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gulier, du vagabond qui vivent en marge des oppressions collectives ; et la femme, qui eut besoin du maire et du curé pour s’unir à un homme qui la trompe quotidiennement, passera hautaine près de celle qui ne demande à personne la permission de vivre avec celui que son cœur a choisi. Dans les administrations, le chef semble d’ordinaire se croire d’une essence supérieure à celle de ses subalternes ; le professeur de faculté dédaigne le professeur de lycée qui, à son tour, le rend au primaire, trop porté lui-même à se considérer comme infiniment supérieur aux ouvriers dont il instruit les enfants.

Par une adroite distribution de titres, de médailles, de galons, la société entretient soigneusement la croyance en des mérites imaginaires qui élèvent l’individu au-dessus du vulgum pecus et, par contre-coup, provoquent le mépris pour toute existence qui se résigne à rester obscure. « En toutes matières et sans répit, dans nos écoles, le maître classe, numérote, hiérarchise, coupant des cheveux en quatre, s’il le faut, afin d’avoir un premier et un dernier. Travail malaisé, je vous assure, quand les copies se valent à peu près ou que l’appréciation garde un caractère subjectif comme en devoir français. La manie du classement éclate jusque dans les manuels scolaires ; en histoire, en littérature, les personnages sont disposés par ordre de grandeur, tels des poupées de cire dans la vitrine d’un musée ; et ce sont d’interminables querelles pour savoir qui l’emporte de Corneille ou de Racine, de Robespierre ou de Danton. Mais foin de la masse anonyme : on ne s’intéresse qu’aux hommes à qui l’on dresse des statues. Ainsi germent les désirs de gloire, de richesses ou d’aventures dans le cerveau de nos enfants, incapables désormais de comprendre la noblesse des taches obscures ». « Observez les enfants pendant qu’on lit un palmarès ou qu’on donne les résultats d’une composition : la flamme qui brille dans la prunelle des bien-casés, les éclairs de haine, les lèvres balbutiantes des autres ; quand l’attitude de l’ensemble ne témoigne pas d’un mépris souverain pour le correcteur. Et peut-être croirez-vous moins aux bienfaits de l’émulation ! On dresse de petites idoles, infatuées de leur personne, jalouses des concurrents sérieux, méprisantes pour les camarades étiquetés médiocres ou nuls ; prodiges à quinze ans, fruits secs à quarante, munis de parchemins peut-être, dénués pourtant du pouvoir créateur qui caractérise l’homme de génie. » (Le Règne de l’Envie). Et, si les maîtres méprisent les serviteurs qui peinent quotidiennement pour les engraisser, ces derniers, à défaut de plus malheureux qu’eux-mêmes, se vengeront sur les animaux. Les coups, la fatigue, avec les maigres joies d’une pauvre pitance, voilà, pensent-ils, qui suffit à leurs compagnons douloureux ; point de survie pour ces derniers, point de justice par delà la tombe ; cet espoir, les prêtres le réservent aux hommes. Aux yeux d’un catholique c’est chose ridicule d’être bon pour les bêtes même domestiquées. Du haut en bas doit régner le mépris pour ce que nous estimons des formes inférieures de vie.

À l’inverse, nous pensons que le mépris n’est légitime qu’à l’égard des exploiteurs de l’ignorance et de la sottise humaine. Dans tous les autres cas, c’est la pitié, une pitié sans borne, qui doit nous guider, lorsqu’il s’agit de malheureux humains victimes de l’injustice sociale, de la nature ou du sort, et même en présence du plus humble des organismes vivants. « Fils de la terre, frères de tout organisme en voie d’évolution, inclinons-nous avec douceur vers la fleur entrouverte, n’écrasons pas sans raison le vermisseau gisant à nos pieds. Qu’une infinie pitié nous soulève devant la souffrance imméritée de l’homme et des autres vivants ses compagnons ; opérons l’œuvre rédemptrice que les dieux n’ont pu faire. » (Par delà l’Intérêt). Le fouet

de notre mépris réservons-le aux vendeurs du temple, aux potentats que les peuples bernés adorent, aux faux savants, aux larbins de l’Académie, aux parlementaires tripoteurs, aux institutions et aux hommes qui oppressent les consciences et les volontés. Aux autres, même coupables, même peu intéressants, distribuons les trésors d’une compassion aussi universelle que la souffrance. – L. B.


MÈRE n. f. (du latin : mater). Femme qui a mis au monde un ou plusieurs enfants.

Dernier stade de l’évolution de la femme, tant dans le domaine physiologique que psychologique. La vierge, la femme stérile, sont des femmes incomplètes. Physiquement, la femme qui a été mère est plus belle et conserve sa fraîcheur plus longtemps que la femme qui n’a pas connu la maternité. Évidemment, il ne peut être question des femmes aux maternités trop souvent répétées, pour lesquelles la maternité ne signifie que gêne, restrictions et fatigues. Mais, à âge égal, la femme qui n’a jamais été mère est en général plus fanée que celle qui connut quelques maternités heureuses, assez espacées pour permettre au corps de se raffermir et de reprendre sa vigueur, et qui n’eut pas à connaitre les privations et le surmenage. La maternité est l’épanouissement de la femme, la mère est la femme dans la plénitude de sa force et de sa grâce. Le charme puéril et gracile de la vierge ne peut pas être comparable à la beauté de la mère. Qui n’a admiré le tableau d’une jeune mère allaitant son enfant ? C’est une image de vie d’une force saisissante, et devant laquelle le penseur est ému. C’est que la « Mère » est dans le sens de la vie. Dans l’ordre naturel aussi bien que dans l’ordre social, la femme qui n’est pas mère n’a pas de raison d’être. La mère est la fondatrice de la famille et de la société. À l’origine des âges, l’homme, nomade par instinct, ne s’est fixé au sol que parce que la mère l’y a fixé. Élie Reclus, dans son ouvrage sur Les Primitifs nous le dit éloquemment : « Nonobstant la doctrine qui fait loi présentement, nous tenons la femme pour la créatrices de la civilisation en ses éléments primordiaux. Sans doute, la femme à ses débuts ne fut qu’une femelle humaine ; mais cette femelle nourrissait, élevait et protégeait plus faible qu’elle, tandis que son mâle, « fauve terrible, ne savait que poursuivre et tuer. Il égorgeait par nécessité et non sans agrément. Lui, bête féroce par instinct ; elle, mère par fonction… »

C’est sur cette fonction de la mère que la civilisation s’est édifiée. La mère est aussi vieille que l’humanité. Les primitifs ignoraient la paternité, n’établissant pas de relation entre l’acte sexuel de la fécondation et la mise au monde d’un enfant par une femme. Mais le lien maternel était indéniable. Fécondée au hasard par l’un ou par l’autre, la mère seule existait. Ses enfants l’entouraient. La horde primitive ne connaissait pas le père. Elle allait sous la conduite du chef, auquel tous obéissaient, mâles et femelles ; les mères chargées des petits, les hommes chargés du butin. Quand la horde se fixa, la mère devint la créatrice du foyer. Dans la hutte grossière, elle était la gardienne et la protectrice des enfants, pendant que les hommes étaient à la chasse et à la pêche, ou s’occupaient à cultiver le sol, chez les peuples agriculteurs. Gardienne des enfants, elle devint également gardienne du butin et des récoltes, qu’elle dut conserver et administrer. De là ces fonctions qui sont devenues la consécration sociale de la femme, mais qui, ne l’oublions pas, lui ont été conférées parce qu’elle était la mère. Mais là ne s’est pas bornée la participation de la mère à l’œuvre civilisatrice. La civilisation lui est encore redevable de la plus noble des forces morales qui ait soutenu et consolé l’humanité et qui la conduira vers l’harmonie et le bonheur : l’amour. L’amour maternel est à l’origine de tous les amours. Fait sans doute d’instinct et d’animalité dans son ex-