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exaltent son autonomie. Et, ce n’est pas tant encore la malsaine pâture dispensée qui en fait des adversaires irréconciliables de l’école présente. Car si la substance nocive parfois s’élimine, le procédé laisse une empreinte ineffaçable. Et cette volonté d’extirper de l’éducation le dogmatisme persistant — dogmatisme d’idée, dogmatisme de méthode — étend leur protestation, leur réaction, par-delà l’école du jour, à toutes les écoles, à toutes les éducations autoritaires. Car il n’y a pas que les sphères officielles dont la méthode rigoureuse enserre cette proie ; l’enfant. Tous les régimes, toutes les doctrines, jusqu’aux idéalités, en apparence anodines, concourent à refouler en lui l’individu, coopèrent au triomphe de la mentalité d’acquiescement, de l’esprit de groupe… Que l’éducation soit en cause, en effet… Qui dit les besoins propres, met en avant la sauvegarde de l’enfance ? Qui donc traduit les droits sacrés de son essor ? Qui, des cerveaux fragiles et de leur libre éveil, et, du moi précieux de nos bambins, se fait le défenseur ?… L’enfant, c’est l’atout que les clans cherchent a glisser dans leur jeu. Par-delà les vocables trompeurs, se le disputent toutes les sectes aux prises. L’enfant, l’individu, c’est leur bien, à chacune. Et elles entendent le façonner selon leurs modes et l’impulser vers les formes dont elles caressent l’accomplissement. Vers quelque camp que vous portiez vos regards, et si haut, vous ne découvrirez pas son école. Il n’y a que les leurs… C’est la caractéristique des pédagogies en vigueur et de tant d’autres attendues. Tout, depuis la manière et les circonstances, est au service d’un régime. Des promoteurs de la scolarité publique, et des bénéficiaires actuels, et de ceux qui guettent la succession, toute l’œuvre ou l’effort sont viciés des mêmes âpres préoccupations. Des hommes instruits, n’est-ce pas avant tout des « hommes » imprégnés d’une moralité favorable aux institutions établies ou désirées ? Ne s’agit-il pas de fondre la nouvelle portion humaine dans l’agrégat d’une modalité sans appel et, plus intéressant que l’être même, et au-dessus de lui, n’y a-t-il pas « l’individualité sociale », le citoyen fonction de la collectivité et sacrifiable à elle ? « L’enfant appartient à l’État, à la société avant d’appartenir à quiconque » : aphorisme qui appesantit à merveille le principe d’oppression de la masse sur l’individu et paralyse toute l’évolution, individuelle par essence…

Qu’importent les facultés de l’enfant, ses affinités et son expansion particulière ?  ! Et l’obscure poussée de ses forces profondes et les premiers rayons de son soleil intérieur ! Penser par ses moyens intimes, fouiller d’une sagace investigation les obscurités ambiantes, tenir en alarme permanente son esprit critique et n’assouplir son vouloir qu’aux appels d’une raison toujours en éveil : autant de chemins qui mènent à soi, qui aideront « l’un » à se délimiter, l’homme à s’épanouir dans sa lumière. Mais ce qu’il faut pour affirmer un homme, c’est cela même qui désagrège le partisan. Et voulez-vous, sérieusement, qu’on tâche à dégager quelqu’un lorsqu’on a besoin de quelque chose ? … L’œuvre des écoles vise à l’écrasement de chacun pour un soi-disant édifice collectif. Et nous qui voulons individualiser l’enfance, personnaliser l’éducation, nous les trouvons sur notre route, depuis leurs directives jusqu’à leur action quotidienne, comme des Bastilles encore à démolir…

Si vous doutez que demain persisteront, seulement orientés vers d’autres fins, les mêmes procédés, regardez autour de vous tous ceux qui, après avoir fait le procès des écoles abhorrées, esquissent et déjà, partiellement, réalisent — à leur foyer et partout autour d’eux — d’aussi pernicieuses compressions. Ils ne s’indignent, au fond, de la contrainte officielle que parce qu’elle contrecarre leur influence et s’élèvent contre les dogmes d’à-côté parce qu’il ne reste plus de place pour les leurs… Des conceptions aussi éloignées de la véritable éducation

individualiste contaminent, jusque dans les milieux extrêmes, des gens qui s’en prétendent dégagés. L’enfant, ce n’est pas non plus (par-delà les proclamations) l’unité future dont il faut jalousement protéger l’indépendance : c’est toujours le miroir qui doit refléter leurs conceptions, répéter leurs gestes. Pour eux encore l’enfant ne s’appartient pas. Il n’est pas le dépôt passager, le placement qu’on administre, mais la fortune dont on dispose, la propriété qu’on modèle au gré de ses caprices. Protester contre ceux qui, d’avance, font de leurs enfants des croyants ou des athées, des monarchistes ou des républicains, et, épousant la même aberration, leur insuffler précocement leurs théories socialistes, syndicalistes, anarchistes !… Où donc est la dénonciation essentielle, agissante, et l’atmosphère nouvelle sans laquelle les petites vies esclaves demeurent l’instrument des maturités despotiques ? Où sont la sagesse et le courage qui tiennent le cerveau des petits à l’écart des thèses et des opinions qui violentent son opinion prochaine, les volontés qui se refusent à vouloir faire des jeunes les adeptes des tâtonnantes idéologies de leurs aînés ?… Qu’ils ne disent pas, les propagandistes impatients : « Nous usons d’examen, nous n’imposons pas ! » Tout ce qui dépasse l’intelligence de l’enfant et le champ de ses possibilités n’est pas de sa part susceptible d’une discussion éclairée, et l’adhésion qu’il apporte à nos horizons d’hommes, il la donne dans les ténèbres et contre sa clarté naissante Le choix précoce et subi, c’est une ombre sur ses yeux de chercheur, un trouble dans sa conscience en gestation, une atteinte à sa liberté…

Si révolutionnaires que nous soyons, ce n’est pas pour substituer, à l’éducation du jour, telle ou telle « éducation révolutionnaire » que nous dénonçons la mainmise sociale sur l’enfance. C’est pour dégager l’enfant, chaque enfant — qu’il soit fils de prolétaire ou de bourgeois — de la chaîne des idées préconçues et de l’antagonisme des grands et mettre à sa disposition, avec la base d’une constitution saine, les éléments d’une vie morale et intellectuelle dont il sera lui-même l’artisan. Nous sommes, d’où qu’ils viennent, contre tous les procédés de dressage et de conquête. Nous faisons la guerre aux écoles où se distille, artificieusement, le miel frelaté des évangiles, à tous les antres où la jeunesse est au service des doctrines. Nous œuvrons pour une éducation qui s’inquiète des originalités de chacun, des aptitudes et du tempérament, qui s’attache, par des méthodes propres à en secourir l’élan, à cultiver, dans les cadres de l’âge, tant d’individualités diverses qui feront l’avenir fécond. Nous voulons entourer loyalement, utilement, le berceau d’un individualisme vrai, positif et profond, grouper toujours plus, à mesure qu’il nous sera possible, des conditions à la faveur desquelles une personnalité s’entr’ouvre, peu à peu se déploie… nous voulons réaliser l’éducation pour l’individu. — Stephen Mac Say.

A consulter. — 1° Dans l’Encyclopédie, les mots ayant quelque rapport avec l’éducation et en particulier : Éducation, École, Enseignement, Enfant, Fable (conclusion), Grammaire, Histoire, Instruction, Morale, Pédagogie, etc. ; 2° Les ouvrages : Palante : Les antinomies (L’antinomie pédagogique) ; G. Le Bon : Psychologie de l’Éducation ; E. Durkheim : Pédagogie et sociologie ; Eislander : L’éducation au point de vue sociologique ; Nietzsche : Le crépuscule des Idoles ; Mauxion : L’éducation par l’instruction et les théories de Herbart ; S. Mac Say : Vers l’éducation humaine : La Laïque contre l’enfant, etc.


INDULGENCE n.f. (du latin indulgentia). Facilité, propension à excuser, à pardonner les fautes, aussi les infractions aux règles établies. « La mollesse ou l’indulgence pour soi et la dureté pour les autres ne sont qu’un