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vinique classique. Elle « protège » les viticulteurs du Midi contre les vins de l’Afrique du Nord et de l’étranger par des droits protectionnistes. Elle ne comprend pas encore que tout le jus de raisin pasteurisé que fabriqueraient et consommeraient les viticulteurs — et surtout les caves coopératives — décongestionnerait le marché du vin.

Le Dr  Legrain, parmi les savants, et M. Challand, parmi les praticiens, ont été parmi les principaux champions de l’Utilisation alimentaire des fruits.

Avec le docteur Legrain et F. Riémain, secrétaire général de la Ligue nationale contre l’alcoolisme, nous avons constitué le Comité national des fruits de France, qui a pour objet de pousser à l’utilisation alimentaire des fruits du pays et des colonies françaises.

Dans « l’Utilisation alimentaire des pommes et des raisins » (une brochure aux Éditions du Monde Nouveau), nous avons exposé, avec le professeur Gachot, de Strasbourg, comment on peut pasteuriser familialement et coopérativement les jus de fruits. Dans cette brochure, nous avons montré les divers appareils nécessaires à cette pasteurisation. Les Annales antialcooliques, de juillet-août 1928, indiquent aussi une méthode industrielle pour obtenir des jus pasteurisés clairs. M. Capron, du Syndicat des cidriers de France, nous a laissé espérer récemment que, par turbination des moûts, on arriverait à séparer des jus de pommes, de poires ou de raisins les parties albuminoïdes — et donc les ferments — et à obtenir des jus de fruits clairs, à bas prix. L’expérience d’un pasteurisateur désintéressé de la première heure, Alindrot, prouve que, pour être réalisée au meilleur marché possible, la pasteurisation des jus de fruits doit être pratiquée familialement ou coopérativement.

Les jus de fruits pasteurisés n’auront jamais la faveur des tabagiques et des alcooliques. Nous pouvons, par contre, les recommander aux gourmets et aux gourmands, notamment aux femmes et aux enfants, ainsi qu’à ceux que préoccupe l’avenir matériel et moral de l’Humanité. — A. Daudé-Bancel.


JUVÉNILITÉ n. f. Dire d’un producteur intellectuel, écrivain ou artiste, qu’il est demeuré « jeune » ne signifie pas, bien entendu, que, grâce à un miracle, il a pu se soustraire au mécanisme du déterminisme universel qui fait parcourir un même cycle à tous les organismes vivants : naissance, croissance, déclin, mort. Cette locution exprime tout simplement qu’en dépit des hivers qui ont pu s’accumuler sur son front, ce producteur n’a rien perdu de l’originalité, de la hardiesse, du dédain des formules scolastiques et de la facilité à la diversité qui caractérisaient les débuts de son œuvre.

On sait que l’observation a maintes fois démontré qu’en ce qui concerne les affaires courantes de la vie, l’on n’a jamais que l’âge que l’on se sent, a fortiori lorsqu’il s’agit de la conception des idées et de l’extériorisation de la pensée.

C’est ainsi que tel intellectuel qui nombre à peine vingt-cinq printemps peut être classé parmi les vieillards qui exploitent encore la branche littéraire ou artistique dans laquelle il opère. On pressent, à la lecture ou à l’examen de ses toutes premières productions, que son esprit ne brisera jamais le moule au-dedans duquel mijote son activité. Littérateur, son dernier roman, son poème ultime portera l’empreinte de son jet initial. Artiste, son dernier tableau, son dernier livret, son dernier émail, sa dernière statue révéleront les mêmes procédés de composition que ses premiers travaux, non point du tout qu’ils aient atteint dès l’abord cette perfection dans les résultats qui rend presque inutile, pour quelques exceptions, un développement ultérieur ; mais bien parce que, dès le principe, il est manifeste que cet intellectuel s’est inféodé à quelque routine, enrôlé dans quelque école à laquelle il restera fidèle jusqu’à la fin — à la façon dont le chien reste fidèle à son maître et à sa niche.

Mais ce n’est point à ces remarques générales que je voudrais m’en tenir. Je veux essayer de rechercher à quels signes évidents l’on peut reconnaître qu’un écrivain ou un artiste est resté « jeune » — jeune de conception et jeune d’exécution — autrement dit de mentalité audacieuse, vigoureuse, ardente ; l’esprit aux aguets, l’entendement aux affûts ; ouvert aux séductions qui jaillissent de l’imprévu, qui sourdent des expériences nouvelles, des sensations fraîches.

Ma thèse est celle-ci : que c’est dans le rôle plus ou moins prononcé que l’aspect sexuel (je ne dis pas génital) de la vie joue dans sa production, qu’on peut déterminer, qu’on peut se rendre compte de la vitalité d’un producteur intellectuel.

En d’autres termes, je prétends (et je m’appuie sur des exemples trop nombreux pour être rappelés) que l’artiste, l’écrivain demeure jeune et vivant, dans la mesure où il reste « amoureux » — je ne dis pas procréateur — car nous savons que l’attirance sexuelle se manifeste tout aussi fortement avant l’apparition qu’après la disparition de la faculté génésique et je ne suis pas dupe des sexologues qui font les affaires de l’État ou de l’Église. Le jour où pour une raison ou pour une autre, l’intellectuel cessera d’être amoureux, sa production portera les marques d’une décadence, d’une caducité, d’une cristallisation indécrottables, même alors qu’on y rencontrerait une apparence d’intérêt au fait sexuel.

Je maintiens que les romanciers, les poètes, les artistes, etc. qui ont eu le bonheur de faire vibrer l’intelligence et d’émouvoir les sens de ceux qui s’intéressaient à leur labeur l’ont dû à ce qu’ils sont demeurés amoureux jusqu’à la fin. Non point, après tout, que l’amour formât le thème inéluctable de leur productivité, mais c’est parce qu’ils étaient amoureux — autrement dit sensibles à la face amoureuse de la vie — que leur œuvre reflétait de si remarquables qualités d’invention, de variété ou de fraîcheur — une pareille spontanéité et un tel brio. — E. Armand.