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JUS
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Peuple accueillera fraternellement dans son sein tous les hommes de bonne volonté. La Révolution libertaire ayant extirpé et anéanti les racines de l’Iniquité sociale, le justicier n’aura plus de raison d’être. Il deviendra un personnage historique, évoquant dans la mémoire des hommes le souvenir abhorré des iniquités passées et surtout l’admiration reconnaissante des générations définitivement libérées des cruelles étreintes de l’Autorité. — Sébastien Faure.


JUSTIFIER (lat. justificare, de justus, juste et facere, faire). Faire valoir, faire ressortir qu’une réputation, une attitude est fondée en justice ; c’est proprement dégager le juste et le mettre en relief. Appuyé sur la vérité, corroborée par des témoignages ou des faits, un défenseur peut justifier un accusé, prouver qu’il n’a point dérogé aux édictions de justice, faire éclater son innocence. Justifier une conduite, c’est en établir la légitimité, en démontrer la droiture morale. Mais plus souvent qu’à rendre évidente la loyauté, justifier consiste aujourd’hui à déployer mille ingéniosités — parfois crapuleuses — pour parer des attributs de la justice des causes et des procédés vicieux, des situations de fraude et de spoliation, des institutions de privilège et d’oppression.

Les puissants qui, d’ordinaire, pratiquent habilement l’art de l’auto-justification ne manquent pas, d’ailleurs, de voix complices — appuis bénévoles ou mercenaires — pour « justifier » devant l’opinion les rapts les plus scandaleux et les tyrannies les plus cyniques, pour donner à leurs actes calculés des allures de désintéressement, à tant de combinaisons profitables la physionomie du sacrifice. Il n’est pas un règne qui n’ait eu (notoire ou non) son apologiste, et la lignée des historiens-courtisans, qui tressaient aux monarques criminels des couronnes de vertu, a fait souche démocratique. Politiciens et gouvernants, meneurs d’hommes et brasseurs d’argent, barons de finance et chevaliers d’industrie, manient, deniers en mains, des équipes de « justificateurs » stipendiés…

« On trouve, dit Toussenel, des écrivains pour justifier toutes les sottises et toutes les infamies. » Le journalisme moderne est plein de ces valets de plume qui font métier de justifier les injustices de la richesse et du pouvoir, qui couvrent les abus et les illégalités des arbitres faiseurs de lois, qui présentent sous des dehors moraux et dans le caractère du bien public les exactions et les accaparements dont pâtit le grand nombre abusé. Pour les grands est devenu, du reste, de moralité courante l’adage perfide : « La fin justifie les moyens. » Parvenir est une solution rédemptrice. La réussite comporte des « justifications » qui éclipsent les menées tortueuses et, devant le résultat, s’estompe le chemin. Plus exact que jamais est le mot de Ponsard : « Le succès est le dieu des hommes et semble tout justifier. » Les habiles de notre temps trouvent sans doute bien naïve et désuète la franchise pleine de simplicité judicieuse qui faisait dire à Jean-Jacques : « Je me crois moins coupable en me reprochant mes fautes qu’en cherchant à les justifier. »


JUS (de fruits pasteurisé), n. m. Procédant d’un antialcoolisme éminemment constructif, je préconise la consommation systématique des fruits sous toutes les formes alimentaires et, par conséquent, sous des formes non alcooliques et non fermentées. C’est donc la prohibition volontaire et totale de tout ce qui contient de l’alcool. Et cette mise à l’index tend à l’amélioration physique, intellectuelle et morale de celui qui la pratique.

Généralement, ceux à qui j’ai recommandé l’abstinence volontaire — qui demande un effort et semble priver d’une « délectation » au moins habituelle — l’ont

repoussée, avec plus de prétextes que d’arguments. Pour mieux la répudier, des anarchistes ont invoqué les principes individualistes qui leur sont chers. Ils ne veulent, en effet, disent-ils, aucune « restriction » à leur personnalité. Et supprimer — ou seulement réduire — leur consommation de boissons alcooliques ou fermentées serait diminuer, paraît-il, cette personnalité. Si l’on considère les méfaits de l’alcoolisme, on jugera que le buveur a une singulière façon d’affirmer sa personnalité. A ce titre, celui qui se suicide prouve aussi sans doute l’étendue et la vigueur de sa personnalité… en la détruisant. Il ne me plaît pas d’adopter, pour mettre la mienne en relief, des procédés aussi péremptoires.

L’alcool est, en effet, le plus déplorable et le plus onéreux des « aliments ». C’est, en revanche, un remarquable stupéfiant et par conséquent un réducteur avéré de l’individualité… L’alcool de consommation provient — en général — de la formation par fermentation, du sucre des fruits. Et, tant que des millions d’êtres humains n’auront pas la nourriture suffisante pour leur existence, je ne reconnaîtrai à aucun être humain le droit de transformer le sucre en un poison, l’alcool.

Attentif à conserver ma personnalité, je m’efforce d’utiliser les fruits, qui sont de remarquables et savoureux aliments, sous leurs formes alimentaires : à l’état frais, sec, en conserves, compotes, marmelades, pâtes et bonbons et en jus pasteurisés, sirops et concentrés, qui me nourrissent sans attaquer mes facultés.

Toute une littérature spéciale a fait connaître, surtout aux étrangers, les mérites des jus de fruits. Les Français, qui sont très « avancés » en paroles, les ignorent généralement. La plupart sont encore sous l’emprise des capitalistes de l’alcool, qui dominent la presse et les corps constitués, ainsi — l’un ne va pas sans l’autre — que les gouvernants.

Les pays qui produisent le plus de jus de fruits pasteurisés sont les États-Unis, la Suisse et l’Allemagne. En France, pays très producteur de fruits, rares sont les fabricants de jus de fruits, et spécialement de jus de raisins ou de pommes pasteurisés. La Normandie et la Bretagne, pays très riches en pommes et poires, « affirment leur personnalité » en transformant ces fruits délicieux en cidre et en alcool et en faisant consommer l’alcool aux enfants eux-mêmes dans leur biberon. Résultat : sur 100 conscrits, la moitié sont refusés pour cause de dégénérescence alcoolique.

Dans le Midi vinicole, le raisin est transformé en vin et en alcool, et, chaque année, les asiles d’aliénés doivent s’agrandir pour les clients que leur procurent le vin et l’alcool. Pendant la guerre, la population manquait de sucre ; mais les gouvernants aidaient à en transformer des milliers de tonnes en vin de seconde cuvée.

La France viticole n’arrive pas à procurer à la consommation française le raisin frais et le raisin sec nécessaires au pays. Si bien que les consommateurs français doivent s’approvisionner de ces précieuses denrées à l’étranger, où ils les payent trop cher. De même pour les autres dérivés alimentaires des fruits.

Pendant la grande crise vinicole de 1902-1903, alors que le vin s’est vendu trois francs l’hectolitre, les viticulteurs du Midi se sont refusés à produire des sans-alcool, et depuis, les viticulteurs de Californie se sont outillés et procurent aux consommateurs des pays secs les jus de raisins pasteurisés que les viticulteurs rétrogrades de France ne leur ont jamais fournis… D’ailleurs, les viticulteurs et pomiculteurs de Californie retirent de leur antialcoolisme constructif de tels avantages matériels qu’ils sont parmi les plus ardents partisans du régime sec.

La Confédération Générale des Vignerons (C. G. V.) préconise les jus de raisins, pour les colonies, mais pas pour la France ; car, là aussi, sévit le préjugé pro-