Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.1.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
PRO
2155

nombreuses coopératives agricoles se sont créées pour permettre aux paysans à qui la terre a été donnée de l’exploiter : d’intensifier leur production (par l’adoption de procédés de culture perfectionnés), de mieux transformer, de mieux vendre et de mieux utiliser le produit de leurs récoltes. C’est là-bas, dans le désarroi total d’après-guerre, que les paysans ont pu apprécier les mérites de la coopération en agriculture.

Les Coopératives mixtes de producteurs et de consommateurs. — Depuis qu’il existe des coopératives agricoles de production et des coopératives de consommation (avec leurs magasins de gros), il ne manque pas de militants pour déclarer que les premières doivent vendre directement les denrées qu’elles produisent aux organisations coopératives de consommateurs. Le champion principal de cette tactique a été, à travers le monde, le Docteur V. Totomiantz, ancien professeur à l’Université de Moscou, organisateur éminent des coopératives russes avant la guerre. Il a même parcouru le monde pour prêcher cet accord indispensable. Malheureusement, si des relations de cette sorte se sont établies entre les coopératives agricoles irlandaises, danoises et les anglaises, et en Allemagne aussi, malheureusement, en bien d’autres pays, il n’en a pas été de même. C’est alors que nous avons préconisé, dès après la guerre, la création de coopératives mixtes de producteurs et de consommateurs. Ces hommes groupés dans les mêmes coopératives, sentiraient, dès lors, qu’ils ont les mêmes intérêts et pourraient aisément mieux s’entendre. Malheureusement les juristes ont estimé que l’entente serait plus facile si une loi intervenait pour régler ces accords organiques. Nous avons vu que sous la pression des grands Intérêts économiques, la Chambre n’a même pas discuté la proposition de loi Chanal, votée par le Sénat, à la demande notamment de deux anciens ministres de l’Agriculture, MM. le Docteur Chauveau et Fernand David, et qui avait été préconisée comme base d’action pratique par la Fédération nationale de la Mutualité et de la Coopération agricoles et par la Fédération nationale des Coopératives de consommation.

Cette proposition a été reprise par les grandes organisations coopératives internationales, notamment aux congrès de l’Alliance coopérative internationale de Bâle, de Stockholm, de Gand et de Vienne. Grâce à feu Albert Thomas, directeur du Bureau international du Travail, une commission consultative mixte composée de représentants de ce même Bureau et de l’Institut international d’Agriculture a été nommée, qui a préconisé la collaboration étroite des producteurs et des consommateurs en des coopératives mixtes, de manière à réduire les différences scandaleuses qui existent entre les prix à la production et ceux à la consommation, beaucoup sous l’influence d’intermédiaires onéreux et superflus. En septembre 1925, M. C. Chaumet, ministre de l’Agriculture, a cité le cas typique du blé « acheté à Bordeaux et vendu dans un département du centre, et qui est passé entre les mains de dix courtiers dont aucun n’a pris livraison, mais dont tous ont pris bénéfice ! » — Dans son cours au Collège de France, Charles Gide a rappelé la parole du président Coolidge déclarant que « le prix payé par le consommateur est hors de proportion avec celui reçu par le producteur. » Pourquoi ? — Parce que, des statistiques officielles, aux États-Unis, il ressort que les denrées agricoles vendues par les producteurs 7 milliards et demi de dollars étaient payées par les consommateurs 22 milliards de dollars : soit environ 3 fois plus à la consommation qu’à la production. Or, aux États-Unis, il y a un détaillant pour 80 consommateurs. Et les Américains trouvent ce nombre excessif. Que diraient-ils si, comme en France, il y avait un détaillant pour 33 clients ?…

Les coopératives allemandes de consommation ont, depuis longtemps, essayé d’entrer en relations direc-

tes avec les agriculteurs. Mais elles ont souvent éprouvé, de ce côté, de sérieux mécomptes. Toutefois, elles ont eu de réelles satisfactions de leurs relations avec les coopératives d’utilisation et de vente de bétail qui sont au nombre d’un millier en Allemagne. En 1931, elles ont vendu 2.314.000 têtes de bétail pour une somme totale de 254 millions de marks. En 1930, le magasin de gros des coopératives allemandes de consommation leur a acheté pour près de 12 millions de marks.

Le magasin de gros des coopératives autrichiennes de consommation est devenu l’agent direct des relations entre ses sociétés et celles de production de haricots et de semences.

Le magasin de gros des coopératives françaises de consommation est l’agent des coopératives grecques et bulgares, pour l’écoulement en France de raisins de Corinthe et de tabacs produits et préparés par les coopératives de production de ces produits.

Lorsque, il y a de cela quelques années, l’Union coopérative suédoise, « Kooperativa Forbandet », voulut relier sa fameuse minoterie des « Trois couronnes » au chemin de fer, elle dut acheter une usine de superphosphates. L’opération se légitimait en outre par le fait que 60.000 membres des coopératives suédoises de consommation sont des paysans. Mais, d’autre part, les coopératives agricoles suédoises comptent beaucoup de membres et ne possèdent pas d’usine de superphosphates et elles voulaient résister au cartel des phosphatiers suédois. Cette usine vient de devenir la co-propriété de deux organisations coopératives, qui peuvent désormais contrôler les prix des phosphatiers suédois.

Depuis plusieurs années, les pools coopératifs canadiens du blé vendent d’importantes quantités de leur production aux Wholesales (magasins coopératifs de gros) de la Grande-Bretagne et, en échange, ils leur achètent bon nombre de produits fabriqués dans les usines des dits magasins de gros. En outre, les coopérateurs canadiens font une forte propagande coopérative auprès de leur population agricole, afin de réaliser le programme coopératif qui tend à mettre en relations directes les producteurs et les consommateurs. Charles Gide a écrit, en effet :

« L’association coopérative supprime tous les rouages inutiles ; elle fera parvenir, par les voies les plus directes, la richesse des moins du producteur dans celles du consommateur, et l’argent, en retour, des mains du consommateur dans celles du producteur. »

On comprend aisément que si toute l’activité économique était coopératisée, de très nombreux intermédiaires seraient fatalement éliminés, depuis les plus faibles jusqu’aux plus grands. Cela explique les oppositions, ouvertes ou sournoises que la Coopération sous toutes ses formes trouve devant elle, de la part des grands Intérêts économiques, appuyés par ses « utilités », les petits commerçants, et la lutte qui se poursuit entre la Coopération (sous toutes ses formes) et les dits grands Intérêts économiques, et leurs sportulaires (voir notamment la Correspondance coopérative de novembre, décembre 1931 et janvier et juin-juillet 1932).

Les coopératives de la Nouvelle-Zélande ont créé, en 1921, une agence mixte chargée de faciliter l’écoulement des beurres et des fromages d’abord, et des viandes ensuite, des coopératives agricoles de production auprès des coopératives de consommation de Grande-Bretagne. La proportion des produits livrés par les sociétés agricoles à celles de consommation a été, en. 1929, de 50 à 65 p. 100 des expéditions totales des premières. En 1929, cette agence a atteint près de 2 millions de livres sterling : 940.000 pour le fromage, 535.000 pour le beurre, 500.000 pour la viande.

D’autre part, les Wholesales de la Grande-Bretagne font des avances, à faible intérêt, aux coopératives céréalières d’Australie qui, à la récolte, ont besoin de