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En régime capitaliste, quel que soit le caractère de la production, trois agents interviennent :

1° L’ensemble des forces et moyens naturels ;

2° Le travail ;

3° Le capital. C’est ce dernier, en raison du rôle qui lui est assigné, qui domine les deux autres agents.

Contrairement à ce qu’enseigne l’économie politique, le capital n’est pas seulement l’ensemble des réserves constituées par les « économies » en argent, en machines, en outils, etc., il est surtout, entre les mains d’un petit nombre d’hommes, l’ordonnateur, l’agent dirigeant de toute la production. C’est de lui, de son abondance ou de sa pénurie, de sa circulation intense ou lente, de son afflux ou de son reflux, de sa fixation ou de ses migrations, des tendances, des désirs et des buts poursuivis par ceux qui le possèdent, que le sort de toute la production dépend. Les deux autres facteurs, qui devraient être seuls déterminants, sont, en fait, actuellement, tout à fait secondaires et, en tout cas, sont absolument subordonnés au capital. Il en est ainsi pour plusieurs raisons :

1° Parce que l’appropriation est le privilège d’un nombre très restreint d’individus ;

2° Parce que le capital représenté par les « économies » en argent, en machines, en outils, placé entre les mains d’un nombre limité de possédants, constitue fatalement une force hégémonique qui donne naissance, à la fois, à la dictature économique et au pouvoir politique, conséquence directe et corollaire forcé de la possession des richesses de toutes sortes ;

3° Parce que, ainsi dirigée, la production n’a plus pour but exclusif de satisfaire les besoins réels de la consommation ; qu’elle ne vise qu’à augmenter le capital et à le concentrer entre les mains d’un nombre toujours décroissant d’individus, groupés, en général par affinités d’intérêts, dans des organismes de formes diverses, mais n’ayant qu’un seul but : consolider, développer et renforcer la puissance du capital et des privilèges qui découlent de sa possession ;

4° Parce que cette « réserve » d’argent, de machines, d’outils, qui permet, non seulement de diriger, de contrôler, de contingenter la production, mais encore « d’acquérir » la matière sous toutes ses formes n’est constituée, en réalité, que par des prélèvements opérés par la force sur le travail, facteur essentiel de toute production ; que cette réserve accumulée, qui prend, en régime capitaliste, le nom de plus-value, n’est que le résultat d’exploitations successives de l’effort humain, non rétribué à sa valeur, et de l’accaparement des sources et moyens vitaux de la production ;

5° Parce que la circulation des produits n’est pas libre, que leur valeur marchande ne correspond pas à leur valeur réelle, en raison des méthodes industrielles, commerciales et surtout bancaires de l’ordre social capitaliste ;

6° Parce que, enfin, l’argent n’est plus, spécifiquement et exclusivement, un instrument d’échange et qu’il est devenu, au contraire, le seul moyen de possession et de rétention de la richesse ; que, par lui, celui qui le possède est, en réalité, le maître des gens et des choses.

Le développement de toutes ces considérations dépasserait singulièrement le cadre de cette étude. Aussi, dois-je me limiter et me borner à les énoncer. Elles suffisent d’ailleurs amplement à caractériser la production en régime capitaliste ; à démontrer que le troisième agent — qui ne serait rien sans l’existence des deux autres — est vraiment l’élément-force, déterminant, qui commande les deux facteurs essentiels de la production : la matière et le travail. C’est à ce paradoxe — auquel le capitalisme doit sa vie et sa perpétuation — que le système de production actuel a abouti. Il suffit d’en constater les résultats, pour être convaincu de la nécessité d’abolir un tel système, qui

ne favorise qu’une infime minorité au détriment d’une immense majorité d’individus. Ce qui étonne le plus, c’est que tous les intéressés n’aient pas encore rétabli l’ordre naturel des facteurs qui concourent — et concourront de tout temps — à la production.

Quelle évolution la production a-t-elle suivie ? Selon quel processus s’est-elle développée et transformée ? Tels sont les deux points qu’il est possible d’examiner succinctement ici.

Constatons d’abord qu’il y a eu, à toutes les époques de l’histoire, un rapport très étroit entre la production et la vie des peuples. C’est ce qui donne au fait économique toute sa valeur, c’est ce qui en fait également, pour l’avenir, la base fondamentale de l’ordre social. Le bien-être matériel, tout relatif qu’il soit, a suivi, jusqu’à ces temps derniers — où le désordre capitaliste a atteint, au plus mauvais sens du mot, son maximum d’intensité — l’évolution de la production. Et il est tout à fait certain que si, demain, les moyens de production et d’échange, les richesses naturelles et le travail étaient libérés ; si la production était organisée rationnellement, suivant les besoins, et non en vue du plus grand profit, le bien-être matériel serait accru dans d’énormes proportions. De même, si cela était enfin réalisé, et si chacun produisait selon ses forces et consommait suivant ses besoins, ce bien-être matériel engendrerait spontanément un bien-être moral intellectuel et culturel équivalent. Rien ne prouve mieux que la vie, dans l’ensemble de ses manifestations dépend étroitement de la production : de son organisation, de sa répartition et de son échange. Qu’il s’agisse de la production agricole, de l’extraction des matières premières, de la production industrielle, l’évolution s’est poursuivie de façon identique, suivant le même processus, avec des alternatives diverses d’accélération ou de stagnation, selon que les découvertes scientifiques et leurs applications pratiques marchaient, elles-mêmes, à tel ou tel rythme et que le capital les permettait ou les interdisait, par intérêt.

C’est ainsi qu’au début, à l’âge de pierre, par exemple, la production agricole était nulle ou à peu près, que l’extraction des richesses du sol était infime et la production industrielle inexistante. Avec le fer, toutes les productions se sont accrues et la population s’est augmentée, à peu près parallèlement. Lors de la découverte de la vapeur, l’industrie, toute artisanale qu’elle était à l’époque, a fait un pas énorme en avant. L’emploi des combustibles minéraux, la découverte du gaz, celle de l’électricité surtout, l’utilisation du pétrole, de l’essence, du mazout, l’application de procédés techniques sans cesse perfectionnés, ont précipité, à pas de géant, l’évolution de la production industrielle.

Naturellement, l’industrie extractive, la production des matières premières a suivi ce rythme d’évolution.

Bien que la production agricole ait été très longtemps stagnante, que les procédés et instruments de culture ne se soient modifiés que lentement, que la mécanique et l’électricité ne commencent qu’à peine à pénétrer dans les campagnes, dans de nombreux pays déjà fortement industrialisés, il n’en est pas moins certain que depuis un quart de siècle, la production agricole a subi, elle aussi, de profondes transformations et évolue à une vitesse toujours plus grande.

Cette évolution générale de la production s’est d’ailleurs opérée sans plan, en dehors de toutes règles, sans souci des nécessités. Seul, l’égoïsme de chacun des possédants, le désir d’accroître sa propre « réserve » ont présidé à cette évolution désordonnée.

Après guerre, une certaine tendance à l’économie dirigée, de caractère international et d’origine bancaire s’est manifestée. Des grands cartels ont été constitués. La production, bien que fortement contingentée, circulait cependant avec une très grande rapidité, à peine gênée par des barrières douanières relativement peu