Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MER
1510

pression première, il était cependant l’amour, et le seul amour qui fut. Ayant à protéger plus faible qu’elle, à soigner, secourir, consoler, la mère apprit le dévouement, la sollicitude, la tendresse patiente, la pitié, l’indulgence, le pardon. Toutes ces vertus qui, par la suite, se développeront d’âge en âge, et qui contiennent la rédemption morale du monde, c’est la mère qui les a apportées au monde. Ce n’est pas la femme, ainsi qu’on le dit couramment. La femme, prise en tant qu’individu au même titre que l’homme, est, comme lui, égoïste et comme lui recherche le plaisir et la jouissance. Elle ne s’élève à l’altruisme, au désintéressement, que par la maternité qu’elle porte en elle et qui domine toute sa vie, même lorsqu’elle n’est pas mère. Il est nécessaire de ramener toujours une question à son point de départ, et celle-ci plus que toute autre. On a tendance aujourd’hui à décrier la maternité, à rabaisser la mère, à l’inférioriser socialement et moralement. C’est une grave erreur des temps modernes. Le machinisme, qui enlève la mère à ses enfants et détruit l’harmonie du foyer, obnubile notre raison et nous porte à juger faux en subordonnant aux questions d’ordre secondaire les vérités primordiales et fondamentales de la vie. Le machinisme passera. La mécanisation à l’américaine n’est heureusement qu’une de ces erreurs comme l’humanité en commet dans sa marche au progrès, mais dont elle guérira. Et « la mère » survivra au mal moderne, comme elle a survécu à tous les bouleversements sociaux et économiques. Elle y survivra précisément parce qu’elle est la Vie, source de vie et d’amour, dispensatrice du bonheur humain, régulatrice des mœurs et de la morale. Toutes les vieilles religions du passé ont élevé sur le monde le mythe rédempteur d’une mère portant un enfant sur ses bras. C’est un symbole d’une haute signification, qui est encore l’espoir des penseurs et des moralistes, dans l’apparente confusion et contradiction des théories de l’heure présente. Mais la confusion n’est qu’apparente. L’ordre est la loi du cosmos et le rythme du temps. La « mère » restera la conception la plus parfaite de l’universelle vie et de l’universel amour, parce qu’elle est l’image la plus vraie du principe d’Universalité.



Fonction physiologique. — Physiologiquement, la mère passe par trois phases distinctes : l’attente, l’enfantement, l’allaitement. Toutes les femmes ne ressentent pas de la même façon la première phase. Si l’enfant est désiré, conçu volontairement, s’il est aimé avant sa conception même, l’attente est une période heureuse. Il se produit alors, chez la future mère, un travail psychologique qui marche de pair avec la fonction physiologique et qui est du plus heureux effet sur l’intelligence et la pensée. Ramenée sans cesse vers le petit être qu’elle sent vivre en elle, la femme se trouve presque à son insu portée vers les graves questions de la vie. Cet enfant qui va naître lui révèle le monde. Si l’enfant n’était pas désiré, ou si la mère est déjà fatiguée par des maternités pénibles, cette période de l’attente pourra être, à ses débuts surtout, une source d’ennui et de mécontentement. Mais, même dans ce cas, l’apaisement se fait, surtout si la femme a déjà été mère, car il lui devient alors impossible de séparer celui qui va naître de celui ou de ceux qui l’ont précédé. En général, quand l’enfant naît, s’il est mal accueilli du père – ce qui arrive fréquemment dans la classe populaire, lorsqu’il vient s’ajouter à d’autres – il est déjà aimé par sa mère. Les hommes du peuple protestent contre la charge de nombreux enfants, mais n’apportent aucune prudence dans l’acte procréateur. Et il est remarquable que ce soit la mère, fécondée sans sa volonté, qui témoigne alors le plus de désintéressement, et accueille le pauvre petit non dé-

siré, sinon avec joie, du moins avec une pitié tendre. L’homme peut mépriser son petit, l’insulter de noms grossiers ; mais la mère, dès l’enfantement, éprouve déjà le besoin de protéger et de soigner. Il y a certes des exceptions, mais nous n’avons à nous occuper ici que de la règle générale. L’instinct maternel est un fait indéniable. Il n’est ni miraculeux, ni sacré, ni infaillible. Il ne confère pas l’intelligence à qui ne la possède pas. Il repose tout entier sur la communauté physiologique. La mère aime son enfant parce qu’il fait partie d’elle-même, parce qu’il est le prolongement de sa vie, un peu de sa chair qui continue à vivre en dehors d’elle. Elle est unie à lui par la sensibilité qu’elle a d’elle-même. Les cris de souffrance de son enfant se répercutent en elle comme un écho de sa propre souffrance, ce qui explique cette clairvoyance maternelle, que nombre de médecins attesteront, et qui souvent sauve l’enfant malade. La nourrice-mercenaire, presque toujours avertie trop tard, réclame le médecin alors qu’il n’est plus possible d’intervenir. La mère, elle, peut exagérer dans le sens contraire ; mais le souci constant que lui inspire son petit, l’inquiétude permanente qui veille en elle, sont la sauvegarde même de l’enfant.

Quoi qu’en prétendent certains adversaires de la maternité, la mère ne se remplace pas. La maternité, étant fonction de vie, de pensée et d’amour, ne s’industrialisera jamais. « Toutes les précautions qui doivent entourer un enfant, dit le Dr  Vatrey, ne sont vraiment bien prises que par la mère. » À l’appui de cette déclaration, il donne les statistiques suivantes, établies par lui-même, d’après ses propres observations :

Enfants nourris au sein par la mère, mortalité, 11, 9 pour 100 ;

Enfants nourris au biberon par la mère, mortalité, 30, 6 p. 100 ;

Enfants nourris au sein par une nourrice, mortalité, 36 p. 100 ;

Enfants nourris au biberon par une nourrice, mortalité, 77 p. 100.

Ainsi donc, l’enfant élevé par sa mère au biberon a plus de chances de vivre que l’enfant élevé au sein par une nourrice.

L’instinct maternel et l’instinct sexuel. — Qu’il y ait dans l’attachement de la mère pour l’enfant un souvenir de l’instinct sexuel, c’est évident et explicable par la physiologie même de la maternité qui a son point de départ dans l’ovaire, lequel est également l’organe sexuel féminin.

Le plaisir de l’allaitement est analogue au plaisir sexuel surtout masculin : c’est une sécrétion non spontanée, mais arrachée.

Mais prétendre, comme Freud, qu’il y ait dans la tendresse de l’enfant vers la mère une préformation de l’instinct sexuel, c’est mythologie pure. C’est mettre la charrue avant les bœufs. La sensualité de l’enfant n’est rien d’autre qu’un mouvement pour reformer la communion alimentaire qui existait dans la vie intra-utérine. Tout au contraire, c’est l’instinct sexuel qui, lorsqu’il se produira, conservera quelque chose de l’amour de l’enfant pour la mère.

« Il rêvera partout à la chaleur du sein », dit Vigny. Le principe positif qui doit nous guider ici, est le suivant : tout le passé est conservé dans le présent ; mais l’avenir physiologique n’y est pas annoncé. Supposer le contraire est le fait d’un esprit mal dégagé des vieilles croyances religieuses.



Évolution de l’amour maternel. – L’amour mater-