Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MER
1512

d’échange de tendresse, inspirée par l’heure et les circonstances. Dans cet échange, la mère, à son tour, puise des ressources nouvelles d’amour, de patience, de compréhension de la vie. Elle se pacifie, s’élève à la sérénité, acquiert une philosophie naturelle où le bon sens s’alimente à la source sensible qu’elle porte en elle, et qui, si souvent, lui fait voir juste et raisonner sainement.

La mère n’a pas à donner l’éducation intellectuelle. Elle peut y aider, à la maison, si l’enfant fait appel à ses connaissances, demande un renseignement, un éclaircissement. Mais l’instruction proprement dite devra être donnée en dehors. Je l’ai maintes fois répété : il faut, à l’éducation rationnelle de l’enfant, la coopération du foyer et de l’école. « L’idéal éducatif, ai-je dit, c’est l’enfant élevé dans sa famille, par ses parents, près de ses frères et sœurs, avec comme point de contact social l’école en commun plusieurs heures par jour en compagnie d’enfants de son âge ». Je ne puis que le redire encore. L’école donne l’enseignement ; la famille développe le sens moral. Mais l’éducation morale doit avoir précédé tout enseignement, et la première éducation maternelle est essentiellement morale, non pas par des préceptes, mais par l’exemple, et par l’ambiance qui enveloppe l’enfant. C’est pourquoi l’école ne devra pas commencer trop tôt ; mais seulement vers la sixième année. Le caractère, alors, étant formé, la société des autres enfants deviendra nécessaire à l’enfant pour lui permettre d’acquérir les qualités de sociabilité, d’endurance, de tolérance, d’urbanité, qui lui seront indispensables pour la conduite de sa vie. L’enfant qui serait exclusivement instruit dans sa famille deviendrait un tyran, à tout le moins un incapable de vie sociale. Mais, près de l’école où il puise les notions d’égalité civique et de fraternité humaine, le foyer restera le refuge toujours ouvert où il retrouvera la paix, le bonheur, la tendresse, et cette liberté individuelle dont chacun a besoin ; le foyer où la mère fera rayonner la bienfaisante influence de sa douceur, accrue et augmentée par l’expérience qu’elle-même aura acquise pendant l’accomplissement de sa tâche maternelle.

On prétendra peut-être que j’ai donné là une définition de la mère idéale. Sans doute. Mais toute mère peut et doit réaliser cet idéal. Il lui suffit d’apprendre et de comprendre la grandeur de sa tâche, sa vraie tâche, celle que lui assignent la nature et la vie. Je ne prétends pas qu’elle ne puisse pas en remplir d’autres ; mais les autres tâches peuvent se passer d’elle, alors qu’elle est irremplaçable dans sa mission maternelle. Il faut qu’elle sache qu’en la désertant, c’est l’humanité qu’elle voue à la misère morale.

Les Mères et la Paix, l’Universelle Maternité. – Puisque la mission maternelle est une mission d’amour, il faut que les mères comprennent qu’elles ont à remplir un devoir auquel jusqu’à présent elles ont insuffisamment songé. Il faut qu’elles deviennent des éducatrices de paix. Cette science du bonheur qu’elles donnent à leurs enfants, il faut qu’elle soit orientée vers le bonheur universel. Cette paix des gestes, du langage, de la vie familiale, il faut qu’elle contribue à former chez l’enfant un esprit pacifique.

La mère, qui a d’abord aimé son enfant égoïstement, a appris à l’aimer pour lui-même, en acceptant les ruptures naturelles, les séparations imposées par la vie. Mais, en l’aimant assez pour le voir libre et éloigné d’elle, elle ne l’entoure pas moins d’un amour exclusif. Elle veut son bonheur sans songer aux conditions mêmes de ce bonheur. Il faut qu’elle fasse un pas de plus sur ce chemin de l’altruisme. Il faut que sa maternité s’élève au principe d’universalité ; il faut qu’elle veuille non seulement le bonheur des siens, mais encore le bonheur de tous. Ce principe d’univer-

salité, elle le trouvera dans l’amour de son enfant, si elle songe qu’elle-même n’est qu’une fraction de l’Universelle maternité, et que l’amour qui l’anime est celui de toutes les mères. Quand les mères auront compris cela, elles seront des éducatrices splendides, car elles auront également compris qu’en élevant leurs enfants dans le souci des autres, elles augmentent pour eux-mêmes les chances de bonheur. Elles auront compris que le bonheur d’un seul n’est pas possible dans une humanité rongée par l’orgueil et l’égoïsme.

La guerre, épouvantail des mères, serait impossible demain, si ce principe de maternité universelle était reconnu, si les mères savaient étendre l’amour qu’elles ont pour leurs fils à tous les fils, si elles se sentaient vraiment les « mères de tous les hommes ».



La Mère dans la société et devant la loi. — L’importance du rôle maternel n’est pas une vérité nouvelle. Les penseurs de tous les temps ont honoré la maternité. Dans tous les pays et à toutes les époques le rôle de la mère a été particulièrement respecté. Les premières civilisations scandinave et germanique admettaient la mère dans leurs assemblées, tenaient compte de ses conseils, et dans les circonstances graves – particulièrement en ce qui touchait la famille – s’en remettaient à son jugement. Dans l’Inde, la mère prenait le titre de djajaté, « celle qui fait renaître ». Chez les Juifs, la maternité conférait à l’épouse des droits particuliers. En Grèce, l’épouse était soumise à la même réclusion que la vierge tant qu’elle n’avait pas enfanté. À Rome, la maternité donnait à l’épouse le droit d’hériter, non seulement de son mari, mais encore d’un étranger. Les sénateurs romains se découvraient devant la femme enceinte. L’antique Égypte divinisait la mère. Les exemples abondent. Et on a pu être frappé, à juste titre, de la contradiction qui, existait entre ce respect de la maternité et la sujétion dans laquelle les mères étaient légalement tenues. Libres par leurs enfants, elles n’avaient le droit ni de les élever, ni de les diriger, ni de les marier. Cette, ancienne législation se retrouve encore aujourd’hui dans notre loi française. Le Code assimile la mère aux mineurs, aux repris de justice et aux fous. La maternité, cette plus haute fonction humaine puisqu’elle est créatrice, cette première fonction sociale puisqu’elle est la base de la société, la maternité est ravalée au rang de la servitude par l’obligation faite à l’épouse d’obéir à son mari. Or, la noblesse même de la maternité est atteinte par cette obligation de servitude. Qu’il n’en soit pas tenu compte dans les unions heureuses, c’est exact ; mais il n’en est pas moins vrai que la loi qui consacre cette servitude existe, et que tant qu’elle ne sera pas abrogée, elle blessera la dignité de la mère. La maternité ne doit pas seulement être libre dans l’accomplissement de l’acte, elle doit encore conférer à la mère la liberté légale et sociale. Si la mère est la protectrice et l’éducatrice naturelle de l’enfant, celle qui le comprend le mieux, celle dont l’amour constitue la sauvegarde des jeunes générations, on ne peut pas admettre qu’elle soit maintenue légalement dans une situation humiliante pour sa fonction d’éducatrice. Il faut à l’enfant, tant que la raison ne peut pas encore lui permettre de diriger sa vie, des protecteurs naturels. Notre Code le reconnaît ainsi : « L’enfant reste, jusqu’à sa majorité ou son émancipation, sous l’autorité de son père ou de sa mère ». Ce serait bien si le Code ne s’empressait d’ajouter ; « Le père exerce seul cette autorité ». C’est là une injustice flagrante. Sans que l’autorité soit exclusivement accordée à la mère (comme certains le demandent) puisque la responsabilité du père lui confère à lui aussi des droits, il serait pour le moins équitable