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La fameuse nuit du 4 août 1789 condamne de nouveau les maîtrises et la loi du 7 juin 1791 confirme que les corporations sont définitivement abolies et supprime les communautés d’arts et manufactures.

De 1789 à 1814, on relate qu’en technique la menuiserie est en décadence.

Si la Révolution a suscité les idées de liberté, les longues et ruineuses guerres de l’Empire les ont complètement anéanties.

Quoique n’étant plus que toléré, le compagnonnage influence les menuisiers et les tient en les facilitant pour voyager et loger chez les mères ; c’est lui qui portera mollement jusqu’au milieu du xixe siècle le drapeau des revendications corporatives.

Un esprit nouveau est né avec la Révolution de 1848, les nouvelles sociétés, l’esprit d’association et de corporation. L’ouvrier de plus en plus matérialiste, rejette le mysticisme spiritualiste.

Le compagnonnage se modifie, de nombreux compagnons s’en détachent : les uns forment le Club des Compagnons du Devoir, d’autres les Compagnons Indépendants.

En 1849 dans toutes les villes de France une scission se produit chez les menuisiers entre les aspirants, qui veulent être traités à égalité, et les compagnons.

Perdiguier, compagnon du Devoir de liberté, ouvrier menuisier, dit Avignonnais-la-Vertu, est élu député de Paris par 117.292 voix ; il écrivit quelques livres très sensés et essaya d’unir tous les compagnons qui se querellaient. Un malaise régnait, un esprit nouveau se manifestait, les croyances s’évanouissaient. En 1853, c’est à Bordeaux que l’on se dispute ; en 1857, à Marseille, les rixes sont violentes entre Compagnons et Aspirants.

Dans le travail, le progrès mécanique se manifeste, à l’Exposition de 1850 par la scie mécanique verticale, par la machine à mortaiser, à raboter. Les machines ne sont encore l’apanage que de quelques gros entrepreneurs, parce qu’elles coûtent cher ; l’ouvrier y voit un mal, il la combat, craignant le chômage. En 1866, les machines se généralisent, la scie à ruban est inventée et figure à l’Exposition de 1867.

Après 1878, les menuisiers sont en partie libérés des Sectes compagnonniques ; ils fondent la Chambre Syndicale des ouvriers menuisiers, d’abord socialiste ; puis, quelques années plus tard, sans se déclarer anarchiste et sous l’influence de divers ouvriers très studieux, tels que Montant le Savoyard, orateur plein d’arguments et de verve, de Franchet de Blois, de Jamim le dessinateur, de tortelier, etc., le syndicat fait de la propagande révolutionnaire socialiste et anarchiste, qui en fait la corporation la plus avancée de France.

En 1888 c’est la manifestation contre la misère et le chômage que les menuisiers organisent à l’esplanade des Invalides avec Louise Michel et Pouget, qui sont condamnés à cinq et huit ans de prison.

Jamin avec l’aide du Syndicat, fait paraître La Varlope en 1835, journal corporatif anarchiste. Des cours de dessin sont ouverts par le Syndicat, l’un, rue Miollis avec Cardeillac, l’autre, rue Charlot avec Jamin, lesquels sont à la fois des cours techniques et sociologiques.

Rétrospectivement, l’outillage fut d’abord rudimentaire, un seul fer était dans les rabots. Longtemps après, probablement à la Renaissance, on mit un simple contre-fer qui empêchait les éclats de bois. Ce n’est qu’au commencement du xixe siècle que quelques menuisiers font ajuster des vis au contre-fer, qui s’appliquent de différentes manières en Allemagne, en France, en Angleterre, ce qui permettait de raboter plus finement.

Depuis 1880, l’outillage fut d’abord en fer et en acier, fabriqué en Angleterre, puis en Amérique, fut introduit en Alle-

magne et en France ; il permit de travailler avec plus de précision et moins de dépenses physiques ; ce sont les rabots droits et cintrés à volonté, les scies à mains, grandes et petites, qui remplacent peu à peu les encombrantes scies à refendre, à débiter et à araser. La routine des vieux menuisiers a été dure à surmonter dans l’outillage. Elle existe encore un peu aujourd’hui.

Les mèches cylindriques à couteaux et à vis remplacent celles dîtes à cuiller, à queue de cochon et anglaises.

Les progrès du machinisme qui se généralise dans le débit des bois, le sciage, le rabotage, moulurage, assemblage et, à présent le ponçage, firent naître la spécialisation, qui nécessita des traceurs, des monteurs, des finisseurs et des poseurs ou pailleux.

Dans les ateliers modernes le taylorisme commence, les ouvriers sont groupés en spécialistes : scieurs attachés à la scie circulaire ou à ruban, d’autres à la raboteuse, à la toupie ou à la ponceuse, etc. Ce sont, après les monteurs de portes, fenêtres, etc. les affleureurs et chevilleurs ; puis, les ferreurs et les poseurs.

Le métier dans le progrès de la machiné s’est subdivisé en menuisiers en bâtiment, menuisiers en meubles, menuisiers en sièges, menuisiers en voitures, ébénistes en pianos, menuisiers de théâtres, layetiers, tabletiers, etc.

Dans tout ceci l’ouvrier menuisier acquiert de la vitesse mécanique au détriment des connaissances techniques générales, qu’il abandonne et perd un peu chaque jour.

S’il y a avantage pour la rapide production, qui profite surtout au patronat, il y a déchéance morale pour l’ouvrier.

Tous les progrès ne profitent qu’au capitalisme, qui y trouve une source immédiate de profits vite réalisés, alors que le menuisier, s’il a moins de mal que jadis, n’en a pas plus de repos ni de bonheur intellectuel, il est modernisé de l’ancien esclave, serf, valet, en ouvrier dépendant du Maître, du Capital et de l’État, qui le pressure d’impôts.

Tous ces progrès pourraient être une source de bonheur pour tous par le rendement intensif en n’occupant l’ouvrier qu’une heure ou deux chaque jour dans les travaux du taylorisme abrutissant. L’ouvrier, le reste du temps, pourrait se consacrer à d’autres travaux manuels ou intellectuels non moins utiles. Mais nous sommes en période de mercantilisme, d’exploitation de l’homme par l’homme, de capitalisme soutenu par l’État. Toutes choses a détruire par la Révolution pour établir la Liberté et le bonheur pour tous. – L. Guerineau.


MÉPRIS n. m. (de mépriser, pour mespriser, de mes (mal) et priser). À l’opposé du respect se place le mépris dans la gamme des sentiments ; c’est le manque de considération ou d’estime pour quelqu’un ou quelque chose. On dira qu’un tel méprise le danger, le qu’en-dira-ton, les préjugés du milieu et du moment. Malheureusement, en majorité, les hommes sont attirés par l’argent, la renommée, le pouvoir ; ils admirent ceux dont la situation sociale est brillante, mais dédaignent ceux dont le rang ne leur semble point digne d’envie. Il est pénible de constater la platitude trop fréquente dont le pauvre fait preuve à l’égard du riche, l’ouvrier à l’égard du patron, le vulgaire citoyen à l’égard des autorités et, à l’inverse, leur arrogance à l’égard d’un plus misérable qu’eux-même, d’un plus faible, d’un plus persécuté. Il suffit de parler de condamné, de détenu, de bagnard pour qu’aussitôt les bien-pensants fassent les dégoûtés ; de malheureux forçats du travail, qui triment sans répit pour arrondir le magot d’un usinier millionnaire, affecteront des allures méprisantes à l’égard de l’irré-