Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
ASS
160

classe ouvrière mondiale, le IIe Congrès de l’A. I. T. considère qu’il est du devoir des syndicalistes révolutionnaires de continuer, plus énergiquement que jamais, l’œuvre de regroupement de la famille syndicaliste sur les bases des principes du syndicalisme révolutionnaire tels qu’ils sont énoncés par les statuts de l’A. I. T. ; de ne participer à aucune conférence d’unité syndicale entreprise par ceux qui désirent étouffer le mouvement ouvrier en le faisant la proie des partis politiques quels qu’ils soient ; de grouper autour de l’A. I. T. toutes les forces révolutionnaires anti-étatistes du monde entier. »

Le Congrès a également protesté contre la réaction dans tous les pays, réclamé le droit d’expression par la pensée et par la presse, et fait appel à la classe ouvrière mondiale pour lutter contre le fascisme et la dictature.

Le Congrès adopta en outre des résolutions fixant l’attitude de l’A. I. T. en face des luttes quotidiennes pratiques, de l’application du plan Dawes à l’Allemagne, du rôle mondial des jeunesses syndicalistes, ainsi que des résolutions fixant l’action internationale de l’A. I. T. et les relations de celle-ci avec les Fédérations internationales d’industrie.

Le Congrès prit fin en organisant une Commission internationale d’Études.

Les hommes qui dirigent les affaires de l’A. I. T., sont : Rudolf Rocker, A. Schapiro, Augustin Souchy, Bernhard Lansink, A. Borghi, A. Jensen, D.-A. Santillan. — A. Souchy.


ASSURANCES SOCIALES. Origines. — Un réactionnaire n’est pas forcément adversaire de toute réforme sociale. Disons même que la réaction, la vraie, la dangereuse, se révèle maintenant sous des formes qu’on n’aurait pu prévoir il y a quelques dizaines d’années. Certes, de tout temps, réaction a toujours voulu dire opposition à tout progrès, effort de retour au passé ; mais, en fait, la réaction c’était le bonapartisme, ou le royalisme, ou le militarisme, ou le catholicisme. Aujourd’hui, l’on peut être réactionnaire et s’accommoder volontiers de la république, à forme politique même soviétique, et du mépris universel de tous les dieux.

C’est que l’évolution économique — par le perfectionnement des moyens de travail qui a donné naissance à l’automatisme de la fonction professionnelle ; par l’augmentation de la production et l’accroissement de la rapidité des échanges qui ont augmenté les facultés de consommation et la somme de confort humain — a développé dans les âmes le matérialisme. C’est que la concentration industrielle, commerciale et financière, engendrée par les découvertes scientifiques de ce dernier siècle, a fait surgir de formidables associations, une véritable féodalité nouvelle, plus restreinte que l’ancienne, mais aussi à la fois plus puissante parce que plus matérielle et plus brutale, parce que plus anonyme et sans tradition. Féodalité qui impose sa volonté à tous les parlements et à tous les gouvernements, dans la mesure où le prolétariat est inorganisé et impuissant, et où l’esprit de liberté est insuffisant dans l’ensemble de la population.

La poignée d’hommes qui compose cette force de domination a compris qu’elle ne pouvait raisonnablement et efficacement s’opposer à une évolution que le développement des moyens de communication et de l’instruction populaire contribue encore à précipiter. Elle ne se dresse plus aussi vigoureusement que dans le passé, à une époque où elle-même n’était encore qu’à l’état de formation, contre toute réforme sociale ; elle sait d’ailleurs qu’un meilleur aménagement des moyens de production permettra d’en supporter facilement les charges. Son objectif permanent, son

ambition c’est de faire renaître, à son profit et dans tout son absolu, le principe d’autorité.

N’est-il pas remarquable que, depuis la fin de la guerre, le patronat ait dépensé des sommes énormes pour l’édification de logements ouvriers ? Qu’il consacre des millions chaque année à l’alimentation des services d’allocations familiales ? Personne ne l’y a obligé ; aucune loi ne le lui a imposé ; il pouvait utiliser ses bénéfices à autre chose, par exemple à subventionner certaines œuvres et institutions ; quant à l’obliger à les mettre, sous forme d’impôts, à la disposition de la collectivité, sans doute la situation actuelle constitue-t-elle, à cet égard, une indication suffisante… Ces messieurs savent à quoi s’en tenir sur l’audace d’esprit et le courage des « grands hommes » de notre époque.

A-t-on suffisamment observé que le patronat, qui prit de lui-même ces initiatives coûteuses, aurait combattu vigoureusement tout effort de l’État tendant au même but ? Oh ! loin de moi l’idée de prétendre que l’État actuel, centralisé et froidement administratif, nous donne assez de garanties de souplesse et de compétence. Mais il est évident que le patronat ne dénonce son incompétence que pour y substituer sa propre autorité.

Celle-ci s’exerce déjà sur l’ouvrier au cours de son travail ; elle doit s’exercer jusque dans sa vie familiale. L’ouvrier subit déjà la servitude ; il doit être plongé dans une atmosphère d’humiliante philanthropie. L’ouvrier peut encore s’élever au-dessus de ses intérêts matériels et se livrer à l’évocation d’un noble idéal ; il faut que son horizon soit limité aux quatre murs de son atelier.

Tel est l’un des aspects principaux de la nouvelle réaction.

Dès lors l’on comprend qu’il n’ait pas été nécessaire que les organisations ouvrières mènent campagne pour que la question des Assurances sociales fut posée. Et que le dépôt d’un projet de loi tendant à l’institution de cette réforme ait été le produit de l’activité personnelle d’un homme pour lequel nous avons quelques raisons de n’avoir aucune sympathie, et de l’initiative d’un gouvernement.

Après la guerre, M. Millerand fut nommé commissaire de la République en Alsace-Lorraine. La population était indécise, tiraillée par les germanophiles d’un côté, par les francophiles de l’autre. Les pangermanistes préconisaient habilement la constitution des deux provinces en État neutre, soi-disant destiné à amortir les chocs entre la France et l’Allemagne. Il fallait acquérir le maximum de sympathie, faire des promesses, prendre des engagements, préparer enfin l’unification des législations, alsacienne et lorraine d’une part, française de l’autre. Le représentant du gouvernement français n’hésita pas à promettre formellement que les assurances sociales, appliquées depuis une quarantaine d’années en vertu de la législation allemande en Alsace-Lorraine, seraient étendues par une loi à l’ensemble de la population ouvrière française.

Mais, répétons-le, le geste du futur Président de la République française et celui, consécutif, du gouvernement, n’étaient pas en opposition formelle avec l’esprit des grandes organisations économiques. Celles-ci n’avaient-elles pas, d’ailleurs, pour les guider, l’exemple de Bismark faisant voter, dès 1884, d’importantes réformes sociales pour assurer la tranquillité grâce à laquelle la nation allemande pourrait se développer économiquement ?

C’est bien, en effet, dans cet esprit que le grand artisan de l’unité impériale s’engagea dans cette voie. C’est dans le même esprit que politiciens et patronat français l’ont imité.