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jurés suppléants sur la liste spéciale. Le jour de l’audience, le jury se constitue tout d’abord en chambre du Conseil, en présence de l’accusé, de son conseil et du procureur général. Le juré qui, sans « excuses valables », ne se présente pas sur la citation qui lui a été notifiée, est condamné par la Cour à une amende de 200 à 500 fr. pour la première fois, de 1.000 fr. pour la seconde, de 1.500 fr. pour la troisième ; après quoi il est déclaré « incapable d’exercer dans l’avenir les fonctions de juré » ; l’arrêt est imprimé et affiché à ses frais. Les mêmes peines sont applicables au juré qui se retire avant l’expiration de ses fonctions.

L’accusé ou son conseil, puis le procureur général, peuvent récuser, sans donner leurs motifs, tels jurés qu’ils jugent à propos, tant qu’il en reste encore douze. Le jury est formé dès qu’il est sorti de l’urne douze noms de jurés non récusés.

Lorsque les questions sont posées et remises aux jurés, ceux-ci se rendent dans leur chambre pour y délibérer. Ils ne peuvent sortir de la chambre de leurs délibérations, qu’après avoir formulé leur déclaration. Leur décision se prend à la majorité. Si l’accusé est déclaré coupable, soit du fait principal, soit d’une ou plusieurs circonstances aggravantes, par une majorité de sept voix au moins, le jury répond sur chaque question : oui, à la majorité. Si une majorité de sept voix ou plus admet l’existence des circonstances atténuantes, le jury l’énonce ainsi : « À la majorité, il y a des circonstances atténuantes en faveur de l’accusé. » L’égalité des voix emporte une déclaration de non-culpabilité. Le condamné et le ministère public ont trois jours francs pour se pourvoir en cassation et ce pourvoi suspend l’effet de la condamnation.

Nous avons tenu à exposer en détail le mécanisme de la Cour d’Assises, cette juridiction criminelle qui, chaque année, envoie des centaines de malheureux au bagne, à l’échafaud ou dans les cellules des prisons centrales. Ce simple exposé aura déjà suffi, nous en sommes certains, à montrer toute l’ignominieuse comédie de cette parodie de justice. Ainsi, un jury de douze citoyens — dont on a soin d’exclure, en les récusant, tous ceux que l’on soupçonne de professer des idées généreuses — peut briser la vie d’un homme ou l’envoyer à la mort ! Qui oserait prétendre que ces douze citoyens, affligés, comme n’importe qui, de toutes les petitesses de la nature humaine, sauront pendant quelques heures, se dépouiller de toutes leurs faiblesses ? De quel droit ces douze esprits influençables prétendront-ils condamner un de leurs semblables et mesurer l’esprit d’autrui à leur mesure ? Quelle valeur aura un pareil jugement ? On voit souvent deux Cours d’Assises juger simultanément deux meurtres identiques : l’une acquitte, l’autre envoie l’accusé au bagne. Où est la justice, même si l’on se place au point de vue bourgeois ? Quelle est cette étrange logique qui fait que la condamnation varie, non pas avec le caractère du délit, mais avec le tempérament du juge ? Une telle comédie porterait à rire si les effets n’en étaient aussi tragiques. L’homme n’a pas le droit de juger son semblable. Les anarchistes sont les premiers à réprouver certains actes, tels le meurtre, le viol, etc…, mais ils ne sont souvent que des conséquences de l’état social défectueux que nous subissons. L’homme qui tue pour voler accomplirait-il cet acte abominable, si la société ne l’y poussait pas en lui marchandant le pain quotidien ? Quant aux autres criminels, qui tuent sans raison, ne sont-ils pas plutôt des malades que des criminels ? Et l’asile — un asile réformé — ne leur serait-il pas plus profitable que la prison ? D’ailleurs, le système pénal a montré ce qu’il valait : ni l’échafaud, ni le bagne, ni la prison n’ont fait diminuer le moins du monde le nombre des « crimes ». La répression la plus féroce ne sert à rien. Les causes du mal

sont trop profondes et sont trop intimement liées à la société actuelle. Les hommes n’en viendront à bout que le jour où règnera un nouvel état des choses — basé sur des principes sains et normaux. Les crimes et les juridictions criminelles disparaîtront avec les sociétés criminelles. — Georges Vidal.


ASSISTANCE n. f. Aide, secours de toute nature. Dans toute société où la pauvreté est de rigueur pour le plus grand nombre, parce que la richesse est l’apanage d’une faible partie de la population, l’Assistance est appelée à tenir une place considérable et à jouer un rôle de première importance. Qu’on y réfléchisse un instant : ils sont là, surtout dans les fortes agglomérations urbaines, des milliers et des milliers vivant de privations, angoissés par l’incertitude du lendemain, dénués de tous moyens d’existence. Habitation, vêtement, nourriture, rien ne leur est assuré. Ils vivent, péniblement, au jour le jour, incessamment menacés de manquer du strict nécessaire. Ils errent dans la rue, coudoyant le luxe insolent des privilégiés, ce qui leur rend plus douloureux encore et plus intolérable leur dénuement injustifié. Telle est leur détresse matérielle et morale, qu’ils sont enclins — Ô ironie ! — à bénir, avec reconnaissance et humilité, toute main secourable qui se tend vers eux, cette main appartînt-elle à celui qui constamment les dépouille et n’est riche que dans la mesure où ces miséreux sont indigents.

Du jour où il y eut des distinctions de situation et de fortune, du jour surtout où ces distinctions amenèrent la graduelle formation des classes opposées, l’Assistance s’imposa comme une institution réclamée par les possédants eux-mêmes, parce que, seule, elle était de nature à garantir leur tranquillité et à protéger leurs biens et leurs personnes. Menacés par le perpétuel danger que la misère fait courir à leurs richesses et à la sécurité de leur existence, les possesseurs de la fortune ont toujours considéré la pratique de l’Assistance comme le moyen le plus élégant, le plus sûr et le moins onéreux de mettre leur peau et leurs trésors à l’abri des entreprises dont le dénuement peut être l’instigateur.

Privée ou publique, individuelle ou collective, l’Assistance leur apparut comme le calcul le plus adroit. Ils discernèrent, dans l’organisation méthodique de l’Assistance, une soupape de dégagement, destinée à éviter l’explosion de la machine.

Naïfs, et d’une impardonnable naïveté, seraient ceux qui attribueraient à une idée d’équité, à un sentiment de solidarité ou d’humanité, les secours et l’aide accordés à ceux qui sont frappés de pauvreté, ou victimes de la maladie, de la vieillesse ou de l’infirmité.

Il se peut que, dans la classe riche, il y ait quelques natures généreuses dont le cœur demeure sensible aux souffrances des pauvres. Mais c’est l’exception : l’exception qui confirme la règle.

La règle, c’est que : la fortune étant la récompense du travail et le fruit de l’épargne, ceux qui en sont privés ne le doivent qu’à leur paresse et à leur prodigalité. Je connais, par centaines, des gens qui se disent convaincus — et peut-être le sont-ils ! — que le paupérisme a pour origines la débauche, l’ivrognerie, la paresse, toutes choses que, d’un mot synthétique, ils appellent « le vice ».

J’ai tenté maintes fois de détruire cette conviction ; mes arguments, les innombrables exemples dont j’illustrais ma démonstration, se heurtaient à un mur de préjugés et d’incompréhension. La famille, l’éducation, l’opinion publique portent les privilégiés à se croire de race supérieure au vulgum pecus. Les délicatesses et raffinements au sein desquels ils naissent et vivent suscitent et développent graduellement chez eux le