’Index », composée de cardinaux assistés de « consulteurs ». Pour les ouvrages mis à « l’index expurgatoire », la prohibition est retirée après correction. De nombreuses et sévères censures étaient prononcées autrefois contre ceux qui enfreignaient les lois de l’Index. Le pape Pie IX les a réduites à deux : une excommunication générale contre tous ceux qui traitaient les choses sacrées sans l’approbation de l’évêque du diocèse, et une excommunication spécialement réservée au souverain pontife contre les lecteurs de livres prohibés.

Le fonctionnement de l’Index s’explique parfaitement par la nécessité constante de défendre le Dogme contre le libre-examen. Mais en notre époque, le journal et le