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n’en retrouve plus de traces. Il a publié de nombreuses brochures où il se montre un économiste de grande valeur qui, selon Morrison Davidson, vaut tous les utopistes, de Platon à Bellamy, en passant par Adam Smith et Karl Marx.

Voici quelques-unes de ses principales idées : « La loi a deux racines (buts) : 1° la conservation commune ; 2° la conservation individuelle. » Une communauté libre doit comprendre :

Dans la famille : le père.

Dans la ville (bourg ou paroisse) : 1° le pacificateur ; 2° quatre sortes de surveillants : pour le maintien de la paix, pour l’apprentissage des métiers, pour la répartition des produits du travail et leur entassement dans des magasins généraux, pour la surveillance générale (tous les citoyens ayant dépassé soixante ans) ; 3° les soldats ; 4° les maîtres des travaux ; 5° l’exécuteur.

Dans le territoire : 1° le clergé ; 2° le parlement ; 3° l’armée.

Quant aux lois de la communauté : 1° La simple lettre de la loi suffit ; 2° Quiconque ajoute ou retranche à la loi perd son office ; 3° Quiconque rend la loi pour de l’argent ou une récompense est puni de mort.

Sont également punis de mort les assassins, les acheteurs et les vendeurs, les magistrats prévaricateurs.

Quoique le sol et les entrepôts soient communs, chaque famille vivra cependant à part : la maison, l’ameublement, les vêtements sont la propriété de la famille. Chaque demeure doit contenir les instruments et outils qu’il faut pour cultiver la terre. La communauté n’est pas libertaire et n’ignore pas les punitions. Si quelqu’un refuse d’assister les surveillants dans leur travail, la raison doit lui en être demandée. Si c’est à cause de maladie ou d’indisposition, il sera dispensé du service. Si c’est par simple paresse, il sera puni selon les lois destinées à réprimer la paresse.

On voit que Winstanley n’a pas, comme les théoriciens actuels du communisme anarchiste, confiance dans le besoin d’activité de l’individu. Cela s’explique d’ailleurs, étant donné le travail long, pénible et rebutant que, au xviie siècle, il fallait faire pour amener l’abondance.

Si quelqu’un refuse d’apprendre un métier, ou de travailler en temps de semailles ou de moisson, ou de remplir sa tache d’administrateur aux magasins, tout en continuant à se nourrir et à se vêtir aux dépens des autres, les surveillants le réprimandent d’abord en privé. S’il continue à paresser, la réprimande sera publique et si, dans le mois qui suit, il ne s’est pas amendé, il sera remis au maître des travaux qui le mettra au travail obligé pour douze mois, ou jusqu’à ce qu’il fasse sa soumission. À partir de quarante ans, personne n’est obligé de travailler. C’est dans les hommes et les femmes de plus de quarante ans que sont choisis les surveillants et autres délégués à la bonne exécution des lois.

L’instruction est gratuite et obligatoire. L’assistance médicale est gratuite, naturellement. Mais les plus caractéristiques des ordonnances de la communauté sont les lois contre l’achat et la vente, crime de lèse-humanité par excellence aux yeux de Winstanley : Si n’importe qui achète ou vend la terre ou ses produits, il sera mis à mort comme traître à la communauté. Celui ou celle qui appelle sienne la terre sera exposé en public et livré pour douze mois au maître des travaux. Quiconque cherchera, par querelle, ou persuasion secrète, ou révolte armée, à établir le régime de la propriété sera mis à mort. Personne ne louera ses propres services à autrui, ou ne louera les services d’autrui, sous peine de perdre sa liberté et d’être livré pour douze mois au maître des travaux… L’or et l’argent ne pourront servir qu’à faire des plats et objets d’ornement pour l’intérieur des maisons. Lorsque

l’humanité a commencé à acheter ou à vendre, c’est alors qu’elle a perdu son innocence ; c’est alors qu’en effet les hommes ont commencé à s’opprimer l’un l’autre, à se dépouiller mutuellement des droits égaux, qu’ils tenaient de la création. Qu’une terre appartienne à trois personnes, et que deux d’entre elles en trafiquent sans le consentement de la troisième, voici son droit enfreint et sa postérité engagée dans une guerre. Ce fut, pense Winstanley, contre le consentement d’un grand nombre que, dès l’abord, la terre fut achetée et vendue. De cet achat et de cette vente résultèrent et résultent encore des mécontentements et des querelles, fléaux dont l’humanité a déjà assez souffert. Les nations de la terre n’apprendront pas à transformer leurs épées en charrues et leurs lances en hoyaux, ne cesseront pas de guerroyer, avant que ce misérable. procédé d’achat et de vente n’ait été jeté au rebut parmi les autres débris de la puissance royale. Dans la communauté, nul homme ne pourra devenir plus riche qu’un autre ; cela n’est pas désirable, car les richesses rendent les hommes vaniteux, orgueilleux, et les conduisent à opprimer leurs semblables, elles sont des occasions de querelles. Cela non plus n’est pas juste, car nul ne peut arriver à la fortune sans l’aide de ses voisins, et s’il y arrive, sa fortune appartient tout autant à ses voisins qu’à lui, puisqu’elle est le fruit de leur travail. Tous les hommes riches vivent à l’aise ; ils se nourrissent et ils se vêtent par le labeur des autres, non par le leur, et cela fait « leur honte et non pas leur noblesse ». Les riches reçoivent tout ce qu’ils possèdent de la main des travailleurs ; quand ils donnent, ce n’est pas leur travail, ce n’est pas leur propriété, c’est celle des autres ; leurs actions ne sont donc point des actions équitables.

Selon l’esprit du temps, tous les écrits de Winstanley revêtent une phraséologie religieuse, très proche parente de celle de Tolstoï. À ce point de vue spécial, il est universaliste et il est le premier en Angleterre qui proclama le salut pour « l’humanité tout entière », tandis que le dogmatisme théologique d’alors le réservait aux « prédestinés ». Il ne tarit pas d’invectives contre le clergé et montre que la théologie (doctrine de la divinité) n’est nullement en concordance avec les enseignements du Christ « dont les paroles étaient la science pure ». Pour lui, la théologie est une tromperie qui, en tournant les regards des hommes vers le ciel, leur fait oublier les droits qu’ils tiennent de naissance.

Winstanley ne croyait pas d’ailleurs à l’efficacité de lois qui n’auraient pas été ratifiées formellement par le peuple, cela bien avant qu’on eût inventé le mot « Referendum ». Tout élu lui inspirait de justes soupçons.

Occupés à se voler les uns aux autres ce qui restait des terres confisquées à la couronne, aux églises et aux « rebelles », les fameux colonels « Côtes de fer » ne prêtèrent pas plus d’attention aux doléances des Niveleurs qu’aux projets de réforme sociale de Winstanley. Ce dernier, certes, n’est pas anarchiste ; mais, tandis que des historiens et des écrivains sérieux, parmi lesquels un Carlyle, présentent Cromwell comme un républicain du type le plus pur, personne ne parle de Winstanley, le précurseur inconnu, l’utopiste obscur. Son travail cependant ne fut pas vain. Comber, historien protestant, écrivait, en 1678, que c’est à sa petite bande de partisans qu’on doit reporter l’origine des Quakers, ce qui prouve qu’une propagande porte toujours ses fruits, même quand il semble que, sur le moment, elle ne rencontre qu’opposition et mécompréhension. — E. Armand.


NOBLESSE n. f. (du latin nobilitas ; de nobilis, illustre). La noblesse est, dans un État monarchique ; la classe qui, soit par droit de naissance, soit par lettres du souverain, est la plus élevée de la société, et, en