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letins de toutes spécialités portent à la connaissance de tous les chercheurs les résultats obtenus, au jour le jour, par les inventeurs du monde entier. Les découvertes et inventions d’hier ont amené celles d’aujourd’hui et celles d’aujourd’hui conduiront, par une pente toute naturelle, à celles de demain. Aussi est-il souvent difficile de distinguer la part qui revient à chacun dans le résultat auquel un si grand nombre de personnes ont plus ou moins concouru.

Quantité d’inventeurs, et non des moindres, ont vécu ou vivent, sont morts ou mourront dans la pauvreté. Ce qui, si l’on n’y réfléchissait point, paraîtrait singulier, c’est que les plus pauvres ont été ou sont ceux dont l’invention a été le point de départ des bénéfices les plus considérables et des plus grosses fortunes. Et cela s’explique, une invention qui n’est pas appelée à donner de gros bénéfices ne suscite pas les convoitises des grands rapaces capitalistes ; tandis qu’une invention susceptible d’apporter des millions et des millions à ceux qui s’en emparent et l’exploitent met en appétit la goinfrerie des dévorants de tous pays. C’est, autour d’elle, la ruée de tous les grands capitaines de l’industrie et de la finance cosmopolites.

Ceux-là mettent la main sur l’invention et en dépouillent cyniquement l’inventeur.

La plupart des inventions se retournent contre le but que, logiquement, elles devraient poursuivre : la paix et le bien-être universels. Il est fait de presque toutes les inventions un détestable usage. S’agit-il d’un nouvel outillage mécanique appliqué à l’industrie ou à l’agriculture ? Les firmes puissantes — et généralement internationales — s’appuyant sur les forces bancaires, en organisent, à l’aide de capitaux énormes, la mise en exploitation. Alors que le nombre des travailleurs employés dans la production à obtenir diminue, la production augmente. Ce rendement exceptionnel engendre des périodes de surproduction et d’engorgement du marché qui amènent fatalement les mortes-saisons et le chômage périodiques, source incalculable de privations et de misères. S’agit-il d’une invention qui peut être utilisée en cas de guerre ou de révolution ? Les gouvernements s’empressent d’en tirer parti pour multiplier et accroître les instruments de massacre, les engins de destruction ; en sorte que, au lieu d’aller à leur destination naturelle et désirable, le bien-être et la paix, ces découvertes et inventions, recevant une application criminelle, tournent le dos à leurs fins, aggravent le malaise général des populations laborieuses et rendent plus meurtriers et plus sauvages les conflits armés.

Ces résultats désastreux sont inhérents à l’organisation de toute société autoritaire et capitaliste.

Il est fatal que les Gouvernements détournent les inventions de leur but logique et s’en servent pour affermir leur autorité menacée par la Révolution qu’ils redoutent et pour étendre par la conquête le champ de leur domination. Il est fatal que la bourgeoisie capitaliste et la gent financière, industrielle et commerciale, n’ayant d’autre passion que celle de l’argent, se soucient peu de la détresse des producteurs de l’usine et des champs. Insensible aux lamentations qui partent d’en bas, cette bande de spéculateurs et de trafiquants n’a qu’un désir, qu’une volonté, qu’un idéal : s’enrichir à tous prix, encore, encore et toujours.

Il est arrivé que des ouvriers ont brisé les machines qui, disaient-ils, leur coupaient les bras ; ce fut le cas, entre autres, des premières machines à coudre. Il y a même une doctrine qui enseigne le retour à la nature par l’abandon de l’outillage mécanique. On conçoit, certes, que, dans un sursaut de colère irréfléchie, des travailleurs aient démoli une machine qui aggravait leur situation déjà douloureuse ; on s’explique que, bercés par certains récits et légendes, des hommes s’ima-

ginent naïvement que l’âge d’or est derrière nous et non devant, et veulent revenir aux temps primitifs. Mais le remède n’est pas là. Le mal vient du principe de Propriété qui, sous régime capitaliste, assure à une minorité constituée en classe, la possession du sol, du sous-sol, des moyens de production, de transport et d’échange et lui permet d’en disposer à son gré, c’est-à-dire à son profit exclusif. Le mal vient de là. Le remède se discerne aisément. Il consiste à exproprier cette minorité de profiteurs, à lui faire rendre gorge, à restituer à la multitude la propriété sous toutes ses formes et à briser l’État, protecteur, complice et défenseur. Tel est l’unique moyen de fonder l’égalité économique, base de l’égalité sociale, source elle-même de la Paix universelle, de la Liberté et du Bien-Être pour tous sans exception d’aucune sorte.

Alors, toute invention marquera un pas en avant sur la route qui conduira l’humanité vers la joie de vivre.

En sociologie, les Anarchistes sont de véritables inventeurs. Ils ont découvert que la cause de tous les maux qui accablent les hommes, celle d’hier comme celle d’aujourd’hui, c’est l’Autorité. Ils opposent au principe d’Autorité celui de Liberté. Ils déclarent que si la machine sociale produit la souffrance, c’est qu’elle a pour moteur l’Autorité ; ils ont l’indéracinable conviction que lorsqu’elle aura pour moteur la Liberté, elle produira du bonheur et que chacun en aura sa part. L’avenir prouvera qu’ils ne se trompent point. — Sébastien Faure.

INVENTION. Des inventions les plus merveilleuses — en raison même des difficultés qu’elles avaient à surmonter et de l’étonnement qu’elles suscitaient dans les esprits — on a dit, avant leur réussite : « C’est impossible. Ce serait trop extraordinaire. Ça n’arrivera jamais ! ». Ces propos ont été tenus par des hommes remarquables. La veille et même le lendemain des premières expériences faites avec succès, en ce qui concerne certaines inventions, notamment les chemins de fer, le télégraphe et les avions, des personnages qui, pourtant, ne manquaient ni de savoir ni d’intelligence, se sont écriés : « Ça ne marchera jamais ! » Nombreux furent ceux qui traitèrent de fous les inventeurs les plus géniaux et de rêves chimériques les plus prestigieuses découvertes. Et, cependant, depuis !…

Eh bien ! Il en va de même de la découverte qu’ont faite les Anarchistes. Quand ils affirment la nécessité de substituer le principe de la Liberté à celui de l’Autorité, on les traite de déments. Quand ils exposent quel milieu social ils veulent édifier à la place du milieu actuel, des hommes d’un vaste savoir, d’une érudition profonde et d’une rare intelligence, haussent dédaigneusement les épaules et prennent en pitié leurs conceptions d’avenir, qu’ils ne craignent pas de mettre au rang des « élucubrations que seuls peuvent enfanter des cerveaux chimériques et des imaginations maladives ». Et ils ajoutent, quand ils désirent paraître des hommes de progrès social et d’idées avancées qui ne se refusent à l’examen d’aucun système social : « Utopie admirable ! Rêve d’une sublime générosité ! Ce serait trop beau. Mais c’est impossible. Ça n’arrivera jamais ». Cent fois, mille fois, dans des entretiens particuliers et dans des débats publics, ces prétendues impossibilités m’ont été opposées, à défaut d’objections essentielles et de réfutations sérieuses.

Utopie ? — Aujourd’hui, je ne dis pris non. Mais, demain, j’en ai l’assurance, cette utopie se transformera en réalité. Rêve chimérique ? — Aujourd’hui, je ne le conteste point. Mais, j’ai l’inébranlable certitude que ce rêve, un jour, se réalisera. A quelle époque ? — Je l’ignore et nul ne saurait le dire. Mais l’humanité se meut dans le sens de la Liberté et les événements évoluent vers une architecture sociale se rapprochant sans