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AGI

idéal, qui ont à lutter contre les mêmes ennemis, qui sont suppliciés par les mêmes bourreaux, qui se voient tous courbés sous la loi des mêmes Maîtres et tous victimes de la rapacité des mêmes profiteurs. Ces hommes sont amenés graduellement à penser, à sentir, à vouloir, à agir en concordance et en solidarité, à accomplir les mêmes taches, à assumer les mêmes responsabilités, à mener la même bataille et à unir à ce point leurs destinées que, dans la défaite comme dans la victoire, le sort des uns demeure intimement lié à celui des autres : cohésion volontaire, association voulue, groupement consenti. Ici s’affirment toutes les énergies d’affinité procédant de l’analogie des tempéraments, de la parenté des goûts, de la conformité des idées.

Des anarchistes, il est dit qu’ils se groupent par affinité. C’est exact ; et il n’est pas douteux que ce mode de groupement est à la fois le plus normal, le plus solide et le plus conforme à l’esprit anarchiste. Il est le plus normal, parce qu’il est le plus en accord avec la nature et la raison ; il est le plus solide, parce qu’il est le plus capable de résister aux tiraillements, aux querelles et à la dislocation, qui sont le lot fatal des organisations, des partis et des ligues qui groupent des individus aux goûts opposés, aux tempéraments contradictoires, aux idées sans cohérence ; il est le plus, disons mieux : le seul qui soit conforme à l’esprit anarchiste, puisqu’il ne porte atteinte aux aspirations, au caractère, à la liberté de personne.

Nous concevons, dans la société anarchiste que nous voulons fonder, une extraordinaire floraison des groupes d’affinité. Ils se formeront ou se dissoudront avec les évènements au cours toujours capricieux et par la seule volonté, toujours indépendante, des intéressés. Ils constitueront un réseau souple et serré de foyers et de centres ou se donneront rendez-vous, pour travailler ou se divertir, pour faire ensemble œuvre utile ou agréable : jeunes et vieux, hommes et femmes, studieux et imaginatifs, silencieux et bruyants, méditatifs et exubérants, froids et passionnés, hardis et timides. Les uns et les autres, âges et sexes confondus, ne seront liés que par le contrat qu’il leur aura plu de passer entr’eux et qu’ils seront libres de rompre quand ils le désireront. C’est dans cette extrême diversité des groupements d’affinité que pourront se rencontrer ceux et celles de qui la joie sera de faire de la musique ou des sports, de cultiver les arts ou les sciences, de faire du théâtre, de danser, de lire ou de discuter.

Les Groupes de production eux-mêmes se transformeront, par une pente fatale, en groupes d’affinités. Sous régime capitaliste, il n’est pas nécessaire que les producteurs travaillant côte à côte dans la même usine, dans la même fabrique, dans la même exploitation rurale, dans le même magasin, dans la même administration, s’y trouvent rassemblés par les mêmes aptitudes et rapprochés par de mutuelles sympathies ou attractions. Le hasard, l’absence d’éducation professionnelle (le machinisme a fait de l’ouvrier un manœuvre) la volonté souveraine des parents président presque toujours au choix involontaire d’un métier et à l’exercice de ce métier ici ou là. Dans une société anarchiste, c’est sur les forces, les aptitudes, les dispositions naturelles et la libre volonté des travailleurs, que sera fondée la production et que se constituera le personnel d’une usine, d’une fabrique, d’un chantier ou d’une exploitation agricole. De nos jours, quand un jeune homme a fait un apprentissage, quand il a embrassé une profession, quand il l’a exercée plus ou moins longtemps, il ne faut pas qu’il songe — sauf exception — à se lancer dans un autre métier. Et, quelle que soit la répugnance qu’il éprouve à rester dans la voie où les

circonstances de la vie, et non son libre choix, l’ont engagé, il se voit condamne à n’en pas sortir. En Anarchie, ces conditions seront totalement transformées : d’une part, ce sont les goûts, les aptitudes et la volonté libre de l’adolescent devenu apte à prendre sa part de l’effort commun, qui détermineront le genre de production auquel il s’adonnera ; d’autre part, il lui sera toujours loisible d’en changer, sans qu’il en résulte, ni pour lui ni pour le milieu social, un inconvénient appréciable. Libre de choisir son genre de travail et de changer de profession, libre de produire dans un atelier de son choix et avec les compagnons vers lesquels il se sentira le plus fortement attiré, le travailleur, dans l’avenir, ira où le porteront ses affinités. Il n’est pas douteux que, accomplie dans ses conditions, la production y trouvera son compte et que l’individu y trouvera le sien.
Sébastien Faure.


AGITATEUR n. m. L’agitateur est celui qui, par la parole et par l’écrit, réveille les masses populaires, leur dénonce les iniquités dont elles sont victimes et leur enseigne la révolte consciente. Pour être un véritable agitateur, il faut souvent avoir un tempérament d’apôtre. Il faut ne craindre ni la misère ni les persécutions. Il faut être prêt à subir toutes les vexations et toutes les brimades. Il faut ne pas craindre de risquer sa liberté et sa vie au service des opprimés. C’est là, on le voit, un âpre apostolat. L’agitateur doit savoir répandre la bonne parole dans les villes et dans les campagnes, à l’atelier et aux champs, partout où peine la classe laborieuse. Mêlé à la masse anonyme des travailleurs, il doit éveiller chez les uns le désir de liberté et, chez les autres, ranimer l’esprit de lutte. Il doit dépenser son énergie à faire naitre et se développer des consciences neuves. Il doit soutenir l’indignation justifiée des humbles et défendre sans répit les droits du travailleur. L’action d’un véritable agitateur peut être, en certaines circonstances, d’une portée considérable, car son rôle ne se borne pas à dénoncer publiquement les iniquités du Gouvernement, de la Magistrature, de l’Église qui, ouvertement ou hypocritement, sont toujours les complices des Puissances d’argent et les serviteurs des Maîtres politiques. Quand l’effervescence à laquelle, par la flamme de ses exhortations, il a contribué, prend une tournure grave, quand elle éclate sous la forme de grève, de manifestation sur la voie publique, d’émeute ou d’insurrection, il a pour devoir de payer de sa personne, de donner l’exemple, de stimuler les énergies défaillantes, d’entraîner à la bataille les hésitants, de relever les courages qui faiblissent, d’être parmi les plus vaillants et de se porter au cœur même de la mêlée.

L’agitateur qui, l’heure venue de mettre en pratique les conseils donnés par lui à ses camarades ou à ses frères de misère, se déroberait aux responsabilités, éviterait les risques et fuirait le danger, se disqualifierait et se déshonorerait à jamais.

Telle est la tâche que doivent s’assigner les agitateurs révolutionnaires. Celui qui ne se sent pas la force d’aller jusque-là doit renoncer à devenir un agitateur.

Grand est le nombre des anarchistes qui ont été de puissants agitateurs ; plusieurs ont exercé sur la foule une influence énorme ; le courage allié au sang-froid, la promptitude dans les décisions à prendre et le coup d’œil qui se rend compte rapidement de l’action que réclament les évènements d’une part, et l’état d’esprit des masses en proie à l’agitation sont les qualités essentielles de l’agitateur en période d’action révolutionnaire.

La classe ouvrière n’a pas de meilleurs amis ni de plus ardents détenteurs que les agitateurs anarchistes.

Georges Vidal.