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MAH
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l’envoyé céleste. A la fin, il se persuada de la vérité de sa mission et les longs déboires du début, les moqueries et les persécutions qu’il devra subir ne parviendront pas il ébranler sa conviction. On le traita de fou et de charlatan, on lui jeta des pierres, on lui cracha au visage ; ce fut en vain, Et après les triomphes qui suivront, lorsqu’il aura savouré les joies de la toute-puissance, sa mort témoignera encore de sa sincérité. Sentant qu’il était perdu, il s’en vint à la mosquée pour déclarer au peuple : « O vous qui m’écoutez, si j’ai frappé quelqu’un sur le dos, qu’il me frappe. Si j’ai blessé la réputation de quelqu’un qu’il m’injurie. Si j’ai pris de l’argent à quelqu’un qu’il se paye. » Et il fit indemniser aussitôt un homme qui lui réclamait le paiement d’une petite somme. Sauf les trois derniers jours où son état ne le permit plus, il continua de prier en présence du peuple.

Mais Mahomet ignora absolument la tolérance ; aussi cruel que le clergé catholique du moyen-âge il voulut imposer sa doctrine par la force. Contre les adorateurs des idoles, les païens, il fut féroce ; mieux disposé à l’égard des juifs et des chrétiens « détenteurs d’Écritures », il persécutera pourtant les premiers, « des ânes chargés de livres », parce qu’ils l’accusaient, non sans raison, de plagier la Bible. Fort modéré dans sa conduite ordinaire, il perdait toute mesure dès qu’il s’agissait d’infidèles refusant d’admettre son enseignement. « Combattez dira-t-il, ceux qui ne croient pas à Dieu et au Jour Dernier. Si vous ne marchez pas au combat, Dieu vous en demandera un compte sévère. Il mettra un autre peuple à votre place. » Le djihad, la guerre sainte, est particulièrement agréable à Allah : « Le paradis est à l’ombre des épées. Les fatigues de la guerre sont plus méritoires que le jeûne, la prière et les autres pratiques de la religion. Les braves tombés sur le champ de bataille montent au ciel comme des martyrs. » On voit combien l’islamisme se rapproche de l’Église romaine, à ce point de vue. Ne lit-on pas dans Saint Thomas d’Aquin : « L’hérétique est pire qu’un chien enragé et doit comme lui être abattu ! » Croisades chrétiennes et atrocités de l’Inquisition constituent le digne pendant des brutalités musulmanes. Lors de sa guerre contre les mecquois, le prophète arabe se comporta en brigand ; il fit massacrer tous les hommes d’une tribu juive et réduisit en esclavage les femmes et les enfants ; après le combat de Deür, il mit à mort des prisonniers et, à l’un d’eux qui lui demandait angoissé : « Qui prendra soin de mes enfants ? », il répondit implacable : « Le feu de l’enfer ! » S’il amnistia presque tous ses ennemis, après la prise de la Mecque, ce fut par calcul, afin d’assurer la soumission rapide du reste de l’Arabie. Sur son lit d’agonie, il donnait encore des instructions à ses lieutenants pour l’expédition militaire de Syrie ; il fut l’inspirateur de la politique de conquête que les Arabes suivront après sa mort.

On sait que la doctrine de Mahomet est contenue dans le Coran (voyez ce mot), recueil des paroles et des discours que ses disciples transcrivirent de suite avec un soin pieux ou gardèrent fidèlement dans leur mémoire. La première édition parut en 633, sous le khalifat d’Abou Bekr, et le texte définitif en 659, sous celui d’Othman. C’est une œuvre de bonne foi, dont l’authenticité ne peut être mise en doute, au moins pour l’ensemble. Au point de vue littéraire les appréciations portées à son sujet sont contradictoires. Salomon Relnach le qualifie de pauvre livre : « Déclamations, répétitions, banalités, manque de logique et de suite dans les idées y frappent à chaque pas le lecteur non prévenu. Il est humiliant pour l’esprit humain que cette médiocre littérature ait été l’objet d’innombrables commentaires et que des millions d’hommes perdent encore

leur temps à s’en imprégner. » Barthélémy Saint-Hilaire émet un jugement tout opposé : « C’est, d’après lui, le chef-d’œuvre incomparable de la langue arabe, et ses qualités littéraires ont contribué à l’influence inouïe qu’il a exercée. On a cru d’autant mieux qu’il était la parole de Dieu, que jamais encore homme parmi les Arabes n’avait fait entendre de tels accents. » Quoi qu’il en soit, l’éloquence naturelle de Mahomet fut admirée de ses adversaires comme de ses amis. « Son art, disaient les premiers, ne consiste que dans sa parole insinuante » ; et l’un de ses fidèles déclarera, après l’avoir entendu pour la première fois : « Mahomet parle comme je n’ai jamais entendu parler personne. Ce n’est ni de la poésie, ni de la prose, ni du langage magique ; mais c’est quelque chose qui pénètre et remue. » Certaines conversions fameuses, celle d’Omar et du poète Lebid par exemple, furent dues au charme de ses harangues. A ceux qui lui demanderont un signe, une preuve de sa mission divine, le prophète n’hésitera pas il répondre : « Écoutez la pureté de ma langue ! » Et, craignant une concurrence dangereuse pour son prestige, il ira jusqu’à faire assassiner poètes et poétesses, ses ennemis. Mais les discours perdent généralement à être lus ; l’écriture ne parvenant à rendre ni l’accent, ni le geste, ni l’émotion vivante qui, chez l’orateur, accompagnait le texte. Ceci est particulièrement vrai de la prose rythmée, aux phrases très courtes, que parlait Mahomet. Aujourd’hui le Coran a perdu de son charme, il est souvent d’une lecture difficile ; mais, d’après les arabisants, ses strophes bien déclamées seraient encore fort agréables ; au moins en dialecte ancien, car à leur avis elles perdent leur saveur dès qu’on les traduit en français.

Outre le Coran, de nombreux musulmans, les Sunnites, admettent la Sunna « la Tradition », recueil de renseignements et de commentaires, donnés par les premiers disciples de Mahomet et transmis d’abord oralement. Ils ne furent recueillis et rédigés que deux siècles plus tard ; avec de nombreux traits concernant la vie du prophète et celle de ses compagnons, ils contiennent des explications capables d’éclairer le texte du Coran. Autour des traditions prophétiques les plus cohérentes, celles dont le dogme a le moins varié et qui constituent jurisprudence en matière religieuse, se sont groupées quatre grandes sectes ayant leur zone d’influence. Le « rit hanafite » prévaut en Orient et le malékite en Afrique du Nord, (c’est à lui que se rattachent les musulmans de l’Algérie). En Égypte, c’est le chafaïte et, en Syrie et en Arabie, le hanbalite. La véritable force de la société islamique réside davantage dans le prestige mystérieux qui enveloppe les confréries mystiques que dans son « clergé » ou sa magistrature. Ce sont ces « théocraties », analogues aux « prophètes de la synagogue » du royaume d’Israël qui s’opposent irréductiblement aux ulémas. Leur développement fut parallèle à celui de la théologie émanant des sectes dissidentes.

Nombreuses furent (on le verra plus loin) les branches hérétiques. On les divise en huit classes principales, subdivisées elles-mêmes en soixante-douze fractions. Une des plus considérables parmi ces hérésies fut celle des schiites. Les musulmans schiites, tels ceux de Perse, rejettent absolument la Sunna. Ajoutons qu’il existe plusieurs biographies de Mahomet écrites en arabe, qui ne font point partie des livres sacrés admis par les églises musulmanes. Très prolixes en détails minutieux, elles inspirent cependant la défiance par la place qu’elles accordent au merveilleux : intervention des anges, prédictions, etc.

« Allah est le seul Dieu et Mahomet est son prophète ! » tel fut le credo de l’Islam. Peu spéculatif, il n’a pas multiplié les dogmes à plaisir comme le catholicisme romain. Dieu est un, éternel, tout-puissant ;