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fonds pour faire elles-mêmes, à la livraison, des avances aux producteurs associés, apporteurs de blé.

En 1931, le Comité économique de la Société des Nations a consacré un rapport très documenté sur la crise agricole. Il a déclaré notamment qu’il ne faut pas « chercher par des mesures protectionnistes un remède au manque d’équilibre économique ». En revanche, devant le nombre excessif d’intermédiaires, il a souhaité « l’établissement de relations commerciales entre producteurs associés, unis par des organisations coopératives liées organiquement les unes aux autres et possédant même des institutions communes ».

Comme on le voit, la Coopération, si elle tend à fortifier, c’est incontestable, la position des petits propriétaires, des ouvriers ou des artisans associés, tend, par contre, à éliminer les parasites, grands et petits, qui exploitent à la fois les producteurs et les consommateurs. À ce titre — et ses adversaires se chargent de le déclarer et de le faire publier par leurs plumitifs — elle est une puissance économique très révolutionnaire. Elle a le mérite, essentiel, à mes yeux, de créer de l’entraide, de la compétence intellectuelle et professionnelle et de la responsabilité dans un monde qui ne brille point précisément à ces points de vue. Et c’est là un motif qui me fait et doit faire apprécier les organisations coopératives sous toutes leurs formes, dans la mesure où elles tendent à émanciper, même pour leur propre succès, le Tiers-Oublié, le Consommateur, sans lequel la vie économique ne peut se concevoir. — A. Daudé-Bancel.


PRODUIRE Produire ne se rapporte qu’à l’homme ; et celui-ci produit en raison de ses besoins, de ses aptitudes et de sa volonté : c’est-à-dire suivant son travail. On dit, assez souvent, et surtout chez les économistes bourgeois et matérialistes : « La terre produit, le capital produit, les machines produisent. » Rien n’est plus dangereux, socialement, qu’un pareil langage qui a, jusqu’ici, justifié l’exploitation des masses. C’est sur ce triste abus des mots qu’est fondée la science économique contemporaine. C’est en mettant sur un pied d’égalité le fonctionnement et le travail que les classes dirigeantes et possédantes acculent, par des stratagèmes spécieux, les prolétaires au paupérisme et à la mort par la misère, le suicide ou le crime.

On ne produit que moralement, et non automatiquement, car la production, pour être telle, nécessite de l’intelligence et de l’instruction. Détruire est l’opposé de produire ou plus exactement, par rapport à l’homme, c’est produire dans un sens opposé, étant donné qu’il faut, dans certains cas, préalablement détruire pour produire réellement.

Résumons-nous. Produire c’est être homme ; c’est faire usage de l’intelligence pour modifier soit le sol lui-même, soit des produits du travail, de l’intelligence, sur le sol. Mais l’organisation actuelle de la société, de la propriété générale, donne une production désordonnée qui ne profite qu’à une minorité, aux maîtres de l’heure. Une organisation rationnelle serait le contraire de celle de nos jours ; elle donnerait à chacun le fruit de son travail, le résultat de ses efforts. La production se ferait en accord avec la justice. — Elie Soubeyran.


PROFESSEUR n. m. (du latin professor, même signification). La plupart des professeurs enseignent ce dont ils ne connaissent pas un traître mot. Plus ils sont ignorants, plus ils se croient savants. Cela porte à être modeste. En voyant ces faiseurs d’embarras, on se refuse à parler pour ne rien dire. Il faut vraiment être sûr de soi, ne pas avoir de sa personne une petite opinion pour se croire capable d’enseigner quelque chose à quelqu’un. Et en serait-on capable, de par un labeur acharné, des études spéciales, des recherches

inlassablement poursuivies, un acquis scientifique véritable (je ne parle pas de ce vernis scientifique dont se parent certains énergumènes de réunion publique), que ce serait faire acte d’autorité que d’affirmer : « Ceci est vrai, ceci est faux. » Celui qui enseigne fait acte d’autorité, la plupart du temps. Ne pourrait-il pas plutôt faire acte d’amour, exposer une idée au lieu de l’imposer ? Dans ce cas, oui, nous pouvons écrire, parler en public, conférer et enseigner. Nous pouvons « professer ». Cela n’a plus rien de ridicule. Cela est utile et contribue à annihiler l’œuvre nuisible du pseudo-enseignement.

Il y a des gens qui savent beaucoup de choses, mais sont incapables de les enseigner. C’est qu’ils manquent de cet enthousiasme, de cette sincérité, de cette foi qui communiquent de la vie aux études les plus arides et les font aimer des profanes. Celui qui enseigne doit créer : il ne saurait se contenter de répéter ce qui a été dit avant lui. Et il crée, s’il pense par lui-même et si ses auditeurs apprennent, à son contact, à penser par eux-mêmes. Son enseignement n’est pas stérile. Sans suivre la méthode traditionnelle, sans s’astreindre à des règles factices, il fait entrer dans les cerveaux plus de vérités que les pédagogues avec leurs plans et leurs fiches. À quoi sert-il de prendre des notes si vous n’êtes pas capable d’en tirer parti ?

Le professeur répète pendant vingt, trente ans la même leçon apprise par cœur, sans rien changer à sa manière, les mots se succédant dans le même ordre, accompagnés des mêmes gestes mécaniques. Le professeur ne vit pas et tue ceux qui l’écoutent. Son enseignement peut être très savant, mais mortel. Pendant des années, de vieux professeurs rabâchent les mêmes banalités sur le même ton insipide, et sans une erreur de mémoire. Ce sont d’excellents professeurs pour ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez.

Ces gens-là ne savent pas lire : comment apprendraient-ils à lire aux autres ? Dans un auteur, ils ne voient que ses défauts. Ce qu’il y a d’original chez un écrivain, ils le passent sous silence. Ils expurgent les œuvres des penseurs et les mettent à la portée des esprits faibles. Ils en font des enfants bien sages, sans une idée, peu subversifs, ressemblant à tout le monde. Alors, « les familles » sont rassurées : Molière, Racine, Victor Hugo ne risquent point de corrompre la jeunesse.

Le professeur « idéal » est un camarade dont la tâche consiste, en plus de la tâche quotidienne qu’il remplit pour vivre, à mettre à la portée de son auditoire les richesses de l’esprit humain, à faciliter aux intelligences l’accès de ses merveilles, sans rien leur demander en échange que leur attention. Le professeur qui agit uniquement pour instruire ses élèves est pareil au médecin qui soigne ses malades sans se faire payer et à l’avocat qui donne ses conseils sans recevoir d’honoraires. Le professeur ne voit pas dans ce qu’il enseigne un moyen de vivre. Il n’y voit qu’un moyen d’enrichir notre pensée. Le professeur ne cherche point à se faire applaudir, mais à former des caractères. Laissons aux bourgeois leur conception de l’enseignement : qu’ils instruisent les gens en recevant d’eux un salaire, ou qu’ils mendient des applaudissements, cela les regarde.

Si le professeur idéal est un être rare, par contre on trouve une infinité de « professeurs » qui ne se rendent pas compte de ce que c’est qu’enseigner. Instruire la jeunesse, pour eux, c’est former des âmes bourgeoises, prêtes à toutes les servitudes.

Les professeurs forment au sein de la société une caste peu intéressante. Ils peuvent être très calés, mais ils n’ont pas d’idées personnelles. Tout ce qu’ils disent, ils l’ont emprunté aux autres. Leur science est purement livresque. Ils compilent, ils compilent… Compiler est l’unique tâche du professeur. Avouez qu’elle est absurde. Ils accumulent fiches sur fiches, écrivent de gros bouquins, accouchent de lourdes thèses ; mais une fois qu’on