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JUG
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semblable, nul n’étant infaillible, absolument impartial, totalement à l’abri des influences et des pressions que le milieu social fait peser sur tous, sans exception. L’homme ne relève que de sa propre conscience. Seule, celle-ci est en état — et encore relativement ! — de comparer, de discerner, de juger ». — S. F.

JUGEMENTS (sentences juridiques). On appelle — nous l’avons vu — jugement l’opération de l’esprit par laquelle, après avoir confronté des propositions ou des solutions différentes, nous nous décidons pour celle qui nous paraît la plus équitable ou la plus opportune, en un mot. la meilleure. On dit — terminologie courante astreinte aux réserves de relativité — qu’un homme a un jugement sain ou un bon jugement quand la rectitude de son esprit lui permet une confrontation exacte et complète des propositions ou des solutions en présence, et quand la décision qui résulte de sa comparaison est approuvée par notre raison. Par une dérivation naturelle, on appelle jugement le résultat de l’opération intellectuelle, c’est-à-dire la décision, et plus particulièrement encore on applique ce mot à la décision d’un juge.

La précision du langage juridique distingue entre ces décisions, selon la juridiction dont elles émanent. Il importe de fixer ces différents termes : le profane les mélange et nous avons vu plusieurs fois les chroniques judiciaires elles-mêmes les confondre.

Le juge de paix, juge unique composant. ce que le Code appelle sans intention malveillante un tribunal inférieur, magistrat appelé à statuer sur les contraventions de simple police et les infractions qui lui sont déférées par la loi, rend des jugements. Les tribunaux civils de première instance, soit qu’ils jugent en matière civile, soit qu’ils jugent en matière correctionnelle rendent des jugements. Les tribunaux de commerce rendent des jugements. En matière de justice militaire, les décisions rendues par les conseils de guerre et les conseils de révision sont des jugements.

Les cours d’appel sont des juridictions du second degré. A part quelques exceptions motivées par la qualité des personnes (hauts dignitaires, etc.) elles ne statuent pas en matière neuve, elles ont à examiner le jugement rendu pour l’infirmer ou le confirmer. Elles arrêtent, c’est-à-dire elles fixent définitivement l’interprétation du fait pour l’application du droit, et statuent en conséquence soit en maintenant le jugement attaqué, soit en le réformant. L’appelant ou l’intimé (celui qui a formé l’appel ou celui qui l’a subi) n’ont plus que la ressource de recourir à la cour de cassation sur la question de savoir si la loi a été bien et exactement appliquée, la discussion ne pouvant plus s’ouvrir sur la question de fait qui est tranchée.

Les cours d’appel rendent des arrêts.

La cour de cassation rend des arrêts.

Le mot arrêt est très ancien, et son usage, dans le domaine judiciaire, remonte au xiie siècle. Le fait qu’il s’appliquait aux décisions des juridictions supérieures légitime notre étymologie.

En matière criminelle, on appelle verdict la déclaration du jury sur la culpabilité ou la non-culpabilité de l’accusé, le verdict résout en outre par une réponse affirmative, sinon par son mutisme, à la question de savoir s’il existe des circonstances atténuantes en faveur de l’accusé. Le terme de verdict est spécialement réservé à cette déclaration du jury, et c’est à tort que quelques journalistes l’ont parfois appliqué aux jugements du conseil de guerre.

Sur le vu du verdict (le terme légal c’est : la déclaration du jury) la cour d’assises rend un arrêt.

Le conseil de préfecture rend des décisions qui s’appellent des arrêtés. Le Conseil d’État rend des arrêts.

On appelle sentence arbitrale la décision rendue par

des arbitres que les parties ont constitués par un compromis.

Le président d’un tribunal (ou le magistrat qui le remplace) sont appelés à statuer en référé pour ordonner une mesure urgente. Ils statuent sur la difficulté et la décision rendue est une ordonnance.

Un litige porté devant un tribunal civil est défini et circonscrit par les conclusions des parties. Ces conclusions délimitent le champ du débat. Le tribunal doit statuer sur tous les chefs des demandes unilatérales ou respectives ; il ne peut accorder au-delà de ce qui est demandé. Comme le dit le langage judiciaire, il ne peut statuer « ultra petita ».

Les conclusions sont signifiées d’avoué à avoué et sont prises ensuite à la barre. Elles constituent la matière légale de la demande et de la défense. Les plaidoiries qui développent ces conclusions, si elles sont essentielles pour éclairer le juge, n’ont point pour effet d’introduire dans la procédure, désormais fixée, un élément nouveau. Les débats une fois clos, l’affaire est soumise au délibéré des juges. Cette délibération est exigée par la loi. La décision est rendue à la majorité des opinions. Cette décision doit être rédigée dans un jugement écrit, et le jugement doit être prononcé à l’audience publique par le tribunal composé des mêmes juges que ceux qui ont assisté aux débats.

Quand le jugement est reporté à une audience ultérieure, il peut arriver que le tribunal ne soit plus composé exactement des mêmes juges ; le débat doit être recommencé même si dans la nouvelle composition du tribunal n’entre qu’un seul juge qui soit resté étranger à tout ou partie des débats. Dans la pratique, lorsque ce cas se produit, les avocats ou les avoués reprennent à la barre leurs conclusions respectives : les débats sont censés avoir été recommencés et terminés à nouveau.

Le jugement, avant son prononcé, est rédigé sur une feuille volante qui s’appelle la minute. Le greffier prend sommairement note de la décision et constate par cette inscription qu’elle a été rendue. Le cahier sur lequel cette note est prise se nomme le plumitif. La présence et l’assistance du greffier à toutes les audiences du tribunal est exigée par la loi. La minute doit être signée par le président et par le greffier. Elle est remise au greffe, où elle est transcrite sur papier timbré en écriture grossoyée ; d’où vient à cette copie ainsi monumentée le nom de grosse. La grosse constitue un titre aux mains du plaideur auquel elle est délivrée, et il doit se garder de la perdre ou de s’en dessaisir si ce n’est à bon escient. Il ne pourrait s’en faire délivrer une autre que par une procédure assez épineuse : la procédure en délivrance de seconde grosse.

Analysons un jugement et voyons de quels éléments il se compose : D’abord cette énonciation qu’il est rendu au nom du souverain, c’est-à-dire sous la République, au nom du peuple français. L’indication qu’il a été rendu par tel tribunal, en audience publique et à telle date. Ces mentions sont en quelque sorte son intitulé. Il indique ensuite les noms, prénoms, adresses et qualités des parties, distingue le ou les demandeurs d’avec le ou les défendeurs, et l’intervenant ou les intervenants s’il y a lieu, mentionne leurs avocats et leurs avoués.

Alors vient le point de fait, c’est-à-dire l’exposé.

Le jugement relate l’assignation qui a introduit l’instance et tous les actes de la procédure, l’ordonnance qui a permis d’assigner sans préliminaire de conciliation (pratique usuelle pour décharger les juges de paix), les constitutions des avoués (déclarations par lesquelles ils se notifient qu’ils sont chargés de représenter devant le tribunal leurs parties), les avenirs qu’ils se sont donnés (invitations de porter l’affaire à l’audience). Le jugement constate que l’affaire est sortie du rôle (les affaires viennent à tour de rôle, c’est-à-dire à leur tour par ordre d’inscription), le jugement constate qu’après