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répressif ; il fait appel aux ressources, aux concours, aux appuis et aux moyens de violence qu’il estime capables de disperser, de réduire au silence ou d’intimider les initiateurs du mouvement. Le plus souvent, ces actes d’étouffement et de violence ne font que fortifier la propagande que le gouvernement entend museler et vaincre ; ils ne font qu’intensifier l’irritation populaire et que stimuler le zèle, l’ardeur, l’enthousiasme et l’énergie agissante des ennemis du pouvoir établi. La situation se complique et s’aggrave ; l’heure sonne des résolutions viriles et des actions décisives. L’opposition ne peut plus reculer. Toute hésitation devient une lâcheté, une capitulation, une défaite.

L’insurrection éclate. De deux choses : ou elle triomphe et, dans ce cas, les chefs de l’armée insurrectionnelle sont des héros et leurs soldats de bons, d’honnêtes, de glorieux combattants ; ou elle est écrasée et, dans ce cas, les chefs sont des brigands et les soldats des malfaiteurs.

Élisée Reclus qui fut, en même temps que le plus illustre et le plus savant des géographes (consulter ses ouvrages : La Géographie Universelle, L’Homme et la Terre) un des meilleurs théoriciens anarchistes, n’a pas hésité à déclarer que, « devant les abus et les crimes incessants du pouvoir, les anarchistes sont en état d’insurrection permanente ». Noble et forte affirmation ! Pour les êtres dignes, fiers et libres que nous tâchons d’être, cette déclaration ne se borne pas à indiquer le droit ; elle trace aussi, elle dicte l’attitude. — Sébastien Faure.


INTANGIBLE adj. Qui ne peut être touché ; qui échappe au sens du tout et, par extension, à qui il ne peut et ne doit être touché. C’est dans ce sens qu’on dit de certains principes proclamés évidents, de certaines affirmations considérées comme incontestables, de certaines vérités estimées définitives et absolues, que ces principes ; affirmations et vérités sont intangibles. En matière de religion, les croyances fondamentales sont déclarées intangibles ; les personnes qui ont la foi doivent s’interdire de les discuter ou d’y apporter une modification quelconque. Les doctrines enseignées par l’Église catholique, doctrines auxquelles les écrivains catholiques appliquent le mot « Dogme », doivent être tenues pour indiscutables ; elles sont placées au-dessus et en dehors de toute controverse et de tout examen, contrôle ou vérification. Elles ont pour caractère l’immutabilité qui exclut toute retouche ou modification.

En morale, en philosophie et en sociologie, les Maîtres de tous les temps ont tenté de présenter ou, plus exactement, d’imposer comme étant d’une certitude absolue certains principes servant de fondement à leur système de domination. Ces principes une fois admis, la doctrine tout entière se développe, de conséquence en conséquence, à la façon d’une chaîne dont les anneaux se déroulent indissolublement liés.

Si, par exemple, en sociologie, on consent à admettre comme étant d’une nécessité absolue le principe fondamental d’Autorité et de Propriété privée, les théoriciens pourront imaginer à l’infini les formes d’organisation sociales, ils auront beau épuiser l’interminable théorie des systèmes d’agencement politiques et économiques, ils se trouveront fatalement enfermés dans le cercle vicieux où les emprisonnera le point de départ : le principe d’Autorité et de Propriété servant de base à la structure de toute société humaine et tenu pour nécessaire. Les philosophes et sociologues qui proclament l’intangibilité du principe d’Autorité se condamnent, sciemment ou à leur insu, à ne jamais sortir de l’ornière. Vainement, ils parlent, en les exaltant, du Droit, de la Justice, de la Solidarité, de la Liberté ; vainement ils se flattent d’appliquer ces belles et nobles choses dans les systèmes plus ou moins ingénieux d’organisa-

tion sociale qu’ils préconisent ; les faits leur infligent le démenti le plus brutal et le plus catégorique. Dans les sociétés qu’ils bâtissent, il ne saurait y avoir ni véritable justice, ni droit équitable, ni solidarité réelle, ni liberté positive, parce que l’exercice du droit, de la justice, de la solidarité et de la liberté implique, à l’origine, et à toute époque, un contrat social librement débattu et consenti entre égaux. Or ne sont égaux et ne peuvent l’être — je défie qu’il soit raisonnablement possible de les concevoir ou imaginer égaux — des hommes dont les uns commandent et les autres obéissent (Principe d’Autorité), dont ceux-ci sont riches et ceux-là pauvres (Principe de Propriété privée).

Cette vérité, les anarchistes ne sont pas les seuls qui l’aient comprise ; mais seuls ils en ont poussé jusqu’à leur terme les inéluctables conséquences. Seuls, ils ont la conviction que les bases sur lesquelles les sociétés humaines ont reposé jusqu’à ce jour, sur lesquelles elles sont encore édifiées ne sont pas intangibles et qu’elles forment un cercle vicieux qu’il est indispensable de briser ; seuls, ils sont certains que, si violente, si formidable et si victorieuse qu’elle soit, toute révolution qui ne fera pas table rase des principes qui régissent la société bourgeoise, qui n’osera pas toucher à ces principes, parce qu’elle les considérera comme nécessaires et, par conséquent intangibles, aboutira à un avortement et non à la naissance d’un monde nouveau.

En vérité, rien n’est sacré ni « tabou » parce que rien, n’est fixe ni éternel. La vie se développe à travers d’innombrables transformations ; elle s’affirme par voie de modifications et changements indéfinis ; elle donne naissance à des formes constamment nouvelles faisant suite à des structures périmées. Rien donc, n’étant immuable, n’est intangible. — Sébastien Faure.


INTELLECT n. m. (du latin intellectus, de intelligere, comprendre ; inter, entre ; ligere, choisir). La connaissance limitée que nous avons de la mécanique physico-chimique du système nerveux et notamment du processus de la pensée rendent difficile une définition de l’intellect qui soit pleinement satisfaisante et dégagée de tout spiritualisme. Pour nous exprimer strictement en matérialiste, nous nous bornerons à dire qu’intellect est le mot qui désigne la faculté du système nerveux d’examiner et d’associer les données fournies par les sens et d’en tirer les déductions que sa raison indique à l’être pensant, la fonction étant l’intellection et la qualité du produit l’intellectualité. Sans ces opérations intellectuelles, les données des sens ne seraient que momentanées ; elles n’auraient que la durée de la sensation. Connaître, dans le sens de concevoir et comme différencié — pour les besoins de l’analyse — de percevoir est donc le fait de l’intellect, source de la compréhension et du savoir durable, principe même de la pensée sous ses divers aspects. Certains psychologistes font une distinction entre, d’une part, intelligence, qui désignerait plutôt la capacité ou faculté de se rendre compte, dans le domaine pratique, de ce qu’il y a à faire dans une situation donnée, et, d’autre part, intellect, qui concernerait plutôt la théorie et les principes, surtout dans le domaine des choses abstraites. Mais cette distinction n’a rien d’absolu. Le fait est qu’ « intelligence » est un terme d’usage général, tandis qu’ « intellect » est d’un emploi plus restreint.

La scolastique appelait intellect-agent, la « faculté intellectuelle qui s’approprie activement les espèces », et intellect-patient, celle « qui reçoit passivement les espèces que lui envoient les objets extérieurs. Dans sa Théorie des intellects ou concepts, Abailard désigne ainsi les universaux (idées générales) pris et envisagés dans notre entendement.

On désigne sous le nom d’intellectualisme le système ou la tendance qui met en relief l’importance de la fonc-