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de la même façon. Je pense que c’est sous des aspects différents que le communisme s’y manifestera. Ne peut-il arriver que je m’en fatigue et que j’éprouve le désir d’isolement relatif — d’individualisme ? Je me tournerai alors vers l’une des nombreuses formes d’individualisme à « échange égal ». Peut-être se rattachera-t-on à telle forme dans sa jeunesse et à telle autre dans son âge mûr. Les producteurs moyens pourront continuer à travailler dans leurs groupes ; les producteurs plus habiles pourront perdre patience et vouloir ne plus travailler en compagnie de commençants — a moins qu’un tempérament très altruiste leur fasse trouver du plaisir à œuvrer comme instituteurs ou conseillers des plus jeunes. Pour ma part, je présume que, pour commencer, je ferai du communisme avec mes amis et de l’individualisme avec les autres et c’est d’après mes expériences que je réglerai ma vie ultérieure.

Faculté de passer facilement et librement d’une variété de communisme a une autre, puis à n’importe quelle variété de l’individualisme — tels seraient le trait essentiel, la caractéristique d’une société réellement libre. Et si un groupe d’hommes tentaient de s’y opposer, essayaient de faire prédominer un système particulier, ils seraient aussi âprement combattus que le régime actuel l’est par les révolutionnaires.

Pourquoi dans ce cas, partager l’anarchisme en deux camps hostiles : communistes et individualistes ? J’en rends responsable l’élément d’imperfection, inhérent à la nature humaine. Il est absolument naturel que le communisme plaise davantage à ceux-ci et que l’individualisme plaise davantage à ceux-là. Partant de là, chaque camp a développé ses hypothèses économiques avec beaucoup d’ardeur et une conviction acharnée ; puis, stimulé par l’opposition du camp d’en face, en est venu à considérer son hypothèse comme la solution unique et à y demeurer fermement attaché en face de toutes les objections. De là vient que les théories individualistes après un siècle, les théories communistes ou collectivistes après un demi-siècle environ, ont assumé une fixité, une certitude, une permanence apparentes qu’ils n’auraient jamais dû atteindre, car la stagnation — voilà le mot — est le tombeau du progrès. C’est à peine si un effort a été tenté pour concilier les différences d’école. Les deux tendances ont donc eu toute latitude pour croître et s’embellir, pour se généraliser !

Et tout, cela avec quel résultat ? Aucune des deux tendances n’a pu vaincre l’autre. Partout ou se rencontrent des communistes, de leur milieu surgissent des individualistes ; et, jusqu’ici nulle vague individualiste n’a réussi à submerger la forteresse communiste. Tandis que l’aversion ou l’inimitié règnent entre des êtres tellement rapprochés les uns des autres intellectuellement, nous voyons le communisme anarchiste s’effacer devant le syndicalisme, ne redoutant plus de se compromettre en plus ou moins, acceptant la solution syndicaliste comme un stade intermédiaire presque inévitable. D’autre part, nous voyons les individualistes retomber dans les errements bourgeois ou presque.

Et cela alors que les méfaits de l’autorité et l’accroissement des empiètemente de l’État n’ont jamais fourni occasion plus propice et sphère d’action plus vaste à une propagande foncièrement anarchiste et pure de tout alliage.

Je ne prétends pas combattre — que ceci soit bien entendu — ni le communisme ni l’individualisme. Pour ma part, je vois beaucoup de bien dans le communisme, mais c’est l’idée de le voir généraliser qui me fait protester. Il ne me sied pas de lier d’avance mon avenir, à plus forte raison l’avenir d’un autre. La question, pour ce qui me concerne, personnellement, reste à résoudre ; l’expérience montrera celles des résolutions extrêmes et celles des résolutions intermédiaires, si nombreuses, qui s’adapteront le mieux à chaque circonstance et à cha-

que moment. L’anarchisme m’est trop cher pour que je veuille le voir dépendre d’une hypothèse économique, si plausible soit-elle actuellement. Jamais les formules uniques ne nous satisferont, et si chacun est libre de les posséder et de propager de prédilection, c’est à condition qu’il comprenne qu’il ne peut les répandre qu’à titre de simple hypothèse. Or, chacun sait que les littératures anarchiste-communiste et anarchiste-individualiste sont loin de se tenir dans ces limites. Tous, nous avons faute sous ce rapport. Mon désir est de voir ceux qui se révoltent contre les agissements de l’autorité œuvrer sur un plan d’entente générale au lieu de se fractionner en petites chapelles, par suite des prétentions de chacune à être sûre de posséder une solution économique exacte, du problème social.

Pour combattre l’autorité qui domine dans le système capitaliste actuel ou qui dominera demain en régime socialiste — quelle qu’en soit la tendance — ou syndicaliste, un immense mouvement, vraiment anarchiste de sentiment, est absolument indispensable et cela bien avant que se pose la question des remèdes économiques. Qu’on le reconnaisse donc et il s’ensuivra la création d’une vaste sphère de solidarité. Le communisme en bénéficiera et son éclat sera tout autre que celui dont il brille actuellement devant le monde, empruntant sa clarté aux rayons de l’activité de la masse syndicaliste, alors que sa propre lumière, comme celle d’une étoile qui s’éteint, vacille et pâlit graduellement. — Max Nettlau.

INDIVIDUALISME (Éducation). Nous avons souligné déjà (voir Fable : conclusion) combien demeurait faible, en face des influences multiples (extérieures et intérieures) qui se disputent l’individu, la pression morale de l’école, lorsque la vie bouscule ses préceptes. L’éducation scolaire rencontre ailleurs — partout, pourrions-nous dire — ces puissances formatrices et leur présence limite continûment son action propre. Aussi précaire serait-elle plus encore si elle engageait avec ces forces un quotidien combat, si elle tendait, devant les meutes vitales et la cohue des préjugés environnants, autre chose que le voile puéril de ses absolus. Mais elle ne s’anime qu’à peine contre elles pour une tentative de ravissement. Elle s’efforce avant tout de les canaliser (elles sont si prédisposées à les suivre souvent) vers des fins d’acceptation, d’agglomérer avec leur complicité le faisceau de garanties de « l’ordre social ». Elle s’applique à la réduction de ce danger évident que sont, pour la tranquillité coutumière, les instincts tenaces, les originalités pourtant tâtonnantes, les lointains apports non-conformistes. Sa tâche est de prévenir l’éveil des redoutables personnalités. Sous les feux-follets de ses vagues idéalités, que chassent les grossièretés et les rapacités régnantes, s’appesantit l’effort qui doit fixer les assises des mensonges sociaux triomphants, assujettir les demains moutonniers. Elle a, pour les parer, le fard de ses civiques moralités. L’école d’aujourd’hui.— par-delà le verbiage altruiste, démenti dans l’école même — œuvre pour la consolidation des impérialismes. Elle est un organisme de conservation : elle s’harmonise ainsi aux régressivités. D’une société hostile, aux libres avances, l’éducation est la servante docile ; elle lui apporte un renfort, qu’il serait imprudent de sous-estimer. Par elle se consolident les institutions et les mœurs dont, nous dénonçons la nocivité. Par elle se prolonge — et se justifie : ses mots, sa méthode, se pressent pour ce diligent, service — la domination, sur l’individualité qui veut vivre, du convenu social souverain…

L’éducation en général — et toute la pédagogie officielle est imprégnée de cet esprit — vise non à dégager l’individu, cellule du devenir imprévisible, mais à cristalliser, à travers l’être social, les formes victorieuses du présent. L’éducation tend ainsi non pas à une féconde