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un coup de fusil, etc… sans mourir. Il ne peut se jeter par la fenêtre sans tomber ; marcher sur la mer sans se noyer, etc…

Toutes les notions morales et sociales, au contraire, ne revêtent pas ce caractère de nécessité. Tuer un homme, voler, frapper, déserter, actes considérés comme mal, ne reçoivent pas nécessairement leur châtiment.

Au sens étymologique de Bien, est bien, ce qui est : agréable, bon, utile à l’Individu. L’Individu seul, peut s’appliquer une Règle des actions, une morale, qui ne soit pas une contrainte, un mensonge, qui soit le produit d’un raisonnement incontestable. ― A. Lapeyre.

Bien (Le). Il est fort difficile ― sinon impossible ― de définir le sens de ce mot qui, de même que le mot « mal », a été employé de tous temps par les moralistes religieux ou bourgeois pour influer sur l’esprit public. Ces moralistes, valets de pouvoir ou esclaves d’une mentalité étroite, qualifient de bien tous les actes nécessaires au maintien de ce pouvoir ou de cette mentalité étroite. Ainsi, les moralistes officiels diront : il est bien de défendre la patrie, de payer ses impôts, de travailler 15 heures par jour lorsque le pays est pauvre, de faire beaucoup d’enfants, etc… Les moralistes religieux diront : il est bien de craindre Dieu et d’obéir à ses représentants sur la terre : les gens d’église, etc… Nous voyons donc que la notion de bien varie avec les intérêts et ne possède aucune base réelle. D’autre part, la notion de bien varie avec le temps et avec les lieux ; ce qui était bien au moyen-âge ne l’est plus maintenant, ce qui est bien en Orient ne l’est pas en Occident, etc… Quelle valeur peut-on, alors, donner à une notion aussi fantaisiste ? Aucune. Le Bien n’existe pas plus que le Mal et n’a de raison d’être que pour ceux qui l’exploitent. Est-ce à dire qu’il ne peut exister aucune notion du Bien ? Non. On peut admettre une notion du bien très générale ; on peut dire avec raison : il est bien de rendre service à son voisin, il est bien de défendre sa liberté contre tout et contre tous, il est bien de pratiquer la solidarité et la fraternité, il est bien de s’instruire, etc. Au contraire, un grand nombre des actes qualifiés bons par la morale bourgeoise sont des actes néfastes ou criminels qu’on pourrait avec juste raison cataloguer parmi les actes mauvais. Mais enfin il convient surtout de n’accepter jamais ces entités : Bien, Mal, Justice, etc…, qu’on orne de majuscules pour les rendre plus imposantes et respectables à la foule. C’est à l’individu conscient et humain de voir par lui-même ce qui est véritablement bien, c’est-à-dire conforme aux sentiments généreux de l’humanité, et ce qui ne l’est pas.

Le Bien. Comment le définir ? Les dictionnaires à l’usage des bons citoyens et des bons sujets des pays et des États civilisés définissent le mot Bien par « ce qui est juste, louable, digne d’approbation », ce qui constitue, porté à sa suprême expression, « la perfection morale ». Tout cela, sans expliquer ce qu’il faut entendre par ces différentes qualifications ou périphrases. Les philosophes anciens et modernes ont donné des définitions moins vagues de ce même mot Bien, définitions qu’on peut grosso modo classer de la façon suivante : Le bien se trouve dans le plaisir (Aristippe, Épicure) ― dans la ressemblance avec Dieu (Platon) ― dans l’exercice de la raison (Aristote) ― dans la conformité avec la nature (Stoïciens) ― dans l’ordre (Malebranche) ― dans le plus haut degré d’être et d’intelligibilité (Leibniz) ― dans la sublimation du sentiment (Jacobi, Adam Smith) ― dans l’intérêt bien entendu (Hume, Bentham, Stuart Mill) ― dans l’adaptation à l’évolution universelle (Spencer) ― il est l’objet d’une

volonté universelle (Kant). Une définition pragmatique englobe toutes ces doctrines, toutes ces opinions : le bien, c’est ce qui doit être.

Acceptons cette définition et demandons-nous en toute simplicité ce qui doit être pour nous rendre heureux, car c’est à nous rendre heureux que tend ce qui est juste, louable, digne d’approbation. Une conception du bien qui tendrait à nous rendre malheureux est illogique, incompréhensible, cruelle, inhumaine ― va à l’encontre de son but. En nous interrogeant, nous trouvons facilement que pour être heureux il nous faudrait être en situation de faire tout ce qui nous plaît, et ne pas être forcés de faire ce qui nous déplaît.

L’examen des circonstances qui conditionnent notre vie quotidienne nous montre que des puissances d’ordre matériel et moral nous empêchent fréquemment de faire tout ce qui nous plaît et nous contraignent souvent à faire ce qui nous déplaît. Nous nous trouvons, à notre entrée dans la vie, en présence d’un état de choses qui nous place sous la dépendance d’organisations politiques, intellectuelles, morales : État, École, Église, ― lois, conventions, commandements, ― auxquelles nous devons obéir ou nous conformer sous peine de sanctions matérielles ou de mise à l’écart parfois aussi pénibles que les punitions pénales ou les châtiments disciplinaires.

À en juger par les résultats de la méthode de domination de l’homme sur l’homme et d’exploitation de l’homme par l’homme, ― misère économique et morale générale, guerres, oppression politique, ― il ne semble pas que le système en usage jusqu’ici ― autorité, violence organisée et systématisée ― ait amené le bonheur parmi les hommes, ait instauré « le bien ». On est donc fondé à proclamer la faillite des méthodes de coercition gouvernementale ou ecclésiastique, qu’il s’agisse d’économie sociale ou politique, aussi bien que d’éducation laïque ou religieuse.

La restriction, la contrainte, s’étant montrées impuissantes à faire régner « le bien » parmi les hommes, à leur assurer le bonheur, il vient de suite à l’esprit que la méthode contraire, celle de la liberté absolue, pour l’individu, de faire à sa guise, pourrait amener des résultats opposés. Or, jusqu’ici nulle part on n’a essayé de pratiquer le bien sous cette forme : créer une mentalité qui rende usuel, ordinaire, commun, courant, pour l’unité humaine isolée ou associée, la possibilité de faire tout ce qui lui plaît, sans qu’il lui vienne à l’esprit d’empiéter sur la possibilité d’autrui d’en faire autant. On enseigne bien aux enfants dans les écoles laïques et religieuses, qu’en compensation des droits qu’on leur accorde sur leur prochain, ils ont des devoirs à remplir à son égard, mais ces droits et ces devoirs sont inclus dans des réglementations d’ordre légal ou moral qui les canalisent et les amputent de telle sorte que jamais personne ne peut se conduire ou évoluer comme il le ferait, s’il n’était pas forcé d’agir ou de faire comme les conducteurs politiques ou religieux de l’humanité exigent qu’on agisse ou fasse pour qu’ils se maintiennent en possession du pouvoir temporel ou spirituel.

Le « bien », au point de vue individualiste anarchiste, c’est de pouvoir faire individuellement tout ce qu’on veut, à ses risques et périls, sans aucune limite ou barrière d’ordre étatiste ou gouvernemental, sans aucune autre réserve que l’abstention d’empêcher autrui d’agir de même. « Le bien » c’est, isolément ou en s’associant, déterminer la ligne de conduite ou de poursuivre le but qui peut personnellement procurer le plus de jouissances d’un ordre ou d’un autre, sans empiéter sur la ligne de conduite d’autrui, isolé ou associé, sans porter de jugement sur la façon de se comporter de quiconque évolue en dehors ou à côté de