Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
JES
1105

Revenons en France, pour dire deux mots de Damiens, ce fanatique catholique, qui tenta de tuer Louis XV. Il avait été pensionnaire des Jésuites à Béthune et à Paris. Au moment même de l’attentat (1757), les Jésuites faisaient jouer Catilina dans leurs collèges. Ils étaient mécontents de Louis XV. Le Dauphin, par contre, leur était sympathique. Bien que la complicité des Jésuites dans le crime de Damiens soit moins visible que dans les meurtres déjà cités (car la Compagnie était déjà devenue plus habile), il n’est pas douteux qu’ils ont trempé dans le crime de ce malheureux, tout imprégné de leurs théories, et qui répétait sans cesse « que la religion permet de tuer les rois ».

Parlerai-je du meurtre de Jaurès ? C’est de l’histoire contemporaine et cela m’entraînerait dans des explications qui dépassent le cadre de la présente étude. Mais depuis quinze ans je n’ai pas cessé de répéter qu’à mon avis le meurtrier Raoul Villain, membre du Sillon de Marc Sangnier, n’était qu’un instrument irresponsable, dirigé et conduit dans l’ombre par l’occulte et criminel Gésu.

Et le tout récent assassinat du général Obregon, président de la République mexicaine, n’est-il pas l’œuvre des Jésuites, qui avaient déjà essayé de faire tuer Calles, pour briser la politique anticléricale et laïque des démocrates mexicains ? N’est-ce pas une religieuse, la sœur Conception, et un prêtre, qui ont armé le bras du criminel Toral ?

Comment les Jésuites hésiteraient-ils à frapper un libre penseur, alors qu’ils n’ont pas reculé devant le meurtre de certains papes !  !

Innocent XIII, ayant dit qu’il se proposait de réformer la Compagnie, mourut subitement peu après.

Le P. Ribadeneira n’écrit-il pas (avec quelle plume impertinente !) en parlant d’un autre pape :

« Il (le pape Sixte Quint) rédigea un décret par lequel il ordonnait d’appeler désormais notre Ordre, non plus Société de Jésus, mais Société des Jésuites. Par bonheur, le temps venu où le Pape eut en mains les copies officielles de son décret, serrées dans son secrétaire pour les publier dans quelques jours, le Seigneur lui barra la route et il perdit la vie… au moment qu’il prétendait dépouiller la Compagnie de Jésus de ce titre glorieux et de ce très doux nom. »

Le pape Sixte Quint avait commis d’autres crimes. En particulier, il avait mis à l’Index le livre du cardinal Bellarmin sur l’obéissance aveugle. Son successeur Urbain VIII revint sur cette décision et les Jésuites eurent gain de cause une fois de plus. Mais comment peuvent-ils s’indigner des accusations que l’histoire a portées contre eux, lorsqu’on lit sous la plume d’un Jésuite aussi célèbre que Ribadeneira des phrases aussi imprudentes que celle que je viens de rapporter ? D’autant plus que derrière l’impertinence apparaît la satisfaction d’être débarrassé d’un adversaire — et de quel adversaire !

La mort de Clément XIV est tout aussi troublante. D’une santé robuste, jeune encore (63 ans), il disparaît brusquement, après cinq années de pontificat. Cependant, il se méfiait et ne mangeait rien que des mains d’un moine, ami d’enfance. Il savait bien que les Jésuites ne lui pardonneraient pas d’avoir prononcé la dissolution de leur Ordre et il disait : « Cette suppression me donnera la mort. Et pourtant, je ne me repens pas de ce que j’ai fait. » Le cardinal de Bernis, qui se trouvait à Rome, avoue que cette mort ne lui parut pas naturelle. Quant aux Jésuites, ils se contentent de dire que le pape mourut… de peur !  !

Le crime de Clément XIV, en supprimant les Jésuites, n’était pourtant pas bien grand, car aucun pays n’en voulait plus. Ils étaient chassés de partout et le pape n’avait fait que sanctionner un fait acquis. Les bons

Pères se vengèrent néanmoins d’une condamnation qui achevait leur déroute.

Textes régicides. — On voit de quoi sont capables ces disciples du doux Jésus. Quelques textes achèveront la démonstration.

Le P. de Ravignan (1862), pour disculper les Jésuites, dit que saint Thomas d’Aquin avait résolu la question du régicide par l’affirmative. Le fait est exact. Il montre que, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, les Jésuites n’ont rien inventé et qu’ils se sont bornés à s’emparer d’une idée qui leur était favorable.

Mais Ravignan ajoute qu’il n’y eut qu’un seul Jésuite (le P. Mariana) qui dépassa vraiment la mesure. Singulière affirmation quand on sait que Boucher et Larousse ont énuméré plus de 75 écrivains jésuites ayant fait l’apologie du régicide. Encore ne parlent-ils que des écrivains, dont les ouvrages n’ont pu être détruits. Le nombre des orateurs et des prédicateurs ayant prêché dans leurs sermons le meurtre des rois serait dix fois plus considérable.

Le livre du Jésuite allemand Busembaum (saint Alphonse de Liguori s’est inspiré de sa Théologie Morale), qui fut brûlé à Paris après l’attentat de Damiens et qui approuve le régicide, eut plus de 200 éditions successives, en dépit des condamnations qui l’ont frappé.

Le P. Tolet, dans son livre sur l’Instruction des prêtres ; le P. Vérona Constantinus et des dizaines d’autres Jésuites ont approuvé Jacques Clément. Le P. Guignard, exécuté comme complice de l’attentat contre Henri IV, a longtemps figuré au martyrologe de la sainte congrégation ignacienne.

Le Cardinal Bellarmin (le « saint Jésuite » ) a écrit (De la souveraine autorité du Pape, cité par Boucher) : « Lorsque l’Eglise, après de paternelles remontrances, a retranché un prince de la communion des fidèles, délié, si cela est nécessaire, ses sujets de leur serment de fidélité, déposé enfin le souverain obstiné dans ses erreurs, c’est à d’autres qu’il appartient d’en venir à l’exécution… »

Quant au P. Suarez ( « Un des fils les plus méritants de l’Espagne et de la Compagnie », Études, 5 octobre 1921), il écrit : « Il est de foi que le pape a le droit de déposer les rois rebelles ou hérétiques. Or, un roi ainsi déposé n’est plus souverain légitime ; donc, s’il refuse de se conformer à la sentence pontificale, il devient un tyran et peut, comme tel, être tué par le premier venu… »

Enfin, le P. Emmanuel Sâ déclare (d’accord avec la plupart des théologiens) que le pape, gardien des brebis, a le droit de tuer les loups.

« Les Jésuites, demain encore, si tel était leur intérêt, exciteraient à l’assassinat comme à bien d’autres crimes. » (Larousse).

L’œuvre pédagogique de la Compagnie. — Notre étude serait incomplète si nous n’indiquions pas l’importance de l’œuvre pédagogique des Jésuites, car elle a grandement contribué à leurs succès. Ils avaient compris de bonne heure tout le profit matériel et moral qu’ils pouvaient retirer de l’éducation de la jeunesse.

Pour concurrencer les autres collèges, ils réalisèrent la gratuité de l’enseignement, moyen radical de vider les autres écoles pour remplir les leurs (Schimberg). C’est ainsi que le Collège de Clermont parvint à avoir à lui seul davantage d’élèves que les 36 collèges du Quartier Latin réunis.

Aussi, la lutte entre l’Université et la Compagnie, qui débuta en 1552, ne devait-elle jamais connaître de répit.

La méthode d’enseignement des Jésuites est contenue dans le Ratio Studiorum, écrit en partie par Ignace, et dans les Constitutions (1599).