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et où la cour n’a pas son siège. En pareil cas, la liste est dressée par le président de leur tribunal. C’est sur la liste annuelle qu’est tirée, dix jours au moins avant l’ouverture des assises, la liste des trente-six jurés qui composeront la liste de la session. Le tirage est fait, en audience publique, par le premier président de la cour, ou par le président du tribunal chef-lieu d’assises. Et c’est sur la liste de la session que sont tirés, avant chaque affaire, et comme nous l’avons dit, les douze jurés appelés à siéger. Le juré qui ne se présente pas pour remplir ses fonctions est passible d’une amende de 500 francs qui peut être réduite par la cour à 200. En cas de récidive, l’amende, de 500 francs, peut être portée à 1000 francs, ensuite à 1500 francs ; le juré, après sa seconde récidive et sa troisième amende, est déclaré incapable d’être juré à l’avenir. Les fonctions de juré constituent une charge civique et sont gratuites. Les jurés qui avaient droit à une taxe de transport, d’après la distance, ont droit, d’après des dispositions récentes, à une indemnité journalière modeste, pour compenser la dépense de leur temps et la perte de leur gain.



Il y eut, dans l’antiquité, des institutions analogues à celle du jury. « Chez les Hébreux, les Grecs, les Romains, on trouve des traces évidentes de la participation du peuple aux affaires judiciaires. Il y avait un juge par 10 hommes selon la loi de Moïse ; ce qui, au total, ne faisait pas moins de 60000 juges. Athènes n’en avait pas moins de 6000 : c’étaient de véritables jurés répartis par le sort entre les divers tribunaux, après avoir été désignés par tous les citoyens. Rome avait évidemment des jurys dont les magistrats n’étaient que les instructeurs et les guides. Les juges ou jurés étaient pris d’abord dans l’ordre des sénateurs, puis on les choisit dans celui des chevaliers, et enfin, les plébéiens furent également admis à cette espèce de magistrature. » Le jury était organisé en Angleterre et en Allemagne bien avant d’exister chez nous.

Nous verrons (au mot justice : historique) que la création du jury remonte à l’Assemblée Constituante. Le mot et l’institution sont d’origine anglaise. Pour serrer de plus près l’imitation, il avait été créé deux jurys : le jury d’accusation et le jury de jugement. Le jury d’accusation a disparu quand l’inspiration révolutionnaire s’est évanouie dans le bouleversement fanatique du premier empire, dans la prud’homie haineuse de la Restauration, quand les sursauts de l’esprit civique se sont figés, laissant la place libre à la mascarade napoléonienne du charlatan qui singeait le conquérant. La loi du 17 juillet 1856 attribua à une section de la cour impériale les mises en accusation ; nous avons encore aujourd’hui cette Chambre des mises en accusation. Il serait d’ailleurs bien difficile, dans l’état de nos mœurs françaises, qu’un juge fût assez sage ou assez résigné pour statuer seulement sur l’opportunité d’une accusation, pour renvoyer un homme en cour d’assises sans prétendre à le juger au fond et sans délai.

Nous avons dit que l’Assemblée Constituante avait reculé devant l’institution du jury en matière civile. Il y a pourtant des litiges immobiliers, des différends, des désaccords que le législateur bien inspiré soumet à la décision d’un jury ; seul le jury peut, dans son indépendance, tenir la balance égale entre le puissant qui dépossède et le citoyen dépossédé.

Les débats civils que le jury tranche par l’allocation de l’indemnité « juste et préalable » sont ceux qui s’agitent en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. L’expropriation publique abaisse l’intérêt particulier devant l’intérêt général. Grâce à la loi vitale du 3 mai 1841, les routes, les canaux, ont pu s’ouvrir, les édifices nécessaires s’élever, et le sang a circulé dans les veines de la France. — L’expropriation se prépare

et s’effectue ainsi : La loi ou le décret ont déclaré l’utilité publique les territoires sur lesquels doit s’exercer l’emprise sont désignés, les formalités administratives sont remplies : le plan des terrains ou des édifices dont la cession paraît indispensable a été dressé, la commission qui doit entendre les avis des propriétaires a donné son avis, les acquisitions amiables ont été tentées ou réalisées, le tribunal rend le jugement qui exproprie. Ce jugement transforme en une occupation précaire le droit du propriétaire sur sa chose, il résout les baux ; et à moins que, dans l’année, l’Administration n’ait pas poursuivi son expropriation, il ne reste plus qu’à régler l’indemnité due à l’exproprié.

L’expropriant a fait des offres, l’exproprié a formulé sa demande, qu’il pourra d’ailleurs modifier jusqu’à la décision finale et même à la barre. C’est entre ces deux termes : l’offre et la demande, que l’allocation doit se mouvoir, elle ne peut être moindre que l’offre ni supérieure à la demande. C’est le jury qui la fixe. Tous les ans, les conseils généraux, dans leur session d’août, désignent pour chaque arrondissement de leur département, les personnes domiciliées dans cet arrondissement parmi lesquelles sera choisi le jury spécial à cette affaire. Le Conseil général compose cette liste en se servant de la liste des électeurs et de la liste des jurés supplémentaires dressée en vue des débats de la cour d’assises.

La loi du 3 juillet 1880 autorise, si des circonstances exceptionnelles l’exigent, l’augmentation du nombre des jurés fixé par la loi de 41, pour le total de la liste générale. Ce nombre, après des modifications successives est de 600 pour Paris, de 200 pour Lyon, de 144 pour Rouen, pour les arrondissements provinciaux de 36 au moins et 72 au plus.

La liste étant ainsi dressée, il s’agit de choisir sur cette liste le jury spécial à chaque affaire. Ce soin est confié par la loi à la cour, dans les départements qui sont le siège d’une cour, et dans les autres départements au tribunal. Le jury spécial doit être composé de seize jurés et de quatre suppléants. Les récusations de l’Administration et de la partie adverse s’exercent sur le jury ainsi composé. Faute de récusation, le jury est réduit d’office au nombre voulu : soit douze jurés. Cette réduction est opérée par le magistrat directeur du jury. On appelle ainsi le magistrat qui est chargé de diriger les opérations du jury et qui est nommé à cet effet par le jugement d’expropriation. Ce juge est assisté du greffier.

Les jurés prêtent serment, mais leur serment n’a pas de formule sacramentelle. Il faut et il suffit qu’ils jurent de remplir leurs fonctions avec probité et surtout avec impartialité. La probité comporte l’impartialité, mais la précision d’impartialité semble plus spécialement exigible.

Le jury, connaissance prise des offres, des demandes, des plans, titres ou documents produits par les parties, peut entendre toutes les personnes qu’il lui convient d’ouïr pour s’éclairer. Il peut se transporter sur les lieux ou déléguer pour cette visite soit plusieurs de ses membres, soit un seul.

Dans la pratique, ces transports sur les lieux sont très usités, le jury entier s’y rend avec son magistrat directeur, dont la présence cependant n’est pas exigée par la loi, dans cette inspection facultative. — Les débats sont ouverts pour les plaidoiries : ils sont publics. Le magistrat instructeur les ayant déclarés clos, les jurés se retirent immédiatement dans leur salle et délibèrent sous la présidence de l’un d’eux qu’ils désignent. Ils doivent être au moins neuf pour délibérer valablement. En cas de partage, la voix du président est prépondérante. Le jury rapporte à l’audience sa décision qui fixe les indemnités à l’égard de toutes les parties en cause : aussi bien les locataires et les usu-