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Accomplir certains rites traditionnels, suivre les directives données par le confesseur, voter pour le candidat du curé, voilà qui résume l’essentiel catholicisme aux yeux des fidèles contemporains. Quant aux discussions sur la grâce, l’incarnation, la divinité, qui passionnèrent leurs prédécesseurs, ils s’en détournent indifférents ou ennuyés ; la foi vivante abandonne les problèmes métaphysiques aux spéculations, sans efficacité pratique, des théologiens. Combien de prêtres ont déploré en ma présence la manie dogmatique des premiers chrétiens, gênés qu’ils sont aujourd’hui par un amas de formules mortes souvent infirmées par la science et la raison. Débarrasser l’Église du lourd fardeau des dogmes contradictoires ou inutiles était la tâche que s’assignait la tentative néo-catholique connue sous le nom de modernisme. Nombreux furent les mouvements néo-catholiques au cours des siècles : l’évolution religieuse étant toujours inachevée, des croyances nouvelles étant sans cesse en voie de gestation, il serait impossible qu’il en fût autrement. Le philonisme du pseudo-Jean, le platonisme d’Augustin, l’aristotélisme de Thomas d’Aquin comptent parmi ceux que l’autorité ecclésiastique adopta, après des résistances ; moins heureux, les hérétiques, particulièrement nombreux durant les premiers siècles, se virent définitivement rejetés hors de l’Église romaine Depuis Descartes, jamais n’a pu se réaliser un accord durable entre la philosophie et la religion ; au cours du xixe siècle, les progrès de l’histoire et des sciences expérimentales achevèrent de ruiner les affirmations des théologiens. Chez la majorité des peuples, les vieilles croyances s’en trouvèrent ébranlées ; dans le monde musulman, cette crise aboutit au triomphe des jeunes turcs ; grâce au libre examen, elle fut moins profonde chez les protestants ; par contre, elle devait être particulièrement grave dans le catholicisme, religion essentiellement dogmatique et autoritaire. Disons même qu’elle est loin d’être terminée : au cours des dix dernières années, j’ai fourni, pour ma part, à une cinquantaine de prêtres, le moyen de secouer un joug qui leur pesait ; et le nombre est énorme de ceux qui m’ont avoué leur dégoût pour un métier qu’ils n’ont pas le courage de quitter. Une constatation impartiale nous oblige d’ailleurs à reconnaître que les principaux adversaires du catholicisme sortent de son sein et qu’en général, au contraire, les défenseurs de la religion se recrutent parmi les élèves des lycées ou des grandes écoles de l’État ; en France du moins. Sans doute parce que les premiers ont constaté de visu la sottise et la méchanceté du prêtre, alors que les seconds, bernés par les pontifes universitaires, ont cru à la bonne foi et aux mérites du clergé. Les instituteurs, heureusement, ont moins de respect que les secondaires pour toutes les vieilleries nationales ; leurs élèves ignorent la bigoterie qui déshonore trop de lycées où l’aumônier règne en maître.

A l’origine du néo-catholicisme moderniste, nous trouvons les écrits de Newman et des protestants anglo-saxons ralliés à la communion romaine. En France, il prit une forme historique avec Duchesne, Loisy, Turmel ; une forme philosophique avec Laberthonnière et Leroy. Ce dernier, un universitaire, disciple convaincu de Bergson, eut l’imprudence, en 1905, de poser cette question : « Qu’est-ce qu’un dogme ? » et de répondre que s’il implique vérité éternelle et immobile, sa formule, toujours imparfaite, demeure variable et changeante. « L’objet de la foi reste toujours le même, mais non point la manière de le penser et d’y accéder. » L’histoire des dogmes serait seulement celle des formules utilisées successivement par la foi vivante et abandonnées lorsque le progrès intellectuel permet de les dépasser. Comme Leroy n’était qu’un laïc, l’Église, tout en réprouvant sa doctrine, l’a traité avec ménagement ; ses caquetages avec de rusés jésuites, qui le dupent impunément, durent depuis des années. Néan-

moins, Rome vient à nouveau de le condamner, ces jours derniers. On peut dire la même chose de Blondel, ce philosophe dont le principal mérite consiste à rendre obscures les notions les plus claires. Un bouffon de la littérature vendu corps et âme à la réaction, s’est même avisé, ces derniers temps, de vulgariser la logomachie de l’auteur de l’Action, thèse grotesque qui faisait le charme d’Ollé-Laprune, ce clérical forcené, chargé par la république de ramener au giron l’Église les élèves de Normale Supérieure, alors trop émancipés au gré des gouvernants. Avec Laberthonnière, un prêtre, l’autorité ecclésiastique n’usa pas d’une pareille mansuétude. Et l’on peut constater l’avortement total du néo-catholicisme philosophique. Le modernisme historique a donné de meilleurs résultats ; c’est à lui surtout que sont dues les nombreuses défections qui déciment les rangs du clergé instruit. Loisy, hébraïsant remarquable et professeur d’exégèse biblique à l’Institut catholique de Paris, en fut le promoteur principal. Révoqué de ses fonctions en 1893, il continua d’écrire ; ses livres furent mis à l’index et lui-même, refusant de se soumettre à l’encyclique Pascendi, en 1907, fut frappé d’excommunication majeure. On a prétendu depuis qu’il était sur le chemin de la conversion ; je n’en crois rien, car il y a peu d’années, il m’écrivait encore : « Mieux vaut ne pas sortir de l’Église si c’est pour y revenir. » Et sachant mes idées beaucoup plus avancées que les siennes, mon incrédulité infiniment plus radicale, il s’est pourtant montré à mon égard d’une bienveillance extrême. Houtin, ancien professeur au petit séminaire d’Angers, auteur d’ouvrages historiques fort remarquables, quitta de même l’état ecclésiastique. Peu de temps avant sa mort, il m’écrivait, sentant sa fin prochaine, qu’il était heureux d’avoir énergiquement combattu la religion ; il me chargeait, en outre de faire savoir au public, toujours trompé par la grande presse, qu’au seuil de la tombe, il n’éprouvait nul regret d’avoir quitté l’Église. Bien d’autres les imitèrent : le Père Rose, dominicain, traducteur des Évangiles ; le jésuite anglais Tyrrell, etc. Brémond, l’académicien, ex-jésuite, fut admonesté par Rome pour avoir assisté ce collègue dans ses derniers moments, sans exiger de rétractation. Auffret, agrégé de l’Université, et Alfaric, professeur à la Faculté des lettres de Strasbourg, se virent persécutés par les réactionnaires au pouvoir, dans les années qui suivirent la guerre ; nous dûmes agir énergiquement pour les arracher aux griffes de leurs anciens confrères. Ce sont des penseurs dont j’ai pu apprécier la sincérité et la modestie. N’ayant rien d’un moderniste et désireux de détruire le catholicisme, non de le réformer, j’ai trouvé parfois de précieux auxiliaires parmi les anciens prêtres ; mais une crainte excessive de l’opinion publique paralyse souvent leur action. D’autres, tout en restant dans l’Église, ont accompli, à leur insu peut-être, un prodigieux travail de démolition ; citons Duchesne, Lagrange, etc., qui contribuèrent à dépister les erreurs dont fourmillent la Bible, les décrets ecclésiastiques, les légendes pieuses, la vie des saints. Nous leur devons d’assister à la ruine progressive des idées théologiques, malgré le soutien apporté au catholicisme par les romanciers, les critiques, les phraseurs académiques : Brunetière, Lemaître, Faguet, Barrès, Bourget et Cie. Comédiens qui, sachant la religion fausse, l’ont défendue au nom de la tradition et de l’intérêt national. L’histoire survenue à Turmel, dont j’appréciais la science profonde et dont je connaissais l’incrédulité, ne m’a pas surpris.

En fait de nouveautés admises par les autorités ecclésiastiques, les penseurs chrétiens se sont bornés à nous offrir les sornettes poussiéreuses de la vieille scolastique. Restauré, après un long déclin, surtout grâce à Léon XIII, cet astucieux italien qui se promettait, dès sa prime jeunesse, d’être pape, le thomisme triomphe maintenant près des snobs littéraires, des