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(Clichy) ― les brutalités ― le peuple laisse faire ― alors enfin Ravachol agit et d’autres agissent…

Ce ne fut fait ni par principe, ni dans l’espoir de vaincre, mais parce que ce fut inévitable ; il y a bien toujours un courageux qui perd patience et se sacrifie sur un ou plusieurs millions d’individus qui dorment en paix.

À l’époque présente l’attentat semble noyé dans la brutalité générale ― il a été universalisé, officialisé, légalisé : tout le fascisme et le bolchevisme régnant ne sont que des usurpations maintenues par l’attentat continuel, de tous les jours, passant dans les mœurs, sous le bâton du fasciste et le revolver du tchékiste.

Par contre, l’attentat généreux, libérateur ne s’est pas généralisé ― il végète encore, mais il est rare. Les grands criminels meurent dans leur lit. ― Çà et là le communisme, le nationalisme, le désespoir des victimes des traités de 1919 arment un bras, mais c’est rare aussi. ― Dans des pays lointains comme en Argentine, il y a quelque fois un justicier pour un motif libertaire, généreux. ― En Europe, on tire à tort et à travers.

C’est donc un retour aux siècles noirs du passé, quand l’attentat se confondait avec la violence et brutalité générales.

« Si les anarchistes n’arrivent pas à se créer un moyen propre d’influence, s’ils ne soutirent pas une partie du prolétariat à la funeste orientation des diverses tendances marxistes, si le fascisme et le bolchevisme se polarisent et forment le bloc de la réaction, sans avoir à compter avec notre résistance décidée, quelles perspectives pouvons-nous offrir aux travailleurs tyrannisés et assouplis sous le poids des « nouvelles castes dictatoriales ? » ― page 108 du livre El anarquismo en el movimiento obrero, par E. Lépez Corango et D. A. de Santillan (Barcelona, 1925). » C’est bien cela : pour réagir contre ces forces immenses : bolchevisme et fascisme, cette union du socialisme-traître et du capitalisme, il faut créer un milieu anarchiste attractif par la science, la beauté, la générosité, l’intelligence, l’étude ― et alors nous pèserons sérieusement dans la balance des événements. Il faut renouveler les idées. L’attentat paraît bien minime à côté de ces besoins immenses. Ou bien il sera élevé à une hauteur sérieuse nouvelle (et il n’y a pas trace d’une telle évolution) ― ou bien il s’éteindra, comme tout s’éteint, comme le monde rentre au nationalisme triomphateur présenté à la sauce fasciste ou bolcheviste.


Les attentats ne sont pas un remède, il me paraît. Ils ouvrent des portes ouvertes, s’ils concordent avec le sentiment général ; ou ils sont un effort perdu, ou presque, s’ils ne rencontrent pas ce sentiment général.

C’est une satisfaction, une ultima ratio qui, en théorie, permet au plus pauvre et au plus opprimé de prendre au plus riche et plus puissant la seule chose que l’or ne peut pas remplacer, que le pouvoir ne peut pas restituer : la vie. ― Mais, objectivement, c’est l’échange de la vie de l’homme le plus courageux, généreux, avancé dans un moment donné, contre la vie de l’individu le plus méprisé, détesté ― et de ce point de vue c’est un échange déplorable : un brave contre une canaille.

Il n’y aurait que cette raison importante pour justifier cet échange : c’est que l’autre, l’attaqué, soit non seulement exécrable, un misérable, mais aussi d’une puissance intellectuelle rare, de sorte que, par sa perte, l’ennemi perd réellement un de ses chefs et qu’il est désorienté par sa mort. Il y a des hommes, grands et petits, tout à fait nuisibles ; quelquefois un attentat les élimine ; mais trop souvent le sacrifice est fait pour

un individu qui se rend assez détesté par sa propre vie et qui ne mérite pas qu’un autre se sacrifie pour l’exterminer.

Ainsi, l’attentat est de qualité infiniment différente ; il est impossible de régler ses fonctions. Je conclus : c’est une force auxiliaire, un accessoire, une improvisation subite et aucun parti ne peut compter sur lui ; ou bien ce parti devient l’attentat incarné, le meurtre décentralisé, dilué, incorporé dans chaque individu, comme pour le fascisme où tout membre est un assassin en herbe ; pour le bolchevisme où on est soldat de la doctrine, prêt à tuer père et mère pour lèse-léninisme ; et le nationalisme, où on acquiert la qualité de pogromiste, de celui qui est prêt à piller et torturer l’homme d’une autre nation.

Nous, les anarchistes, nous sommes à l’autre bout de ce monde, mais nous devons vraiment tâcher que notre pôle devienne plus attractif, plus habitable. La force seule est si bête que la plupart du monde l’embrasse puisqu’elle est dans ses mœurs. Le fascisme est en somme la partie méchante qui repose dans chaque homme. Comme celui qui ne savait pas qu’il « parlait en prose », la brute vulgaire ne savait pas qu’elle était une fine fleur du fascisme, du nationalisme ; elle se sentait simplement brute ; et voilà que c’est du fascisme ! Quelle découverte ! Alors tout le monde en est.

Faisons donc autre chose. Étudions et soyons avant tout intelligents. On ne remue pas le monde ― et ce monde détraqué de nos jours encore ― avec de la force irréfléchie, des impulsions soi-disant spontanées et certainement non coordonnées, des idées formées au hasard ou répétant de bien anciennes choses pensées par d’autres en d’autres temps. ― Max Nettlau.

Attentat. — Au point de vue social, contre l’oppression et l’injustice d’une société basée sur le droit des plus forts, sur le vol, sur l’exploitation et la domination du peuple par les détenteurs de la richesse produite par tout le monde et par la nature elle-même, sur la censure des idées nouvelles qui ne peuvent être soumises à ce qu’elles croient néfaste, inhumain, mensonger, l’Attentat (on peut le dire) est un devoir. L’Attentat contre la propriété et contre ceux qui la font respecter par la force, est un fait de légitime défense, de revendication, de représailles et de propagande, justifié par l’esprit d’équité et d’exemple offert à la plèbe soumise à la dictature des financiers et des législateurs qui sont au pouvoir.

Suivant l’esprit qui les dicte, les Attentats ont des caractères différents : ceux dirigés contre la propriété peuvent avoir des buts distincts ; ils sont sociaux et altruistes quand le résultat doit profiter au peuple miséreux ou à une organisation sociale qui a besoin d’argent pour se propager. Les attentats contre la propriété pour un profit strictement personnel, sont d’essence bourgeoise, capitaliste et égoïste, parce que, dans ce cas, les expropriateurs remplacent les expropriés dans leurs rôles d’usuriers.

Les attentats contre les tzars, rois, empereurs, gouverneurs, présidents, ministres, généraux, policiers, représentants et défenseurs des régimes d’abus, d’oppression et d’esclavage des peuples, sont, pour la plupart, exécutés par des individus de grand cœur qui souffrent de sentir souffrir leurs semblables. Ils sont quelquefois dictés par une société secrète, comme cela s’est vu surtout en Russie, où le comité exécutif chargeait un ou plusieurs de ses membres de l’exécution d’un tyran. En Occident, ils sont les fruits mûris de sentiments personnels ; en général leur action contre des oppresseurs se manifeste individuellement ; ces actes sont sociaux et altruistes, parce que l’exécuteur