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cesse des plans et édifications libertaires. Le patriotisme se meurt, empoisonné par les miasmes putrides que dégagent les cadavres de ses innombrables victimes. Les religions agonisent sous les coups mortels que ne cessent de leur porter le « savoir » en lutte contre le « croire ». Le capitalisme et l’État succombent sous le poids de leurs abus, de leur nocivité et de leurs crimes. Aveugles, ceux que n’émeuvent ni n’éclairent de telles constatations. Le vieux monde autoritaire est encore solide ; il faudra, pour l’abattre, que ses adversaires, de plus en plus nombreux, se décident à un rude coup d’épaule. Il est fatal que tôt ou tard ils en arrivent à cette décision. Alors, l’Utopie anarchiste d’aujourd’hui deviendra la réalité féconde de demain. — Sébastien Faure.


INVERSION SEXUELLE (Homosexualité, Uranisme). La fin du xixe siècle et le début du xxe ont vu se lever une revendication nouvelle : celle de la liberté de pratique et d’expression des « anomalies sexuelles » parmi lesquelles il faut ranger l’homosexualité ou uranisme, autrement dit l’inversion sexuelle.

Le mot homosexuel a été employé pour la première fois par un médecin allemand qui ne nous est connu que sous son pseudonyme de Kertbeny. Le mot grec Homo, qui lui donne sa signification, répond à même, semblable. Il désigne les relations intimes que peuvent avoir entre eux des individus du même sexe, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes. Le mot pédérastie comme sodomie, étant plus spécialement réservé aux relations sexuelles entre hommes. L’un des plus éminents collaborateurs à l’Humanité Nouvelle, le penseur Edward Carpentier, trouvait le terme homosexualité impropre, il aurait voulu le voir remplacer par homogénie. On écrit aussi unisexualité, unisexuel.

Quant au mot uraniste, qui vient d’Uranus, et traduit l’allemand urnung, il a été créé par l’assesseur hanovrien Carl Heinrich Ulrich qui, dès 1825, se consacra à la défense de l’amour homosexuel ; il l’avait emprunté à Platon. Ulrich voyait dans l’Urnung une espèce spéciale d’humains, par opposition au Dionung (de Dioné, mère d’Aphrodite), l’amoureux normal, hétérosexuel (du grec heteros, autre).

En se plaçant au point de vue de la liberté toute pure, il est évident qu’on ne peut refuser à un individu le droit de disposer de son corps comme il l’entend. Sinon, et cela s’entend aussi bien de l’homosexualisme que de la masturbation ou de la prostitution, le chemin n’est pas long qui conduit à l’arbitraire et à l’inconséquence. Pourquoi tolérer la prostitution féminine et non la prostitution masculine ? Il y a là un illogisme flagrant qui ne se conçoit que si on se rappelle que nos mœurs et notre législation sont régies par la conception judéo-chrétienne de la vie. Le feu du ciel n’a-t-il pas consumé les villes maudites de Sodome et de Gomorrhe ?

Ou la pratique de l’anomalie sexuelle relève de la nature, de la conscience individuelle, ou c’est un délit. Si c’est un délit, il est nécessaire d’en expliquer la raison. En effet, l’homme qui a réfléchi ne se contente pas de mots comme « contraire aux bonnes mœurs », « ignoble », « infâme », il veut savoir ce qu’il y a de délictueux dans l’accomplissement d’un acte qui n’est accompagné ni de dol ni de violence, quel que soit cet acte. L’affirmation « c’est parce que c’est mal » ne répond à rien de scientifique ni de logique pour un esprit épris de libre examen et dépouillé de préjugés.

Si l’anomalie sexuelle relève de la nature, de la conscience individuelle, qu’on lui concède toute liberté de pratique et d’expression. Si c’est une maladie, qu’on la soigne, après nous avoir démontré qu’on peut la guérir. Trop d’hommes et de femmes homosexuels, par exemple, ont montré une santé égale à la normale ou une intelligence dépassant la moyenne (philosophes, stra-

tèges, hommes d’État, artistes, poètes, littérateurs, Sapho, Sophocle, Socrate, Pindare, Phidias, Epaminondas, Virgile, Alexandre, Jules César, Auguste, Michel Ange, le peintre Le Sodoma, le sculpteur belge Jérôme Duquesnoy, Jules II, le grand Condé, le prince Eugène, Platen, Winckelmann, Kirkegaard, Hans Andersen, Walt Whitman, Renée Vivien, Paul Verlaine, Oscar Wilde, etc.) pour qu’on puisse parler à leur égard d’une déchéance de la production cérébrale.

Le fait qu’il y a des animaux unisexuels, même à l’état de liberté (parmi les cervidés, canidés, ovidés, gallinacés, palmipèdes, colombins, certains hyménoptères et coléoptères), devrait faire réfléchir à deux fois ceux qui parlent de maladie. L’observation montre, en effet, que les fonctions de relation et de nutrition, etc., s’accomplissent régulièrement chez eux. Sur 49 cas d’homosexualité humaine étudiés très soigneusement par le sexologue Havelock Ellis, 31 jouissaient d’une santé bonne, sinon excellente ; 4 ou 5 cas montraient des signes de mauvaise santé évidente, ce qui ne dépasse pas la normale.

C’est tenant compte de toutes ces considérations et de maintes autres que Havelock Ellis a pu dire que l’anormal sexuel n’est pas un malade (ni l’anomalie sexuelle une maladie), que c’était tout simplement un individu sorti de l’espèce et que le mot dégénérescence, qui appartient au parler journalistique, ne possédait aucune valeur scientifique. De même, dans ses derniers ouvrages, le fameux psychiatre Von Krafft Ebbing, qui a observé des centaines et des centaines de cas, a reconnu que l’anomalie sexuelle n’est ni une maladie ni une dégénérescence physique. Ch. Féré a comparé l’inversion congénitale à la cécité des couleurs (l’insensibilité aux rayons vert-rouge, par exemple). Kurella considère l’inverti comme une forme de transition entre l’homme complet ou femme complète et l’hermaphrodite vrai. Albert Moll, autre sexologue célèbre, reconnut qu’il n’était pas possible de prouver que les individus invertis sont des névrosés. Se plaçant à un tout autre point de vue que le point de vue scientifique, Gœthe avait déjà écrit, concernant l’homosexualité : « Elle est dans la nature, bien qu’elle soit contre nature. »

De tout cela, il appert que les anormaux sexuels sont surtout victimes de l’hostilité sociale, la majorité normale étant encore trop ignorante pour comprendre que l’anomalie semelle est un phénomène congénital (et non acquis) dans la plupart des cas d’inversion vraie.

Il ressort des observations historiques que l’inversion sexuelle a été connue de tout temps. Les Égyptiens attribuaient l’homosexualité à leurs dieux Horus et Têt. Selon le docte Aristote, elle avait dû être officiellement encouragée pour parer à la surpopulation, dans l’antique Crète, par exemple. D’ailleurs, l’opinion publique semble avoir passé par trois stades. Dans le premier stade, l’homosexualité est permise ou défendue, c’est une question qui dépend de la population. Dans le second stade, la question se transporte sur le terrain religieux, c’est un sacrilège (christianisme). Dans le troisième stade, ce n’est plus qu’affaire de goût, d’esthétique : elle déplaît à la grande majorité et plaît à une petite minorité. « Je ne vois pas — écrit Havelock Ellis — qu’on puisse critiquer cette attitude esthétique. Mais elle ne saurait tomber sous le coup de la loi, car la loi ne peut se fonder sur le dégoût qu’on peut éprouver pour un acte… Les opinions esthétiques sont autant en dehors de la loi que les opinions politiques. Un acte n’est pas criminel parce qu’il est dégoûtant… C’est cette confusion qui sert de base à la législation dans l’homosexualité ; ceci montre, en outre, que l’opinion sociale doit, elle aussi, dissocier ces questions. » Si « modifier l’instinct d’un inverti, c’est le jeter dans la perversion » (Ch. Féré), l’intervention légale est une monstruosité. Ne parlons que pour mémoire des suggestions