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récompense de services exceptionnels, bénéficie de privilèges qui se transmettent héréditairement.

On distingue entre la noblesse d’épée et la noblesse de robe. La première est celle qui a été acquise grâce à des prouesses d’ordre militaire. La seconde est celle qui a été conférée à des juges en conséquence de la situation occupée par eux. Beaucoup d’anoblis n’ont dû, et ne doivent leurs titres qu’à leur fortune, ou à des complaisance envers le pouvoir.

Au figuré, le mot noblesse sert à désigner le caractère de ce qui est élevé, digne, de belles manières, distingué, élégant de forme et d’allure. On dit couramment : la noblesse du cœur, de la physionomie, de la démarche, de la pensée, ou du style. Cette conception de la noblesse humaine est la seule qui soit digne d’intérêt et mérite d’être retenue ; car, en admettant que le titre dont se pare une haute lignée ait eu pour origine les vertus d’un ancêtre, celles-ci ne sont pas forcément transmissibles de père en fils et, d’autre part, de très remarquables qualités, au moral et au physique, se découvrent dans le peuple, sans que ceux qui les possèdent aient été jamais l’objet d’une distinction quelconque.

N’y a-t-il pas, chez les plus humbles, une noblesse dans le sacrifice sublime de la mère à son enfant, l’héroïsme des sauveteurs, l’amour du travail bien fait qui caractérise l’artisan ? Il a fallu beaucoup de noblesse d’âme chez nombre d’humains pour que le monde parvînt au degré de relative civilisation qui est celui de notre époque ; il en faudra plus encore pour que soit édifiée la Cité nouvelle. Et, pour être conforme à la séculaire volonté de puissance des précurseurs, la tâche de cette Cité devra être l’ennoblissement de l’espèce, par le développement continu de l’intelligence et du savoir, le culte de la beauté des sentiments, la recherche de la plus grande esthétique dans la constitution humaine, débarrassée, par l’eugénisme, de ses difformités, de ses laideurs et de ses tares.

Le progrès social n’est point dans le nivellement par en bas, la généralisation de la pauvreté et de ce qu’elle entraîne de déchéances, mais dans l’accession du plus grand nombre à ce qui fut seulement l’avantage de quelques-uns. — Jean Marestan.

NOBLESSE (Historique). L’organisation des sociétés animales ressemble parfois beaucoup à celle des sociétés humaines. C’est ainsi qu’on l’encontre, chez les fourmis esclavagistes, une oligarchie guerrière et une classe laborieuse. De fréquentes razzias, entreprises contre les espèces voisines, fournissent les esclaves. Des caractères morphologiques déterminent le classement. La fourmi guerrière a les mâchoires très aptes à percer la tête d’un adversaire, mais incapables de saisir la moindre nourriture. Si une ouvrière ne lui donnait la becquée, elle mourrait rapidement de faim. Chez les fourmis, l’esclavage est d’ailleurs plus doux que chez les hommes et, dans bien des cas ; il conviendrait de parler de collaboration plutôt que d’esclavage. Des espèces qui précédèrent la nôtre, sur la route de l’évolution animale, les premiers hommes reçurent un penchant vers la servitude, probablement. Et, de bonne heure, des individus plus forts ou plus rusés domestiquèrent les faibles et les imbéciles, vécurent de leur travail, les commandèrent au nom des dieux. Ainsi naquirent les rois, les castes, les familles princières. La noblesse n’a pas d’autre origine si l’on remonte assez haut ; à l’inverse des fourmis guerrières, séparées des fourmis ouvrières par des caractères morphologiques bien tranchés, les nobles de l’Inde, de Rome, de l’Europe du Moyen Age, ne se distinguaient du populaire que par un prodigieux orgueil, un égoïsme renforcé, des préjugés monstrueux. Pour choisir cette fausse élite, on eut souvent recours à l’hérédité ; un fils de noble obtint de droit une situation privilégiée

parce qu’il avait pris la peine de naître. L’Inde fournit un exemple typique des aberrations où conduit le principe d’hérédité, quand il règne en maître. Dès leur naissance, les Hindous sont rangés dans des castes réputées d’institution divine. À l’origine, Brahma, le dieu créateur, fit sortir les brahmanes de sa bouche, les kchatriyas de son bras, les vaicyas de sa cuisse et les soudras de son pied ; d’où quatre grandes castes. « En venant au monde, affirment les livres sacrés, le brahmane est placé au premier rang ; souverain seigneur de toute chose, il veille à la conservation des lois civiles et religieuses. Un brahmane âgé de dix ans et un kchatriya parvenu à l’âge de cent ans doivent être considérés comme le père et le fils : c’est le brahmane qui est le père. » Un brahmane possédant le Rig-Veda tout entier, c’est-à-dire connaissant les livres sacrés, ne serait souillé d’aucun crime, même s’il tuait tous les habitants du monde. Par contre, on doit brûler la bouche et couper la langue à l’impur qui se permet d’insulter un prêtre. Si la caste des kchatriyas ou guerriers est encore respectable, celle des vaicyas, agriculteurs ou commerçants, l’est déjà beaucoup moins, et celle des soudras doit être obligatoirement livrée à l’abjection. Quels que soient son savoir et sa moralité, le soudra est un homme infâme, voué à la servitude ; son costume même le désigne au mépris des prêtres et des guerriers. Dans l’ancien Japon, les nobles de haut rang jouissaient aussi d’un prestige religieux. Suivant une croyance très répandue, les édifices devaient. être construits sur des corps humains pour être à l’abri de tout accident. Or un grand trouvait toujours des serviteurs zélés qui se jetaient volontairement dans les fondations, quand il faisait bâtir. Par contre, mikado et siogoun les tenaient dans la plus étroite dépendance : ils choisissaient leur femme légale et s’emparaient de leurs enfants légitimes comme d’otages. Auprès de chaque grand vassal se trouvait un surveillant attitré, « un observateur inébranlable », qui avait le droit de tout voir et tenait journal des moindres actions de son hôte. En Chine, point de noblesse héréditaire, il n’y avait qu’une noblesse personnelle et acquise, celle des lettrés. Les titres des mandarins répondaient. à des grades obtenus par voie de concours ; ils s’éteignaient avec l’individu, sans se transmettre aux descendants. Aussi, l’idée d’acquérir des titres universitaires hantait-elle le cerveau d’un grand nombre de célestes ; une infinité de gens, de quinze à quarante ans, briguaient les grades même les plus modestes. Cette expérience donna des résultats déplorables. Les partisans de l’École Unique qui veulent instituer une noblesse scolaire du même genre, sans tenir compte des qualités de cœur et de volonté, feraient bien de méditer cet exemple. Mais les pontifes ferment les oreilles quand on s’avise de déclarer la sélection morale non moins importante que la sélection intellectuelle. À Rome, une aristocratie de naissance, composée des familles sénatoriales, repoussait avec un dédain superbe les hommes nouveaux qui prétendaient aux charges et aux honneurs sans avoir d’aïeux. Pour augmenter sa fortune et sa puissance, elle ne se lassait pas de susciter des guerres dont elle avait la direction ; comme nos professionnels du patriotisme, elle ramenait l’intérêt national à son propre intérêt. Les chevaliers, exclus des fonctions publiques, mais enrichis par le négoce et l’affermage des revenus publics, se situaient encore bien au-dessus de la plèbe méprisée. Chez les Gaulois, on trouvait aussi des nobles qui possédaient presque partout le gouvernement des cités. Riches, entourés de clients, disposant de nombreux esclaves, ils dominaient la masse des hommes libres qui vivaient de chasse et d’agriculture. Mais c’est dans l’Europe du moyen âge que nous rencontrons le type le plus remarquable d’une noblesse héréditaire. L’importance de son rôle historique nous oblige à l’étudier