sion des Juifs, pour la première fois dans l’histoire, un aspect nettement politique et social. Le motif religieux continuait, certes, de jouer son rôle dans les persécutions. Il le jouera même, en certains pays, presque jusqu’à nos jours (Russie). Mais ce seront, désormais, les raisons d’ordre politique, économique et social qui prévaudront de plus en plus.
Dans les royaumes barbares qui s’étaient formés sur les ruines de l’Empire Romain, les Juifs n’étaient pas trop inquiétés. Toutefois, leur situation générale restait celle de serfs et de parias de la société. En outre, les périodes des persécutions aiguës se renouvelaient sporadiquement, surtout à l’approche du moyen âge, avec l’Inquisition et l’intolérance religieuse qui caractérisent cette époque. Ainsi, en France, des expulsions de Juifs en masses, des confiscations de leurs biens-fonds, ainsi que des mouvements divers de la foule contre les Juifs ont eu lieu au cours du ixe et du xe siècles. (Exemples : l’expulsion des Juifs de Sens, en 883 ; confiscation de leurs biens à Narbonne, en 899 ; quelques lapidations aux dimanches de Rameaux ou de Pâques, etc…). Mêmes faits se produisaient de temps à autre en Italie, en Espagne et ailleurs. Les motifs fondamentaux de ces persécutions étaient toujours d’ordre religieux et, en partie, social. Mais, souvent, une explosion plus ou moins accidentelle des colères aveugles d’une foule hostile, gonflées par une sorte de psychose collective, suffisait pour amener les masses à de pires excès. Cet élément de psychose, contagion collective, peu étudié encore par la science sociologique, joue dans les actes de fureur publique contre les Juifs, comme du reste dans toutes les actions des masses, un rôle considérable.
Au moyen âge (jusqu’au xvie siècle environ), les persécutions religieuses et les mesures politiques contre les « impurs » continuèrent de plus belle. C’est à cette époque, notamment, que les persécutions prirent peu à peu, dans les pays occidentaux (France, Italie, Espagne), un caractère mélangé, plus compliqué. Les motifs sociaux commencèrent à y jouer un grand rôle. Et puis, le sentiment national, une récidive aiguë de la haine de race, s’y mêla. — Le mode d’existence des Juifs, les lois restrictives, les besoins de la vie, les obligeaient à s’occuper surtout des affaires d’ordre strictement privé, personnel : du commerce, des finances. À part, bien entendu, tous ceux d’entr’eux — et ils étaient nombreux — qui exerçaient des petits métiers peu rémunérateurs ou devenaient les travailleurs les plus pauvres, les plus exploités et les plus malheureux de l’époque, ils formaient une couche, assez nombreuse aussi, d’intermédiaires d’affaires, de créanciers, de banquiers, de commerçants, de financiers, d’usuriers. Certains d’entre eux accumulèrent déjà des richesses considérables, ce qui les signala à l’attention spéciale et intéressée des gouvernants et de l’Eglise. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que l’Église et les grands États naissants, assoiffés d’argent, ayant grand besoin des Juifs et de leurs capitaux, « pompant » leurs richesses tant qu’ils le pouvaient, apprenaient déjà, en même temps, à faire canaliser contre les mêmes Juifs « voleurs » et « accapareurs » le mécontentement social, les colères des masses se produisant par-ci par-là. « Quand l’Église n’empruntait pas, — dit Reclus — elle faisait emprunter par le Juif ; elle en était quitte pour le maudire et le dépouiller comme voleur et comme impie après l’avoir utilisé comme prêteur d’argent. — À cette époque de transition, alors que la richesse se mobilisait rapidement par la monnaie, par le crédit et par la banque, les Juifs furent de précieux auxiliaires pour les gouvernements. De tout temps, les pouvoirs royaux, que leur politique, même inconsciente, porte à diviser pour
La folie s’en mêlait parfois. C’est ainsi qu’en 1321, une rumeur insensée parcourut la France, incitant le peuple aux plus cruelles abominations. Le bruit s’était répandu que les Juifs avaient imaginé un poison assez virulent pour détruire toute la chrétienté, à condition qu’il fût administré par les « mésiaulx » ou lépreux. L’horrible histoire ne trouva pas d’incrédules et de toutes parts on se précipita sur les maladreries pour y « bouter le feu » : en Aquitaine et en une grande partie de la Franche-Comté « tout le mésiel furent ars ». La peur instinctive de la contagion contribuait sans doute à jeter le peuple dans cette atroce frénésie, mais le roi lui-même, qui eut « si grant volonté de tenir ses sujets en bone paiz et en bone amour », lança trois ordonnances successives pour livrer les « lépreux fétides », hommes, femmes et enfants au-dessus de quatorze ans, aux rigueurs de la « justice », de la