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JUR
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mentaires ont de plus en plus tendance à introduire dans la législation des multitudes de prescriptions de détail correspondant aux préoccupations dont on leur fait part, ou ayant pour but de satisfaire des intérêts électoraux. Il en résulte que les lois sont plus détaillées certes, mais aussi très souvent obscures ou même contradictoires dans leurs dispositions. C’est une tâche déjà difficile que celle de rédiger un texte qui rende bien exactement la pensée de son auteur et qui ne puisse prêter à aucune équivoque. Mais c’est une tâche impossible que celle qui a pour objet de prévoir et de régler en articles de loi les multitudes de situations différentes qui peuvent se présenter dans la pratique. Aussi la jurisprudence a-t-elle un rôle encore plus important en présence des lois complexes, touffues, pleines de détails, d’exceptions, de contre-exceptions, d’hypothèses, etc., que nous offre le législateur d’aujourd’hui. Sans doute le Parlement a-t-il voulu parfois réparer l’imperfection de son œuvre en votant des lois interprétatives. Mais il est arrivé parfois que ces lois interprétatives étaient elles-mêmes si obscures qu’elles étaient comprises d’une manière différente suivant les tribunaux !

Parfois aussi, le législateur a-t-il volontairement laissé dans l’ombre des points qu’il entend laisser les diverses juridictions libres de trancher. Par exemple dans les lois sur les loyers nées de la guerre, le législateur employant le mot « charges » n’a pas voulu énumérer parmi les charges celles qu’il voulait imposer aux propriétaires, celles qu’il voulait imposer aux locataires. Si ce n’est pas une sorte d’aveu d’impuissance, c’est tout au moins la démonstration de l’influence de plus en plus grande que prend dans nos régimes démocratiques, pour l’application des lois, l’interprétation judiciaire, en un mot la jurisprudence — influence heureuse, sans aucun doute, dans certains cas, influence néfaste trop souvent, car les juges, même lorsqu’ils s’en défendent, n’échappent pas facilement aux préjugés, aux passions, aux intérêts coalisés, du milieu social dont ils sont issus. — G. Bessière.


JURY n. m. Les jurés sont des magistrats temporaires. Ils représentent et, dans l’opinion publique, ils incarnent ce qu’on appelle la Justice populaire. En réalité, il n’en est rien. La loi exige que certaines conditions soient réunies, pour figurer sur la liste des personnes admises à faire partie du jury. Le jury, n’étant formé que des personnes ainsi qualifiées, ne représente donc qu’une faible partie de la population et non la population tout entière. Les femmes — qui, pourtant, comptent pour moitié au moins dans le chiffre de la population — ne peuvent faire partie du jury. L’immense majorité des personnes, hommes et femmes, se trouvant de la sorte éliminée, c’est à tort, on le constate, qu’on considère le jury comme la personnification de la Justice populaire. Ce qui a donné naissance à cette appellation erronée, c’est le besoin de distinguer entre les magistrats de carrière et les hommes appelés éventuellement et exceptionnellement à se prononcer sur les faits soumis à la cour d’assises.

Au surplus, quand elle s’exerce, la Justice populaire fait fi des simulacres et formalités qui s’imposent au jury ; elle n’est soumise à aucune forme protocolaire ; rapide, emportée par la passion qui la soulève, toujours violente et brutale, soit qu’elle sauve ceux qu’elle estime innocents, soit qu’elle extermine ceux qu’elle juge coupables, la justice populaire ne s’accommode pas plus de la procédure qu’elle ne s’embarrasse des lenteurs et des prescriptions du Code. Elle décide et agit, mettant sur l’heure sa décision à exécution. L’Histoire enregistre d’innombrables circonstances sur lesquelles s’appuie l’exactitude de ce qui précède, et précise ce qu’il sied d’entendre par ces mots : « la justice populaire ».

C’est au jury qu’il appartient de se prononcer sur le

degré de culpabilité ou sur l’innocence des accusés ; mais c’est à la cour qu’échoit le soin de fixer la peine qu’entraîne un verdict de culpabilité. Par cette séparation des pouvoirs et attributions du jury et de la cour, le législateur a voulu marquer l’incapacité du jury à graduer la condamnation, dans l’ignorance où il se trouve de l’échelle des peines à appliquer. De ce fait, il arrive fréquemment que la peine prononcée par la cour diffère très sensiblement de celle qu’eussent infligée les jurés, s’ils avaient été admis à la fixer eux-mêmes. On ne s’explique que par des subtilités cette incohérence judiciaire à ajouter à tant d’autres.

Il est exact que c’est le hasard qui toujours préside à la confection de la liste des jurés ; c’est, dans la plupart des cas, le hasard qui préside aussi, par le jeu des récusations, à la formation de chaque jury. Il est également vrai que, désignées par l’aveugle tirage au sort, les personnes appelées à constituer le jury, ne possèdent aucune des compétences que nécessite l’exercice toujours si délicat et si incertain de la justice et qu’elles n’ont aucune connaissance spéciale du Droit et de la Loi. Il n’en reste pas moins que la séparation des pouvoirs et attributions qui confère au jury le soin de prononcer le verdict et à la cour celui de fixer la peine, est tout à fait illogique. Car, de deux choses l’une :

Ou bien le jury est apte à se guider, à l’aide de ses seules lumières, dans l’appréciation des faits souvent très complexes, parfois obscurs et presque inexplicables, que l’accusation met à la charge de l’accusé ; il est apte à discerner les mobiles qui ont poussé celui-ci dans l’accomplissement de ces faits, le degré de responsabilité que lui laissent le milieu dans lequel il a vécu, l’éducation qui lui a été donnée, les exemples qu’il a eus sous les yeux, les entraînements qu’il a subis, les circonstances qui, au dernier moment, l’ont poussé à agir ; et si le jury est estimé apte à prononcer dans ces conditions un verdict éclairé et judicieux, il est plus et mieux que qui que ce soit apte à fixer lui-même la pénalité qui, en conscience, doit être appliquée à l’accusé. Car, « qui peut le plus peut, le moins ». En vertu de cette proposition dont l’exactitude n’est pas discutable, il est certain que, l’appréciation des faits et mobiles, des circonstances et des conditions, dont l’ensemble permet au jury d’apprécier sainement le degré de culpabilité de l’accusé, étant une opération bien autrement malaisée que celle qui consiste, cette appréciation étant connue, à adapter la peine à la volonté du jury, si le jury est en état de résoudre le problème le plus complexe et le plus délicat, il est, a fortiori, en état de résoudre le moins complexe et le moins délicat. Étant donné cela, la raison veut que le prononcé de la condamnation soit, comme celui du verdict, laissé à l’appréciation du jury ;

Ou bien, on estime que le jury est incapable de fixer la peine qui concorde avec le verdict et, dans ce cas, le jury, étant bien plus encore reconnu, ipso facto, incapable de rendre un verdict éclairé, ne doit pas plus avoir la responsabilité du verdict que celle de la sentence. Et, alors, le jury, n’ayant plus aucune raison d’être, doit être aboli.

C’est l’une ou c’est l’autre : tout ou rien. La logique l’exige.

Mais, c’est en cour d’assises que se déroulent les débats les plus retentissants. Les journaux ont copieusement relaté et commenté le crime, lorsqu’il a été commis ; les feuilles à grand tirage, sous la plume de leurs reporters les plus connus, ont entretenu leurs lecteurs de tous les détails susceptibles de piquer la curiosité du public, de provoquer et d’accroître son émotion. A la veille des grands procès, la presse rappelle le crime et publie à nouveau la photographie de l’accusé et de sa victime. Les avocats les plus renommés prennent place au banc de la défense, Tout est mis en œuvre pour