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MER
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nel est un thème universel. La littérature, la poésie, l’art, y ont puisé au travers les siècles.

Fait d’héroïsme et de clémence,
Présent toujours au moindre appel,
Qui dira jamais où commence
Où finit l’amour maternel ?

Sully-Prudhomme.

Force aussi vieille que le monde, au-dessus de tout ce qui passe et se transforme, l’amour de la mère est resté l’amour qui ne passe pas. Seul, il sait faire abstraction des formes de la matière pour aimer seulement l’être que cette matière enferme. Pour l’amour maternel il n’y a pas de difformité, de laideur, d’infériorité. Il donne sans espoir de retour. Il n’attend pas la prière, il la devance, il la rend inutile. Il est à la mesure même de la nécessité ; il descend aux plus infimes détails et s’élève aux plus hautes conceptions de la pensée. Il est puéril et sublime. Il est la faiblesse et la force. Il est la vie qui passe et pourtant demeure. Il est patient comme Dieu parce qu’il est éternel comme lui. Il est Dieu matérialisé et vivant. Au demeurant le seul Dieu, puisqu’il est le seul amour, source de tout amour et de toute vie.

Pour expliquer cette force de l’amour maternel, il faut comprendre que la grandeur de l’amour se mesure à sa puissance de renoncement. Or, l’amour maternel est fait de renoncements successifs, de déchirements répétés. C’est d’abord la déchirure de l’enfantement, physiquement la plus cruelle, et cependant celle qui est la plus rapidement oubliée. Car le petit est là. La communion intra-utérine, un moment détruite par la rupture du cordon ombilical, se reforme dans l’allaitement qui prolonge l’union de la chair. Mais avec le sevrage le lien du sang est définitivement brisé. Pourtant le tout-petit est encore étroitement uni à sa mère, dont il lui faut les soins incessants, la surveillance continuelle. Puis, il apprend à marcher, il s’en va seul, sans son aide. Nouvelle rupture et nouveau déchirement. Il en sera de même à chaque phase de la vie enfantine : l’école, les départs de vacances, l’apprentissage, les amitiés qui se noueront en dehors du foyer familial. Un jour ce sera l’éloignement définitif. Ainsi se développe et s’accroît l’amour maternel. Il a puisé ses racines premières dans le lien physiologique. D’abord instinct presque animal, égoïste dans ses manifestations, il s’élève peu à peu au sentiment le plus pur, parce qu’il conserve, à sa base, la sensibilité primitive, sensibilité sans cesse renouvelée par la série des déchirements imposés par la loi de nature. Fortifié par les craintes, les absences, les inquiétudes, par l’habitude prise de donner gratuitement, il devient alors capable des plus grands renoncements, compréhensif jusqu’à l’acceptation de rester incompris. Arrivé à ce stade il est devenu altruiste.

Ainsi la mère, par le fait même de sa maternité, touche au sublime humain. Restée sensible par la déchirure jamais cicatrisée de ses entrailles, elle reste davantage vivante, soumise aux nécessités de la vie, capable de répandre autour d’elle la sollicitude généreuse dont elle a enveloppé ses enfants. Si, dans le domaine physiologique, la mère est la femme parvenue à son complet épanouissement, dans le domaine psychologique la mère est la femme intégralement développée. Ce sont précisément les qualités maternelles que la femme porte potentiellement en elle qui font d’elle la dispensatrice du bonheur humain et la régulatrice des mœurs. Une telle femme peut avoir une influence morale profonde et bienfaisante sur son milieu. C’est pourquoi ce serait commettre une faute irréparable que de réduire la femme à n’être plus qu’un rouage du mécanisme industriel, une machine à écrire ou à calculer, une femelle à laquelle on arra-

cherait ses petits pour les élever comme des troupeaux, parqués dans des internats. La mécanisation, si nuisible à l’homme, est néfaste à la femme, dont elle détruit les forces créatrices, lui enlevant ainsi toute signification dans la société humaine. La femme a mieux à faire qu’à s’épuiser pour la production de richesses fictives, en des besognes qui tariraient en elle la source de la sensibilité. Où la sensibilité manque, la vie manquera toujours. Et quel bénéfice tirerait l’humanité d’une richesse acquise au prix même de la vie ?



La Mère éducatrice. — De tout ce qui précède, il s’ensuit que nul n’est qualifié comme la mère pour être la première éducatrice de l’enfant, l’initiatrice à la vie, à ses nécessités et à ses lois. Cette première éducation, toute de douceur et de patience, demande comme condition essentielle la compréhension et la tendresse. Or, la mère a appris à connaître son enfant dès que la vie s’est manifestée en lui. Elle sait distinguer dans ses cris, la joie, le besoin, la souffrance. Dans ses premiers essais de langage, elle devine l’esquisse des mots, elle en aide l’articulation en les lui répétant inlassablement. Ensuite, elle lui apprendra à assembler les mots pour en faire des phrases. Elle lui révèle les vérités élémentaires : le feu brûle, la lumière éclaire, le couteau coupe, l’eau mouille, la boue salit. Elle lui apprend les premières prudences pour éviter les accidents ; l’acceptation des choses inévitables ; l’accoutumance à l’effort. Elle le console de ses échecs, l’invite à la persévérance. Elle l’initie à l’endurance et au stoïcisme en le faisant sourire après une douleur : « Allons, n’y pense plus », dit-elle en lui donnant un baiser. Tout cela peut paraître mesquin à qui regarde superficiellement ; tout cela, pourtant, c’est l’apprentissage de la vie, et la formation du caractère. Et ce n’est pas, ainsi qu’on a pu le prétendre, une œuvre niaise et abêtissante. Au contraire, c’est une œuvre qui réclame toutes les vertus et tous les dévouements ; une œuvre où la sensibilité joue le rôle essentiel. Des mercenaires en seront toujours incapables. Et quelle mercenaire voudrait accepter pareille tâche, fastidieuse si l’amour ne l’éclaire pas ? Jamais une étrangère ne remplacera la mère, à quelques exceptions près. Socialiser la maternité est chose impossible. L’éducation première réclame une présence, toujours la même, une vigilance inlassable, ne se mesurant ni à l’heure, ni à la journée. L’œuvre maternelle ne peut ni se chronométrer, ni se tarifer. Et réjouissons-nous qu’il en soit ainsi, dans cette folie de standardisation qui sévit aujourd’hui.

Si la mère, ai-je dit, est la dispensatrice du bonheur humain, n’est-ce pas parce qu’elle en fait l’apprentissage en donnant à son enfant la science du bonheur ? Elle la lui donne par sa présence, par sa gaîté, par ses caresses, par les chansons qu’elle lui chante, par les promenades où elle lui fait observer le vol des papillons et la beauté des fleurs, par la quiétude dont elle l’entoure. Elle la lui donne en apaisant ses colères et ses inquiétudes, en lui enseignant à dominer ses petites passions. Elle la lui donne par ces premières initiations que j’énumérais tout à l’heure. Elle lui enseigne la grâce de vivre, lui apprend à être heureux, ce qui est peut-être la science la plus difficile à enseigner, et pourtant celle dont l’humanité a le plus besoin. Cet enseignement commence avec la vie. L’enfant qui n’a pas connu le bonheur dans ses premiers ans, conservera toujours une ombre sur son caractère, une inquiétude dans sa pensée, nuisibles à son développement. La confiance et la générosité pourront, de ce fait, lui faire défaut.

Cette éducation de la mère n’est ni didactique, ni livresque. C’est une éducation faite de gestes et