Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
JUR
1145

donner à l’affaire une allure sensationnelle. Tandis que restent désertes les salles où siègent les magistrats appelés à examiner et trancher les conflits qui mettent aux prises les intérêts les plus considérables, les salles où siège le jury sont prises d’assaut par une foule trépidante de malsaine curiosité. Aussi, conçoit-on que, jalouse de ses prérogatives et de son prestige, la magistrature ait à cœur de se réserver, dans la tragi-comédie des procès les plus retentissants, un rôle de premier plan et qu’elle ne veuille pas abandonner totalement au jury le triste privilège de juger. Qu’on y songe : s’il était admis que, dans un seul des innombrables ressorts de la machine à juger, la présence et le concours des professionnels de la justice ne sont pas indispensables ou ne sont que secondaires, ne se pourrait-il pas qu’on songeât à éliminer ce concours et cette présence d’autres ressorts ? Et, le temps aidant, ne pourrait-il pas advenir que, graduellement écartés des fonctions qui leur sont actuellement dévolues, les magistrats fassent peu à peu figure de personnages inutiles et, par conséquent, suppressibles ?

Je prie le lecteur de ne pas m’attribuer l’opinion que cette suppression soit possible dans une société basée sur le principe d’Autorité. Ce principe serait sans force s’il ne s’appuyait pas sur l’appareil de contrainte et de répression qui, seul, en assure la mise en pratique. L’Autorité appelle de toute nécessité une Constitution qui en est l’expression et qui réglemente ses devoirs et ses droits. Cette Constitution emprunte sa puissance et sa stabilité au système répressif dont la fonction est de punir quiconque s’insurge contre l’ordre établi. Ce système répressif comporte fatalement le policier qui arrête, le magistrat qui condamne, le gardien de prison et de bagne qui répond du condamné et le bourreau qui exécute. Constitution, police, magistrature, service pénitentiaire : du chef de l’État au bourreau, tout se tient et forme la série continue d’anneaux qui, étroitement et indissolublement reliés, constitue l’imbrisable chaîne.

Je prie le lecteur de ne pas m’attribuer, non plus, l’opinion que la suppression des magistrats de carrière — même si elle était compatible avec le maintien du Régime d’Autorité — et leur remplacement par des juges temporaires et occasionnels, assureraient un exercice meilleur de la justice. Dans des études précédentes (voir Juge, Jugement) il a été démontré et, dans des études qui suivront, il sera établi que le juge, quel qu’il soit, ne peut être ni infaillible, ni impartial, ni souverain ; que tout jugement, quel qu’en soit l’auteur, est douteux et exposé à l’erreur ; que la justice, telle qu’elle est pratiquée, n’a rien de commun avec la véritable équité. Il résulte de ces démonstrations diverses et concordantes que ceux qui assument la charge de juger, qu’ils soient élus par le Peuple ou désignés par le Pouvoir, qu’ils soient ou ne soient pas inamovibles, qu’ils forment une caste spéciale ou appartiennent à la masse, sont voués à la même infirmité et frappés d’une même incapacité de juger en pleine lumière, qu’ils ne réunissent pas plus les uns que les autres les éléments d’investigation, de contrôle, de vérification qui les armeraient de cette certitude irréfragable qui, seule, confère à un jugement le caractère de rectitude, de précision et de probité devant lequel la conscience est tenue de s’incliner. — Sébastien Faure.

JURY (Organisation et historique). Le coupable, en cas de flagrant délit, est traduit devant le tribunal correctionnel par voie de citation directe. Sinon, il est déféré au juge d’instruction, en qualité d’inculpé. Si l’instruction est close par une ordonnance de renvoi en police correctionnelle, les charges paraissant suffisantes, le présumé coupable comparaît en qualité de prévenu. Si l’ordonnance de renvoi établit une présomption de crime et non de délit, le dossier est transmis à la

chambre des mises en accusation qui renvoie le présumé coupable, en cas de charges suffisantes, devant la cour d’assises. Ce présumé coupable prend alors la qualification d’accusé. L’accusé qui n’a pas été saisi, qui ne se présente pas sur la notification de l’arrêt de renvoi, ou qui, après sa présentation ou son arrestation, s’est évadé, est dit contumax ; il est suspendu de l’exercice de ses droits de citoyen et ses biens sont mis sous séquestre. Il est jugé par contumace, sans l’assistance d’un défenseur, et la cour statue à son égard sans l’assistance du jury. La contumace est au criminel le défaut de comparaître. L’accusé présent est jugé par la cour d’assises avec l’assistance du jury.

La cour d’assises est la juridiction instituée pour juger les individus accusés de crime. Elle est aussi, depuis la loi du 28 juillet 1881, la juridiction normale des délits commis par la voie de la presse et des diffamations visant les personnes publiques ou les personnes qui détiennent une parcelle de la puissance publique.

Le premier jour de la session d’assises, le président de la cour d’assises fait l’appel des jurés inscrits sur la liste de la session. La cour statue sur les absences et les excuses. Le jury qui doit être formé pour le jugement de l’affaire inscrite à l’audience est composé, pour chaque nouvelle affaire, par voie de tirage au sort. Le président procède à ce tirage. Le ministère public et l’accusé présents ont le droit de récuser au fur et à mesure du tirage ceux des jurés qu’ils ne voudraient pas avoir pour juges, et ce jusqu’à concurrence du nombre de jurés nécessaire pour constituer le jury. Ce nombre est de douze. Si le nombre des jurés qui peuvent être récusés est impair, l’accusé bénéficie du droit de récuser un juré de plus que le ministère public.

La cour, après ces préliminaires, ayant ouvert son audience, et procédé à l’interrogatoire d’identité que doit subir l’accusé, les jurés sont invités à se lever et à prêter le serment dont voici la formule : « Vous jurez et promettez devant Dieu et devant les hommes d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre l’accusé, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé ni ceux de la société qui l’accuse, de ne communiquer avec personne jusqu’à la fin de votre délibération, de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection et de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre. »

Chaque juré, nommément interpellé, doit lever la main et dire : « Je le jure. » Acte est donné du serment. Ce serment est prescrit à peine de nullité. Il est arrivé que des jurés, par scrupule de conscience et pour ne pas se soumettre à son principe religieux, aient refusé le serment. Ils se sont mis dans l’impossibilité de remplir leur fonction et l’affaire a été renvoyée à une autre session. Les annales judiciaires ont conservé le souvenir d’accusés qui, se prétendant lésés par la prolongation de leur détention, à raison de cette remise, ont demandé et ont obtenu de la cour des dommages-intérêts pour réparation de ce préjudice, mais la cour de cassation a cassé l’arrêt qui les leur avait accordé, motif pris de ce que la cour d’assises est incompétente pour statuer sur un préjudice qui ne dérive pas directement du crime ou du délit spécial qu’elle doit juger.

Nous venons de voir que les jurés, dans chaque affaire, devaient être douze. La cour, prévoyant la longueur des débats et l’indisponibilité possible d’un ou deux jurés au cours du procès, peut adjoindre au jury tiré au sort un ou deux jurés suppléants, également tirés au sort en même temps que les titulaires et qui les remplaceraient le cas échéant. Dans une affaire longue et retentissante, la cour, pour parer à toute éventualité, avait cru pouvoir faire tirer au sort trois jurés sup-