que le capitalisme puisse percer et s’étendre durant cette longue période de gestation, il lui fallait le concours des éléments laborieux qui étaient emprisonnés dans les corporations, leurs maîtrises et leurs jurandes. Aucun grand mouvement historique ne s’accomplit sans la participation du peuple. Aussi, sous couvert de libéralisme, le capitalisme embryonnaire cherchât-il à capter la confiance et la sympathie du producteur. Après trois siècles de batailles, au cours desquelles les corporations furent dissoutes et reformées à plusieurs reprises, le dernier pilier de la féodalité s’écroula, lorsque la loi du 17 mars 1791 supprima définitivement les corporations.
Le capitalisme était né.
Le producteur était affranchi de la tutelle du seigneur, mais se transformait en salarié et devenait la proie de l’exploiteur. Rien n’était changé dans la forme. La liberté du salarié n’était qu’une illusion, et le capitalisme allait spéculer sur cette illusoire liberté, pour agrandir sa puissance et étendre ses pouvoirs ; détenteur de tous les moyens de production, de tout le capital inerte, il fallait que le capitalisme devînt le maître du travail humain, pour pouvoir exploiter son domaine, et la tâche lui fut relativement facile, puisque le travailleur, dépourvu de toute richesse, ne pouvait et ne peut produire qu’à la condition d’avoir l’autorisation de se servir du champ, de la charrue, de la machine ou de l’outil qui appartient au capitalisme.
De même que le seigneur, exigeait du paysan une redevance, le capitalisme exige une redevance du travailleur. « Les formes ont changé, les relations sont restées les mêmes ». Pour le capitalisme, le travail est une marchandise, tout comme le minerai ou le coton, et il l’achète selon ses besoins. Le travailleur n’a pas à pénétrer dans ses intentions, il n’a pas à chercher qu’elle sera la destination de sa production ; il vend son travail pour une somme qu’on prétend librement acceptée de part et d’autre, et le capitalisme réalise sur ce travail, le bénéfice qui lui convient. C’est sur cette formule arbitraire de liberté que s’est échafaudé le capitalisme. Ce régime odieux est arrivé à faire admettre par les populations ouvrières cette invraisemblance que l’ouvrier était libre alors qu’en réalité, il est esclave et obligé d’accepter, s’il ne veut pas crever de faim, les conditions que veulent et peuvent lui imposer ses exploiteurs.
Le capitalisme, aidé dans son évolution par l’application des nouvelles méthodes de production devait acquérir, en un laps de temps extrêmement court, une puissance colossale ; l’emploi de la machine à vapeur, la captation des forces naturelles, la vulgarisation du téléphone et du télégraphe dans le commerce, de l’énergie dans l’industrie, ajoutèrent une force inouïe à son développement. Petit à petit, il se trouva à la base de tous les grands organismes ; aujourd’hui, en se servant d’hommes de paille qu’il place et déplace, selon ses intérêts, à la tête des gouvernements, il dirige les parties essentielles du système social. Il contrôle tous les rouages de la société, et par l’association de la finance et de l’industrie, forme les cadres d’une franc-maçonnerie dont les grands capitalistes sont les martres absolus.
Mais toute médaille a son envers et tout ce qui a commencé a une fin. Le capitalisme renferme en lui le mal qui le tuera. Si, à ses origines, il eut besoin des sympathies du producteur, ce dernier ne tarda pas à s’apercevoir que ses destinées et ses intérêts étaient diamétralement opposés à celles de ses maîtres. Considéré comme une marchandise, le travailleur, à mesure que sa conscience s’éclairait, devenait de plus en plus exigeant, et par les lois de l’offre et de la demande, réclamait chaque jour un nouvel avantage à son exploi-
Or, le capitalisme qui est arrivé aujourd’hui à son apogée, évolue dans un cercle vicieux, duquel il ne peut plus sortir. Pour assurer sa vie et ne pas s’écrouler sous le poids de la misère humaine, il est obligé de fournir du travail à celui qui en réclame, et n’a que cela pour subsister. D’autre part, il ne peut fournir ce travail que s’il est assuré que la production soit écoulée. Si l’accumulation est profitable au capitalisme lorsqu’il entend imposer un prix et retire alors ses produits du marché, elle lui est néfaste si elle est rendue obligatoire par le manque d’acheteurs. Il faut invariablement, méthodiquement, mathématiquement, que le capitalisme écoule ses produits ou qu’il périsse. Il est donc contraint de s’étendre toujours et sans s’arrêter. Une halte et il est perdu. Il lui faut trouver des débouchés et comme il ne peut les trouver dans l’intérieur d’un pays, il est obligé de les chercher dans d’autres contrées. De là le capitalisme national et le jeu de la concurrence qui entravent l’unification du capitalisme international, et amène la formation des cartels, des trusts qui se combattent, dans l’espoir de rester seuls maîtres du marché. C’est de cette division que se meurt le capitalisme. Il ne retrouve, provisoirement, ― heureusement ― son unité et sa force que lorsqu’il est en lutte avec son adversaire le plus redouté et le plus dangereux : le travail.
Les conflits internationaux, les guerres coloniales n’ont pas d’autres origines que la nécessité, pour le capitalisme, de trouver l’écoulement de ses produits. Lorsque la diplomatie est inapte à régler un différend où sont en jeu les intérêts commerciaux ou industriels d’un capitalisme national, celui-ci a, alors, recours à la force brutale, à la violence, à la guerre.
Certains politiques, prétendent que la guerre est voulue par le capitalisme pour détruire une certaine partie de la main-d’œuvre, lorsque celle-ci devient trop encombrante. Le raisonnement est simpliste. C’est ce que l’on pourrait qualifier de philosophie pour classe pauvre. Si le capitalisme n’a pas intérêt à la surpopulation, il souffre cependant nationalement de la dépopulation, et, si la marchandise humaine n’apparaît que sur une faible échelle dans son budget, il faut cependant que la disponibilité du capital travail soit assez élevée pour atteindre les prix les plus bas possibles.
En réalité, la guerre fait partie du régime ; elle est un des membres dont le capitalisme est le corps, mais c’est un membre malade dont les capitalistes voudraient bien faire l’ablation. La guerre, elle est dû justement au développement intensif du commerce, de l’industrie, et plus particulièrement de l’industrie métallurgique, du pétrole et du caoutchouc qui a divisé le capitalisme en trois castes concurrentes à la tête desquelles se trouvent les grands potentats de la finance. Si quelques individualités assez aveugles puisent dans la guerre une source de profits, le capitalisme, en tant qu’ordre économique ne peut qu’y perdre, car elle ébranle les bases sur lesquelles est échafaudé le régime ; elle est inévitable pourtant et constitue avec la Révolution, les deux événements historiques qui détruiront cet ordre économique.
Le capitalisme disparaîtra donc. En égard des connaissances humaines, le développement intellectuel des travailleurs se poursuit méthodiquement, et la classe ouvrière cherche, par son action, à arracher au