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OUV
1898

pour ne pas être tenté de « trahir sa classe », ignore l’usage des lois de protection de l’enfant, de la femme, du travail, les lois d’assistance et d’hygiène, etc… Victimes d’accidents du travail, les ouvriers sont de plus victimes d’agents d’affaires qui les grugent en exploitant leur ignorance. Ne les voit-on pas demander eux-mêmes des dérogations aux lois qui les protègent et, par exemple, se mettre en grève pour obliger l’inspection du travail à les laisser travailler plus de huit heures ? Les lois sur les métiers insalubres et sur le travail de nuit ne sont pas moins inopérantes. De plus en plus, dans les banques, les ateliers des grands magasins, on travaille dans des sous-sol, sans air et sans lumière naturelle. Le travail de nuit est imposé dans des verreries à des enfants qui n’ont pas même douze ans. Dans la couture, ce travail de nuit est constant. On tient en échec l’inspection du travail en cachant les apprentis trop jeunes quand un inspecteur se présente. Il arrive qu’on en oublie dans des placards où on les retrouve asphyxiés. Ouvriers et ouvrières se font les complices des patrons. Entre le surmenage et le chômage il n’y a pas place pour le travail normal que les travailleurs « conscients et organisés » devraient savoir exiger, comme ils devraient savoir exiger des salaires normaux, pour échapper à la pratique humiliante du « pourboire » qui se répand de plus en plus.

La crise économique, qui préoccupe actuellement le monde, en raison surtout du nombre de chômeurs qui en sont victimes dans la classe ouvrière, a fourni l’occasion de faire les constatations suivantes : à Paris, pendant que des ouvriers boulangers travaillent de 11 à 14 heures par jour, sans avoir de repos hebdomadaire, et gagnent des salaires quotidiens qui vont jusqu’à cent trente francs, huit cents autres ouvriers sont en chômage permanent ou ne travaillent que quelques jours par mois. Le chômage serait supprimé dans la boulangerie parisienne si les lois des huit heures et du repos hebdomadaire étaient respectées (L’Œuvre, 29 novembre 1931.) Voilà, entre nombre d’autres, un exemple caractéristique de ce que produit le « collaborationnisme » substitué à la lutte pour la suppression du Patronat et du Salariat, fondement de la C. G. T. C’est l’accord de l’égoïsme ouvriériste, avec le muflisme patronal et la complicité gouvernementale, contre le véritable prolétariat.

La solidarité ouvrière est brisée par l’égoïsme personnel. Pour un salaire un peu plus élevé, avec une inconscience stupéfiante, on se fait mouchard de ses camarades. Les « fortes têtes », ceux qui « rouspètent » contre une trop dure exploitation, ceux qui protestent pour les autres, sont rejetés des ateliers, révoqués des administrations. On dit volontiers : « Ils n’avaient qu’à se taire ! » et on les abandonne. La femme a encore sa place à conquérir dans nombre de corporations où elle fait le travail de l’homme. Le fameux principe : « A travail égal, salaire égal » est combattu par les ouvriers eux-mêmes, railleurs et hostiles devant « l’égalité des sexes ». Hostilité aussi, et qui prend parfois des formes aiguës, contre les travailleurs étrangers accusés de venir « manger le pain des nationaux », comme on accuse encore la machine de raréfier et de supprimer le travail humain. Toutes sortes de routines étroites, de préjugés odieux, sont ainsi entretenus par l’esprit ouvriériste à l’encontre des expériences contraires, des démentis apportés par les faits. La machine n’a-t-elle pas multiplié le travail humain au lieu de l’alléger comme elle aurait dû le faire normalement, et l’ouvrier étranger n’est-il pas fondé à chercher du travail partout où il peut en trouver ? Mais, comme toujours, l’ignorance ouvriériste s’en prend aux effets et non aux causes. Il est plus facile de briser une machine que d’en collectiviser la propriété et d’en rendre le travail bienfaisant pour tous. Il est plus facile de s’en prendre aux malheureux étrangers, aux « bicots dépenaillés

et sordides, aux asiatiques de race incertaine », que de s’opposer à leur recrutement par des négriers au service d’un patronat toujours en quête d’une main-d’œuvre travaillant à des salaires inférieurs et qui les abandonne à tous les excès de la xénophobie ouvriériste, complice de l’abrutissement nationaliste, quand il n’a plus besoin d’eux. Et il est aussi, hélas ! plus facile de soulager sa colère, de venger son impuissance, sur le compagnon de chaîne plus faible, plus désarmé, la femme, l’enfant, le manœuvre, l’apprenti, le cheval, le chien, que sur le véritable responsable : le Maître ! Est-ce ainsi que l’ouvriérisme entend « l’union des prolétaires de tous les pays » et l’Internationale qui « sera le genre humain » ?

Voilà l’œuvre lamentable de l’ouvriérisme : la faillite de l’Internationale Ouvrière. Nous n’insistons pas davantage ; le tableau nous paraît suffisant pour montrer que tout est à refaire, tout à recommencer. On parle beaucoup, aujourd’hui, de recomposer l’unité ouvrière ; on écrit à ce sujet dans quantité de journaux, on palabre dans toutes sortes de congrès et de meetings ; on ne fait que troubler davantage ce qui n’était déjà que trop trouble, et seule la faconde intarissable des bavards, qui ont pris des politiciens l’habitude de s’enguirlander à la façon des héros d’Homère, y trouve matière à satisfaction. L’ouvriérisme méprise avec juste raison la terminologie bourgeoise, mais il en a fait une autre qui n’est pas plus claire. Aussi sûrement qu’avec le catéchisme, on abrutit les pauvres syndiqués avec des expressions auxquelles ils ne comprennent goutte et dont l’interprétation alimente durant des mois et des années, les disputes de leurs directeurs de conscience. C’est ainsi qu’on leur parle de la « politisation des grèves » ou de la « radicalisation des masses », quand ce n’est pas la « radicalisation des grèves » ou la « politisation des masses ». Tout cela est aussi clair pour eux que les histoires de la Colombe du Paraclet ou de l’Immaculée Conception. La seule Unité possible et féconde ne pourra être que dans une véritable Internationale, celle de tous les prolétaires de tous les pays et de tous les sexes, unis pour leur émancipation intégrale et non pour la constitution d’un quatrième ou d’un cinquième État aussi fourbe et aussi exploiteur que les autres. La première opération à faire est de bannir des méthodes prolétariennes l’ouvriérisme actuel qui est la plus épouvantable des pestes, pour lui substituer une action ouvrière inspirée de ceux qui avaient compris, il y a soixante ans, que la révolution des bras ne peut se faire sans celle des cerveaux et des cœurs, et que l’émancipation des travailleurs ne peut se dissocier de l’Internationale du « genre humain » dressée au-dessus de toutes les dictatures de races, de nations ou de classes. — Edouard Rothen.

OUVRIÉRISME. Doctrine syndicaliste préconisant l’émancipation de la classe ouvrière par l’action des ouvriers eux-mêmes, sans le concours des intellectuels. Cette doctrine comprend une part de bien fondé, mais aussi une part d’erreur et d’injustice. Constatons, tout d’abord, que les professeurs, instituteurs, médecins, chimistes, ingénieurs, architectes, etc… sont des travailleurs indispensables au fonctionnement d’une société moderne, et que, loin de décroître, leur importance s’étend de jour en jour avec le progrès, alors que le rôle du manœuvre est de plus en plus réduit par la machine. Ces travailleurs ont donc, autant que les autres, le droit de se prononcer sur des questions sociales auxquelles leur sort est directement intéressé, et ce serait, pour l’avenir, une lourde faute, de la part de la classe ouvrière, que de chercher à les éliminer du mouvement révolutionnaire, alors qu’il serait opportun de s’en faire des alliés.

Mais ne considérons que le milieu des manuels. Tant que l’on se borne à l’action corporative, syndicale, il