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et halète sous le poids des décorations, brochettes, écharpes, crachats, cravates, carcans, rouges, jaunes, bleus ou verts, qui lui étranglent le cou, lui étouffent la poitrine, lui courbent le dos, empêtrent sa marche, car il a des croix qui lui descendent jusqu’au bas des reins, jusqu’entre les jambes. C’est vraiment le dernier personnage de la dernière opérette. De ce fait, il a le pas sur tous les autres ; sa place est marquée au premier rang, dans toutes les cérémonies publiques et dans tous les dîners en ville. Il défile en tête de tous les cortèges officiels. M. Camille Doucet avant Molière, M. Albert Vandal avant Michelet, M. Coppée avant Baudelaire, M. Bourget avant Flaubert et Balzac. »

C’est sous la tutelle de cet Institut, que l’Administration des Beaux-Arts se manifeste par son armée de ronds de cuir sans compétences, aussi malfaisants sinon aussi ridicules, dont la suffisance interchangeable s’accommode de tous les emplois, comme celle de ses ministres, et qui, rendant inutiles les efforts des rares artistes égarés parmi eux, s’appliquent à étouffer toute manifestation d’art qui n’a pas reçu l’approbation de l’Institut. On la voit exercer sa dictature néfaste sur les musées, sur les bibliothèques, sur les théâtres, sur les écoles, partout où l’art, s’appuyant sur les richesses du passé, pourrait se vivifier, s’enrichir encore, se renouveler et trouver cette « liberté sans laquelle il ne saurait s’épanouir ».

Elle manifeste une hostilité hargneuse à tout artiste nouveau, supérieur, qui n’a pas été couvé par l’Institut et apporte une œuvre originale. Les plus grands artistes contemporains ont été poursuivis par elle et, lorsqu’on veut connaître leur œuvre, c’est à l’étranger qu’il faut aller la chercher. L’Administration des Beaux-Arts n’a d’autre objectif que de réaliser cette formule de M. Leygues, quand il était son chef, comme ministre : « L’État ne peut autoriser qu’un certain degré d’art », et elle s’acharne dans cette bêtise incurable et inamovible. Ce sera la tâche de l’art révolutionnaire de la déboulonner de son rond de cuir.

Edouard Rothen.


BÉNÉFICE. n. m. (du latin beneficium ; de bene bien et facere, faire). Gain, profit matériel ou moral. Exemple : les politiciens retirent de leurs apostasies, des bénéfices matériels de toutes sortes ; les anarchistes ne retirent de leur propagande qu’un bénéfice moral.

Trop nombreux, hélas, sont les hommes qui se préoccupent des bénéfices matériels avant de se préoccuper des bénéfices moraux.

Le commerçant qui accapare des marchandises de première nécessité pour provoquer une hausse, l’arriviste qui flatte les puissants, le politicien qui fait mille promesses qu’il a l’intention de ne pas tenir, tous ces gens-là n’ont qu’un seul désir : accumuler bénéfices sur bénéfices. Au contraire, le savant, l’apôtre, l’artiste sincère, peu soucieux des bénéfices pécuniaires, sont prêts à endurer toutes les privations pour mener à bien l’œuvre entreprise. Leur seule récompense sera le bénéfice moral qu’ils retireront de l’estime des honnêtes gens, et cette récompense leur suffit. Ce sera une des tâches de la Révolution sociale, de balayer les agioteurs et parasites de tout acabit, qui amassent des fortunes aux dépens des hommes laborieux.


BERGER (mauvais). On appelle mauvais berger, celui qui profite de l’influence ou du pouvoir qu’il a acquis sur les masses, pour tromper et dépouiller celles-ci. Exemple : Les politiciens sont les mauvais bergers du peuple. Innombrables sont les mauvais bergers, dans la société actuelle. Les politiciens mis à part, il y a encore les philosophes, les penseurs, les artistes qui, profitant de l’auréole que leur confère leur talent, mettent leur intelligence et leur nom au service

des dirigeants. Il faut démasquer tous ces mauvais bergers, qui exploitent cyniquement l’inconscience du troupeau ― jusqu’à ce que le troupeau lui-même, prenant conscience de sa veulerie, châtie à son tour les criminels qui l’ont dupé.


BERNER. v. a. Le verbe berner, au sens propre, signifie taire sauter quelqu’un en l’air dans une couverture, mais il est beaucoup plus employé au sens figuré : tromper en se moquant, ridiculiser, bafouer. Exemple : Le candidat à la députation berne ses électeurs. La classe ouvrière a toujours été bernée par ceux qui font mine de s’occuper d’elle.


BESOIN. n. m. Privation ou sentiment de privation, qui porte à désirer. Il faut distinguer les besoins de première nécessité et les besoins de luxe. Pour satisfaire leurs besoins de luxe, toujours croissant, les possédants n’hésitent pas à rogner sur les besoins de première nécessité des travailleurs. Pourtant, à peu de chose près, les besoins de tous les hommes sont identiques. Le travailleur, aussi bien que le parasite enrichi, sent lui-aussi, le besoin d’un peu de bien-être ou de superflu, pour rendre sa vie plus agréable. Mais la société actuelle ne lui reconnait qu’un besoin : le besoin de pain, pour qu’il puisse continuer à subsister et à travailler pour le plus grand profit de la caste dirigeante. Il en est de même pour les besoins intellectuels. L’ouvrier aimerait souvent à s’instruire comme les fils fortunés de la bourgeoisie. Mais la société, voulant qu’il demeure dans son ignorance, lui en refuse les moyens. Elle estime que seules les classes privilégiées ont besoin d’une nourriture intellectuelle. Quant aux travailleurs, c’est à peine si, dans ce domaine, on leur reconnait un peu plus de besoins que les animaux. Seule la Révolution sociale pourra rétablir l’équilibre des besoins humains et supprimer ces odieux privilèges de classe.

Besoin. C’est du besoin que sont nés les arts, les industries et les philosophies. Le besoin a créé l’homme. Il en a fait un être sentant et pensant. C’est par le besoin que l’homme est sorti de l’animalité. Aux prises avec la nature, les premiers hommes ont été obligés de lutter pour vivre. Même en mettant à leur disposition ses immenses ressources, cette nature ne les a point dispensés de l’effort. Comme tous les animaux, l’homme a éprouvé le besoin de se réaliser, tantôt en s’adaptant aux circonstances, tantôt en les combattant. L’homme-singe qui vivait il y a 500.000 ans a dû s’ingénier pour découvrir les moyens capables d’assurer son existence. Cet homme était surtout préoccupé de pourvoir à sa nourriture, mais dans cette recherche constante son cerveau a réfléchi, et lentement, l’hominien tertiaire a pris conscience de lui-même et de l’univers. C’est le besoin qui a créé les différentes races d’animaux qui se sont succédé sur le globe depuis l’apparition de la vie. Supprimer le besoin, vous supprimez la création. Les besoins, c’est la vie entière. L’esprit a ses besoins, comme le corps. L’homme a besoin de pain idéal autant que de pain matériel : la beauté, sous toutes ses formes, lui est nécessaire. L’histoire des besoins, c’est l’histoire de la civilisation humaine. « Les vrais besoins de l’homme ne sont autre chose que les nécessités de la nature », disait Rousseau. L’homme cherche ce dont il est privé : il lutte pour le conquérir. Ceci est vrai pour la vie morale comme pour la vie physique. L’homme a autant besoin de liberté (sous toutes ses formes) que de nourriture. Manger et penser, c’est être libre. Ce qui caractérise avant tout le besoin, c’est une privation, un manque, l’absence de quelque chose. « Tout désir est un besoin, une douleur commencée », d’après Voltaire. Celui qui désire quelque chose souffre. Cependant, sans désirs, que serait l’homme ? L’être supérieur souffre du man-