Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

AGR

parfois vastes (comme en Angleterre) utilisés seulement en lieu de distraction par de gros richards, alors qu’à côté les malheureux sont dans la misère, n’ayant pas de terre à cultiver. Le progrès technique, si rapide dans l’industrie, a mis beaucoup plus longtemps à pénétrer dans l’agriculture, précisément à cause du morcellement et de la dispersion de la culture. L’agriculture, la vie au village sont restés dans un état anachronique, uniquement dû au régime de la propriété. Toutes les tentatives de révolution technique se heurtaient à l’esprit particulariste des paysans. Seules, les grandes entreprises agricoles se sont lancées dans la voie du progrès. Les coopératives agricoles sont néanmoins venues secouer un peu cet état d’esprit. Là où le particularisme mettait une barrière à révolution normale, la pratique de l’association a apporté de grands changements : utilisation des machines ; achat des engrais ; organisation de la vente supprimant les intermédiaires onéreux qui ravageaient les campagnes. De moins en moins, le paysan va vendre lui-même, au marché voisin, sa production, passant un temps interminable au marchandage. Les coopératives agricoles d’une part ; de grosses maisons de commerce : laiteries, fromageries, sucreries, etc., d’autre part, sont venues régulariser les échanges. La prospérité actuelle des agriculteurs propriétaires provient davantage des nouvelles méthodes de vente et d’achat qui les font maîtres du marché, que d’un rendement meilleur de la production. Si le petit et moyen patronat de la culture a su palier par l’association aux mauvais effets de son système de production, il n’en reste pas moins que c’est à son bénéfice seul, et qu’une immense classe de prolétaires campagnards reste dans la misère. Il n’en reste pas moins non plus que, produisant dans le seul but du profit personnel, les propriétaires agricoles se soucient peu des grandes questions intéressant la vie économique du pays. Faisant de la politique dans leur organisation, ils préfèrent obtenir des gouvernements des mesures protectionnistes, — cette prime à la routine et à la paresse — plutôt que d’examiner et résoudre les problèmes du ravitaillement général des populations. Par exemple, les colonies où les pays neufs, considérés comme greniers pour les nations industrielles tendent à s’émanciper de la tutelle industrielle et commerciale des dites nations, et à manufacturer eux-mêmes leurs produits. La répercussion sera l’obligation pour les nations industrielles de retourner au travail agricole, de compter davantage sur leur propre sol. Le régime actuel s’y oppose. Un grand mouvement économique s’opère, tendant à ce que les régions se décentralisent, vivent de leurs propres moyens dans la mesure du possible. Les derniers perfectionnements de la technique agricole, supprimant ou réduisant les désavantages du sol ou du climat, permettant aux régions de se suffire à elles-mêmes dans une large mesure. Beaucoup d’industries vivant sur les produits agricoles industriels auraient intérêt à s’installer, à se lier étroitement, à ne former même qu’une seule exploitation avec la culture.

L’agriculture, en effet, rentre dans le grand courant général de l’évolution économique actuelle. Intimement reliée à l’industrie et aux transports, appelés à se conformer aux nécessités de la consommation et des échanges ; elle ne peut plus rester en dehors presque comme elle le fut trop longtemps de la vie générale. La question agraire n’est plus qu’une fraction de la question sociale, et se résoudra avec elle. Le système de la propriété est depuis longtemps condamné par les esprits clairvoyants. Il ne se justifie plus que par le maintien des privilèges. Il est un obstacle à la justice sociale aussi bien qu’au progrès technique et moral. Il doit disparaître. Le collectivisme ou communisme autoritaire a proposé, la solution de la nationalisation du

sol qui permettrait la culture en grand, avec application du machinisme et de tous les perfectionnements techniques. Mais ce système est jugé. L’expérience bolcheviste l’a condamné. Si le travail fonctionnarisé peut encore plus ou moins mal fonctionner dans la grande industrie, il est absolument inapte à la production dans l’agriculture, où chaque travailleur doit montrer de l’initiative, ou le contrôle des chefs est pratiquement impossible. Après des tentatives de nationalisation du

sol, les bolchevistes ont dû avouer leur défaite, et laisser libre champ à la propriété capitaliste pratiquement supérieure au système de la centralisation, ce qui n’est pas peu dire. Il fallait d’ailleurs une singulière reconnaissance de l’agriculture pour préconiser la production agricole étatiste, alors que les « mammouth farms » des États-Unis et du Canada, immenses domaines, se décentralisent et en viennent à la culture plus intensive, après expérience d’un siècle. Le régime centraliste, déjà néfaste dans l’industrie, serait un complet désastre dans l’agriculture qui a besoin d’une organisation plus souple, laissant davantage de place à l’initiative.

La question agraire a été jusqu’ici un peu négligée par les anarchistes. Il existe néanmoins de bons travaux de Kropotkine. Si l’on tient compte de sa tendance très marquée à l’optimisme, les études qu’il a faites et les conclusions qu’il a fournies peuvent servir de solide base doctrinale à la question agraire envisagée du point de vue anarchiste. Décentralisation, régionalisme, fusion dans le sein de la Commune anarchiste (circonscription territoriale d’une certaine étude), des éléments de la production agricole et industrielle ; mise sur un pied d’égalité au sein de la Commune libre des associations de travailleurs agricoles et industriels, qui peuvent être alternativement l’un ou l’autre (deux ou plusieurs professions étant un bien pour l’individu). Au lieu du travail parcellaire, production assurée par la Commune avec tous les moyens dont elle dispose et toute la main-d’œuvre nécessaire, permettant de faire du travail agricole, débarrassé de ses pénibles conditions, l’occupation la plus agréable et la plus hygiénique et, probablement, la plus recherchée. Ce coup d’œil sur l’avenir n’est qu’une continuation de l’évolution actuelle.

L’agriculture tend à s’intégrer dans la vie générale. Les syndicats et les coopératives agricoles préparent le terrain à l’association libre de demain. Face à ces syndicats d’exploiteurs, des organisations de prolétaires ou de petits propriétaires se formeront, se forment même. Les organismes commerciaux qui régularisent l’échange des produits agricoles : laiteries, fromageries, boulangeries ou meuneries coopératives, etc., indiquent la voie à suivre et à perfectionner. D’autre part, la tendance à monter certaines industries dans les campagnes, la décentralisation provoquée par les applications de l’électricité, par l’usage de l’automobile, etc., tend à redonner aux campagnes une vitalité que le capitalisme leur avait ravie. Voici suffisamment de matériaux pour construire la Commune anarchiste agricole et industrielle à la fois. Les nombreux prolétaires des campagnes, joints aux prolétaires des petits centres ou des villes, de provenance paysanne, sont des éléments suffisants pour ne pas craindre un boycottage de la production agricole par la minorité d’exploiteurs de la campagne. La révolution libertaire n’apparaîtra pas dans les villages sous la forme d’un policier ou d’un réquisiteur, mais sous les apparences de solides compagnons, amies d’outils de travail, de machines, et venant tendre la main aux exploités des champs pour organiser ensemble la société nouvelle. — Georges Bastien.


AGRICOLE (Le travail). L’histoire des travailleurs agricoles est, certes, à travers les âges, la plus doulou-