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sable que l’esprit et le cœur connaissent les satisfactions et goûtent les joies qui leur sont propres. Car l’individu n’est pas seulement un estomac qui digère ; c’est encore un cerveau qui pense et un cœur qui aime. La puissance de ses besoins intellectuels et affectifs ne le cède en rien à la force de ses besoins plus particulièrement physiques (que je ne distingue, au surplus, des premiers que pour parler un langage conforme à la classification usitée et pour être plus aisément compris).

Lorsque la faim, la soif, le besoin de dormir, la nécessité de s’abriter et de se vêtir talonnent un individu, il est certain qu’il songe tout d’abord au Bien-Être que lui procureraient, en l’occurrence, un repas appétissant, un lit moelleux, un abri confortable, un vêtement propre. Mais aussitôt que ces divers besoins sont satisfaits, il ressent, à moins qu’il ne soit une brute épaisse, le besoin de penser et d’aimer. Il arrive, alors, que moins il est absorbé par la nécessité de manger, de dormir, de se loger, de se vêtir, et plus il ressent celle de penser et d’aimer. L’aiguillon des besoins intellectuels et affectifs pénètre en lui d’autant plus profondément qu’il parvient mieux à se débarrasser, par une satisfaction régulière et abondante, de l’obligation lancinante des besoins spécifiquement matériels.

Ces considérations, dont personne, j’imagine, ne contestera l’exactitude, nous amènent, par une pente naturelle, à étendre le sens du mot « Bien-Être » aux satisfactions de tous ordres que comporte la multiplicité des besoins engendrés par la complexité des fonctions et des organes.

Certaines Écoles, dites socialistes ou communistes, enfermant tout le problème social dans la question économique, prétendent transformer l’organisation sociale, de la base au sommet, en changeant tout simplement le mode de production et de répartition des produits par la substitution d’un socialisme d’État (collectiviste ou communiste) au régime capitaliste actuel. Il va de soi que ces Écoles n’envisagent qu’une partie de la machine humaine : celle qui mange, boit, dort, produit et négligent celle qui aime et qui pense. Or, celle-ci a ses besoins comme celle-là ; d’une façon générale, les premiers ne sont ni plus ni moins impérieux que les derniers : plus forts chez les uns, ils sont plus faibles chez les autres. Ce qui est certain, c’est que chez les uns comme chez les autres ce sont les besoins insatisfaits qui réclament avec le plus de violence.

Un Bien-Être qui n’aurait pour but que de mettre les individus à l’abri de la misère et de ses désastreuses conséquences, constituerait, évidemment, un progrès appréciable. Mais c’est un résultat auquel il ne serait pas impossible d’atteindre, même sous régime capitaliste, par un ensemble de mesures appropriées et concordantes. Alors, point ne serait besoin d’une Révolution bouleversant l’ordre établi, qu’il serait suffisant de modifier graduellement. Mais, limitée à la seule satisfaction des besoins matériels, cette transformation sociale ne tarderait pas à provoquer de la part des besoins intellectuels et moraux, qui resteraient insatisfaits et deviendraient, je le répète, d’autant plus pressants que les autres seraient plus et mieux satisfaits des réclamations, des mécontentements et des révoltes qui ébranleraient de jour en jour le nouvel ordre social et tôt ou tard le renverseraient.

L’Anarchisme donne au mot « Bien-Être » son sens le plus étendu, sa signification complète. Tel que le conçoivent et veulent l’assurer à tous sans distinction les libertaires, le Bien-Être est un état de satisfaction et de sécurité, une situation agréable du corps, de l’esprit et du cœur qui, en favorisant l’épanouissement intégral de tous les individus, donnera naissance à une humanité de plus en plus heureuse, parce que ses

besoins augmentant sans cesse trouveront leur satisfaction libre dans un Bien-Être constamment accru.

Nous verrons au mot « Liberté » comment il faut entendre ce terme qui, avec le mot « Bien-Être » résume l’idéal anarchiste. ― Sébastien Faure.


BIENFAISANCE. n. f. (du latin bene, bien et facere, faire). Inclination à faire le bien. Action de faire du bien à quelqu’un. La pratique du bien. L’habitude de faire le bien. Vertu qui nous porte à venir en aide à notre prochain. L’homme bienfaisant est celui qui, par ses conseils, ses encouragement, son soutien ou son argent, se porte au secours de ses semblables. Le mot bienfaisance se confond généralement avec les mots Charité et Philanthropie. Les œuvres dites de bienfaisance ont, en effet, la même origine, les mêmes caractères et le même but que les œuvres dites de charité et de philanthropie. Ce que j’ai dit de l’Assistance (voir ce mot) pourrait être répété ici ; car, tout comme l’Assistance, la Charité et la Philanthropie, la Bienfaisance, dans notre milieu social où la misère abonde, n’est, le plus souvent, qu’un cynique calcul ou une abominable hypocrisie : calcul, de la part de ceux qui, riches à millions, donnent ostensiblement quelques centaines de mille francs pour garder leurs richesses et apaiser les justes colères que peut faire gronder chez les pauvres l’insolent étalage de leur luxe ; calcul, de la part de ceux qui, propriétaires endurcis, patrons sans entrailles, financiers et commerçants sans scrupules, achètent à bon marché, pour quelques aumônes bruyamment distribuées, une réputation imméritée de générosité et s’entourent de l’auréole de la bonté ; calcul, chez ceux qui, au cours des rigoureux hivers, sortent de leurs appartements bien chauds, s’emmitouflent de fourrures et, dans des autos confortablement capitonnées et douillettement chauffées, gagnent un lieu de plaisir où ils s’amusent, jouent, flirtent, dansent et soupent jusqu’au matin, donnant à leur amour du jeu, du jazz-band, de la galanterie et de la bonne chère, une apparence de commisération pour les infortunés qui ne savent où reposer leur tête et à qui ils se garderaient bien d’offrir un refuge ; calcul encore, chez ceux qui, croyants ou incroyants, réactionnaires ou démocrates, font de la bienfaisance un des instruments les meilleurs et un des plus fermes soutiens de leur influence politique et morale ; calcul, enfin, chez ceux qui, sous le couvert d’une foule d’œuvres de bienfaisance et de secours, recueillent des êtres sans asile, sans travail, sans pitance, leur fournissent du pain et un gîte en échange d’un travail souvent excessif et, sous le masque d’une honorable philanthropie, réalisent ainsi des bénéfices sur le dos, déjà voûté par le malheur, des meurtris de l’existence.

La véritable bienfaisance fuit ces hypocrisies et ces calculs. Elle n’use pas de ces pratiques ; elle a mille moyens de s’exercer utilement, de façon discrète et désintéressée. Sans qu’il lui soit nécessaire de les chercher, l’être bienfaisant trouve mille et mille occasions de secourir, de seconder ses semblables. Une bonne parole, un geste affectueux, un sage conseil, un encouragement opportun, sont parfois plus secourables et plus efficaces qu’une aumône ; et lorsque cet encouragement, ce conseil, ce geste, cette parole accompagnent le secours en argent, ils donnent à celui-ci un prix inestimable. C’est sous ces formes multiples, que le cœur suggère et multiplie, que se manifestera, dans une société libertaire, la propension à faire le bien, c’est-à-dire à se porter au secours des faibles, des malades, des éprouvés, afin de leur prodiguer l’appui, les soins et les consolations dont ils auront besoin.

Il est vrai que bienfaisance, charité, aumône, philanthropie seront, alors, des expressions ayant une