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ADU

fabriqués à coups de grosse caisse et de réclame tapageuse. Admirons tous les vrais artistes, tous les pontes prestigieux, tous les esprits supérieurs, tous les savants sans charlatanisme et toute la pléiade des flambeaux qui percent et dissipent les ténèbres de l’ignorance, de la servitude et de la misère. Admirer, c’est participer à l’œuvre admirée, c’est presque créer soi-même l’œuvre qu’on admire ; c’est presque s’élever à la hauteur de celui qu’on admire. Celui qui admire l’œuvre du génie s’égale à son auteur et quand nous applaudissons un beau geste, c’est — moralement — comme si nous l’accomplissions nous-mêmes.


ADULTÈRE « Violation de la foi conjugale ». Telle est la définition donnée communément à ce mot par les dictionnaires. Mais c’est là, en vérité, une définition impropre. En effet, qu’est-ce que la « foi conjugale » ? Si ce n’est le serment par lequel deux époux s’engagent mutuellement, pour la durée de leur union, sinon pour la vie, à n’avoir de rapports sexuels qu’entre eux, à l’exclusion de tout contact amoureux, comme de toute liaison passionnelle, en dehors du ménage.

Or, un tel serment — qui peut être fait, et même respecté, par des amants non légalement unis — n’est pas forcément exigé par la loi lors de la célébration des épousailles. Tel est le cas pour la France, où le maire se borne à lire, aux nouveaux conjoints, l’article du code civil qui leur fait une obligation de se demeurer « fidèles », sans souci de savoir s’ils s’en sont fait l’un à l’autre la promesse.

L’adultère n’est donc point, en son essence, une des formes du parjure. C’est surtout un délit : celui qui consiste, pour une personne mariée, à enfreindre la loi en vigueur en ayant, en dehors du ménage, des relations d’amour, quelles que soient les dispositions morales qui aient chez elle présidé à l’acceptation de l’hymen, conclu souvent par ignorance ou par nécessité.

Tous les peuples n’ont point considéré comme une faute grave les fantaisies sexuelles des époux lorsque, pour le noble jeu d’amour, ils éprouvent le besoin de changer de partenaire. À Tahiti, l’importance n’en dépasserait point celle d’une innocente et bien naturelle distraction. Au Darfour, cette incartade mérite tout au plus une gronderie. Les Lapons, dit-on, poussent l’hospitalité jusqu’à offrir à leurs hôtes leurs femmes et leurs filles — je me complais à croire que c’est avec l’assentiment de ces dernières !

Cependant la plupart des peuples n’ont point fait preuve d’une aussi louable douceur dans les mœurs. Ils ont, au contraire, férocement châtié, comme les pires criminels, les époux se donnant licence de rechercher, avec qui leur plaisait, des voluptés dont ils n’avaient point eu l’avantage, ou qu’ils ne goûtaient plus, au foyer conjugal.

Dans l’antiquité, l’adultère était presque partout punie de mort. L’épouse coupable est brûlée vive, ou fouettée jusqu’à épuisement, ou bien encore massacrée à coups de pierres par la populace. Il est des régions où l’on se contente de lui couper le nez. Ailleurs, elle est exposée sans voile dans la rue et livrée à tous les passants.

Son complice peut être, lui aussi, puni de mort, ou fustigé cruellement, s’il n’est mutilé dans ses organes sexuels.

Pourtant, en dépit des supplices et des menaces, l’amour, qui n’a jamais connu d’autre loi que son caprice, persiste à enivrer les esprits et attiser les sens, avec un tel irrespect des conventions admises, que la peur de terribles suites semble parfois pour lui un excitant de choix. Et l’adultère ne disparaît point des mœurs. Il rencontre seulement plus d’obstacles. Mais les jaloux n’y gagnent rien, si ce n’est la satisfaction

de mesquines vengeances, car il n’est pas d’exemple que la contrainte ait fait naître l’amour où il n’existait point, ou l’ait ressuscité de ses cendres là où il n’existait plus.

Il a fallu un déplorable nombre de siècles pour que disparussent en partie d’aussi sauvages répressions. N’oublions pas que l’abolition de la torture, tout au moins dans ses procédés les plus inhumains, et pour les pays d’Europe seulement, est à peu près contemporaine de la Révolution Française, c’est-à-dire historiquement récente !

Dans le cours du Moyen-Age, si la peine capitale devint exceptionnelle, les époux adultères n’en furent pas moins soumis à des châtiments corporels, et à des épreuves vexatoires, comme d’être promenés nus à travers la ville, en plein midi, sous la risée et parfois les coups des badauds accourus.

Plus tard ces exhibitions furent supprimées, plus par pudibonderie probablement, que par charité chrétienne. Mais le fouet et l’amende demeurèrent longtemps encore en usage, du moins pour les gens du peuple. Car, pour ce qui est des nobles, ils faisaient à peu près ce qu’ils voulaient, et se bornaient d’ordinaire à faire entrer leurs femmes ou leurs filles dans des couvents.

De nos jours, dans les pays les mieux civilisés, quand la constatation de l’adultère n’est pas seulement prétexte à divorce ou à répudiation, avec perte de certains avantages matrimoniaux, elle n’entraîne que l’amende et l’emprisonnement. Encore ceci tend-il à tomber en désuétude.

Le monde ne s’en porte pas plus mal, bien au contraire, et le cocuage n’en est peut-être pas rendu beaucoup plus fréquent. L’erreur du genre humain est de s’imaginer que l’on ne peut rien obtenir de satisfaction là où ne s’exerce un despotisme barbare, et de croire que nous roulerions dans des abîmes sans fond si nous ne prenions la précaution de nous ligoter les uns les autres dans quantité de règles absurdes, parce qu’abusives et généralement inefficaces.

Pourquoi l’adultère a-t-il été puni si sévèrement dans le passé et expose-t-il encore, dans nombre de pays éclairés, à des pénalités diverses, au lieu de n’exposer partout qu’à la séparation pure et simple ? On invoque comme prétexte la nécessité de préserver la morale. Belle morale, en vérité, que celle qui fait de la femme l’esclave de l’homme, l’assimile à un objet mobilier dont il peut, après la famille, disposer à son gré, et couvre de chaines les amants ! Mais cela même n’est qu’un prétexte hypocrite. Si la morale — celle qui nous vient de la mythologie judéo-chrétienne — était vraiment en jeu, il n’y aurait aucun motif pour que l’homme et la femme ne fussent également châtiés lorsqu’ils accomplissent, sans respect du commandement divin, l’œuvre de chair.

Or, il n’en est pas ainsi. La loi et les mœurs ont établi et consacrent encore, quoique moins brutalement, une scandaleuse différence dans la culpabilité, selon que ce qu’il est convenu de nommer « la faute » est commis par un représentant de l’un ou de l’autre sexe.

Au sein des familles où le père ne s’est privé de rien, ou les jeunes hommes — avec l’assentiment, on pourrait dire la complicité de leurs proches — s’affichent en compagnie de maîtresses toujours nouvelles, la moindre amourette de la sœur aînée serait jugée par tous une faute abominable, digne des sanctions les plus sévères.

Lorsque l’homme se marie, c’est le plus souvent après avoir usé largement des plaisirs de l’existence. C’est au moment où, fatigué, il aspiré au repos, qu’il contracte union avec une jeune fille qui, elle, n’en a connu aucun et serait, par conséquent, avide autant qu’il le fut jadis, de découvrir le monde. Cependant sa révolte — fût-ce devant le plus fade, le plus attristant des hyménées — sera taxée de dévergondage.