Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
ART
145

L’artisanat a correspondu à une période de civilisation. Il a, peu à peu, disparu. Il n’en reste que quelques vestiges qui peuvent d’ailleurs résister longtemps en raison des conditions de vie de ceux qui n’exercent l’artisanat que d’une façon saisonnière, comme dans les Alpes, par exemple, ou vivent dans les coins reculés où les moyens de locomotion modernes ne pénètrent pas encore.

On peut dire, néanmoins, que la civilisation industrielle qui se développe en ce moment condamne en fait l’artisanat.

La nécessité de produire de grosses quantités de produits, de travailler vite et en série ne permet plus à l’artisanat d’exister réellement.

Il est aujourd’hui remplacé par l’usine, le comptoir. Le métier a fait place à l’industrie, l’artisan s’est fondu dans la ruche qu’est l’usine moderne.

Il peut y avoir et il y aura toujours, sans doute, des artisans, ils ne subsisteront que pour rappeler une forme de production périmée ou qui n’a pas encore bénéficié de l’apparition des découvertes de la science et des progrès de la technique.

Il convient de faire, en ce qui concerne l’artisan, une remarque importante. Jusqu’à maintenant, on lui a systématiquement refusé l’entrée des syndicats, sous le prétexte qu’ils sont patrons. C’est là une erreur à détruire. L’artisan a sa place toute marquée au syndicat, puisqu’il n’exploite personne.

Faire entrer l’artisan au syndicat est une nécessité. Par voie d’assimilation logique, les artisans de la campagne, ceux qui cultivent eux-mêmes leur lopin de terre ont, eux aussi, leur place au syndicat. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons avoir, un jour, un syndicalisme agraire.

En effet, si l’artisan qui travaille la matière première pour la transformer en produits de toute nature est relativement peu nombreux, par contre, l’artisan de la terre existe en nombre considérable.

C’est une force avec laquelle et sur laquelle on doit compter. Ne l’éloignons pas. L’artisan est un prolétaire, accueillons-le, aidons-le à se libérer, à marcher vers le progrès. Tendons-lui une main fraternelle.

Pierre Besnard.


ARTISTE n. m. ou f. On désigne sous le nom d’artiste une personne qui cultive les beaux-arts, soit en professionnel, soit en amateur, ou qui joue sur un théâtre. L’artiste peut souvent acquérir une grande influence sur le public et sur la foule. Son rôle peut être noble et généreux, s’il défend une conception généreuse de l’art ou s’il sait faire aimer l’humanité sous une fiction artistique. L’artiste doit savoir exalter les bons sentiments de l’homme et, surtout, ne doit pas mettre son talent au service du pouvoir ni de l’argent. Hélas ! par l’effet même de la société actuelle, les vrais artistes deviennent de plus en plus rares. De nos jours, en effet, l’artiste, s’il ne veut pas mourir de faim, est obligé — peu ou prou — de prostituer son talent. Car les conditions de vie sont telles, que l’artiste se trouve en face de ce dilemme désespérant : ou bien renoncer à son art, ou bien œuvrer suivant des directives imposées, ce qui tend à renoncer à toute personnalité et à toute indépendance. Cela se comprend aisément : une classe privilégiée possède l’arme la plus redoutable de notre siècle : l’argent ; cette classe consentira bien à venir en aide aux artistes miséreux, mais à la condition que ces artistes deviennent ses instruments et qu’ils renoncent à toute velléité généreuse, à toute initiative propre. Lorsqu’un artiste se sent assez d’énergie et de ténacité pour passer outre, lorsqu’il veut faire son œuvre sans se préoccuper des menaces ou des corruptions, il est certain de se heurter ensuite à une conspiration du silence sévère : on ignorera son œuvre, ou plutôt on paraîtra l’ignorer. On conçoit dès lors

qu’il y ait peu d’artistes véritables : les uns se vendent, les autres abandonnent. On peut compter ceux qui affrontent la lutte. Et les courageux qui restent ne pourront jamais donner tout ce qu’ils étaient capables de donner. Boycottés, tourmentés par le problème du pain quotidien, enchaînés par les préoccupations matérielles, ils ne peuvent consacrer à leur art ni le temps ni l’attention nécessaires. Pendant ce temps, ceux qui se sont vendus peuvent travailler en paix et servir insidieusement la cause de leurs protecteurs intéressés. Sous d’habiles fictions, ils peuvent emplir de préjugés criminels le cerveau du peuple, comme on fait avaler à un chien une appétissante boulette empoisonnée. Et tant que règnera une caste possédante la situation demeurera inchangée. Il y aura toujours des vendus tant qu’il y aura des acheteurs. Mais, en attendant que naisse un état social meilleur, il faut que le peuple sache reconnaître les artistes, qu’il sache les encourager et les soutenir… et qu’il sache démasquer les trafiquants de l’art. — Georges Vidal.


ARTISTOCRATIE (de artisto, artiste, et kratos, force, pouvoir). — Mot qu’on ne trouve dans aucun dictionnaire. Il peut sembler barbare au premier abord. Il a cependant sa raison d’être, et quiconque réfléchit tant soit peu en saisit immédiatement la signification. On comprend qu’il ne s’agit point d’aristocratie : le « t » est comme une barrière s’opposant à toutes les préoccupations des aristocraties passées, présentes et futures. On a reproché à ce vocable sa terminaison. Pourtant, le mot a-crate, qui signifie l’absence de tout pouvoir (ne pas confondre avec le vin acrate), contient la même terminaison. L’artistocratie n’est pas une « cratie » comme les autres, qui sont autant de variétés de la médiocratie ( voy. ce mot) : aristocratie, démocratie, bistrocratie, voyoucratie, ventrocratie, pédantocratie, gérontocratie, éphébocratie, emporocratie, muflocratie, etc…, etc… C’est la seule cratie supportable (sauf pour la canaille).

J’ai donné ce nom à l’an-archie envisagée au point de vue esthétique et à l’esthétique envisagée au point de vue an-archiste. J’ai essayé de fondre le point de vue an-archiste et le point de vue esthétique dans le point de vue artistocrate. On ne peut pas être an-archiste si on n’est pas artiste, pas plus qu’on ne peut être artiste si on n’est pas an-archiste. Entre l’art et l’anarchie existent des rapports étroits : l’artistocratie est le trait d’union de l’art et l’an-archie, ou mieux leur point de jonction. L’un et l’autre sont sincérité, vérité, beauté. La fusion de l’art et de l’an-archie constitue l’artistocratie ou vie vivante dans laquelle s’harmonisent le sentiment et la raison, la pensée et l’action.

Lorsque j’ai employé pour la première fois ce néologisme, dans l’Idéal humain de l’Art, Essai d’esthétique libertaire, écrit en 1896 et publié en 1906, je concevais l’anarchie comme le triomphe de l’idéal esthétique — harmonie et beauté — dans la vie individuelle et dans la vie sociale. L’artistocratie était une théorie an-archiste de l’art, expression suprême de la liberté, impliquant la révolte constante de l’artiste contre toutes les formes de laideur. L’an-archie réalisée par l’art et l’art réalisé par l’an-archie, telle était l’artistocratie. Malgré les déformations que de pseudos-artistocrates ont fait subir depuis à ce néologisme, il conserve le même sens et il a même plus de raison d’être aujourd’hui qu’il y a vingt ans.

On s’est souvent mépris sur la signification de ce mot. Les uns y voient un legs du romantisme (antithèse de l’artiste et du bourgeois), ou bien le font synonyme de gouvernement par les meilleurs, au sens où l’entendaient Platon, Renan, etc… Faguet croyait qu’il s’agissait, pour l’élite des penseurs, de diriger politiquement les masses. Or, l’artistocratie n’exerce