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le billet de cent francs n’en vaut plus que de dix, mais qu’il sera remboursable en or ? Par ce procédé, dépouillera-t-on les petits des neuf dixièmes de leur avoir ? Etablira-t-on une nouvelle monnaie or, au risque de paralyser complètement le commerce et l’industrie ? Continuera-t-on, au contraire, la politique d’inflation, afin de ruiner totalement la petite épargne ? Peu nous importe. Entre ces procédés, également mauvais, nous ne voulons pas choisir : tous tentent à replâtrer un système périmé.

L’annulation des dettes, de toutes les dettes, le retour à une politique de sagesse et d’économie, la collaboration fraternelle des peuples pour l’œuvre de reconstruction des ruines, sont les seuls moyens propres à mettre un terme définitif à l’effroyable crise économique qui ravage le monde. Mais de cette solution, indiquée par le bon sens, égoïstes et aveugles, défenseurs maladroits des privilèges et des richesses mal acquis, les gouvernements ne veulent point entendre parler.

À première vue, il semble que la situation n’est pas aussi tragique que nous l’indiquons et que de pareils faits se sont reproduits sans inconvénients graves au cours de l’histoire. Cela n’est vrai qu’en apparence. La faillite de la banque de France sous Louis XV, la machine à fabriquer les assignats sous la Révolution française, les faillites des banques nationales de divers États d’Europe et d’Amérique ne dépassaient guère le cadre national et, l’auraient-elles dépassé, elles n’atteignaient jamais qu’un ou deux pays et ne troublaient jamais beaucoup la situation de I’ensemble. De plus, en ces temps lointains, les rapports internationaux étaient encore presque nuls. À cette époque, en l’absence de monnaie stable pour déterminer la valeur, on pouvait avantageusement utiliser le troc et cela se pratiquait d’ailleurs couramment, dans le commerce avec les Indes, l’Afrique et l’Amérique. Dans ces conditions, les fluctuations constantes du papier monnaie n’avaient aucune répercussion grave. En 1926, il n’en est plus de même. D’abord parce que la crise financière est générale, ensuite parce que la facilité des transports, la rapidité des relations, le développement prodigieux de la science, de l’industrie, du commerce ont créé des rapports et des besoins que nous sommes forcés de satisfaire. L’Europe, de nos jours, forme un ensemble plus compact et plus facilement pénétrable que la France de Napoléon ou une province sous Louis XIV. De là, la différence fondamentale entre la situation d’alors et celle d’aujourd’hui.

Au surplus, il faut ajouter que, vainqueurs ou vaincus de la grande guerre, tous ont également souffert de leur incommensurable folie ; c’est ainsi que les pays riches sont précisément ceux où le prolétariat est le plus misérable, parce que machines et usines s’arrêtent pour la raison bien simple que les actionnaires des grandes usines et des grandes industries préfèrent faire fabriquer dans les pays à change bas. Quant aux pays à monnaie dépréciée, ils sont littéralement mis au pillage par ces mêmes capitalistes qui rendent ainsi la vie impossible à ceux qui doivent y travailler et y vivre.

Ainsi le mal pénètre partout, il atteint tous les pays, mais nulle part cependant il ne frappe les privilégiés de la fortune : défiant le destin, ceux-ci peuvent toujours se mettre à l’abri du malheur. Partout, ces privilégiés s’opposent aux accords généreux, aux solutions intelligentes qui mettraient fin à une si lamentable situation. Comme les poux sont faits pour vivre dans la saleté, ils sont faits pour vivre des profits que leur rapportent l’exploitation et le gaspillage des deniers publics. Et, en dehors de la Révolution sociale, rien, absolument rien, ne peut nous débarrasser de ces para-

sites dangereux qui empoisonnent l’air que nous respirons. — S. Férandel.


CHANSON. La chanson est une forme assez aimée des poètes. Elle est aussi une forme assez connue de la poésie pour que ne lui soit point contestée la place qu’elle mérite dans la littérature universelle des peuples.

La Chanson est populaire partout. Il n’est point de pays où elle soit ignorée. On pourrait même dire qu’elle est pour certains peuples l’unique littérature.

Les ignorants, les illettrés de partout — même s’ils ne savent chanter — aiment la Chanson.

Il est probable que la Chanson a devancé, dans certains pays, la littérature nationale. Mais on peut dire également qu’elle figure honorablement parmi, les chefs-d’œuvre de la littérature de divers pays et particulièrement de la France.

N’est-il pas, en effet, de nos chansons françaises qui sont de parfaits petits poèmes par leur forme même, par leur expression heureuse, permettant de les interpréter sans musique bien qu’ils soient destinés à être mis en musique et à être chantés ? Évidemment, la Chanson réclame l’union intime de la musique, même si le rythme des vers semble pouvoir s’en passer. Une musique et une poésie bien adaptées l’une à l’autre se donnent mutuellement une valeur qui sont le charme même de la chanson.

Mais si, dans une œuvre littéraire, il y a, en plus de la perfection de la forme, le sujet qu’exprime cette œuvre, dans le petit poème qu’est la chanson n’est-ce pas le sentiment joliment exprimé qui en fait la valeur ?

Or, la Chanson est belle et riche quand elle sait exprimer l’état d’une civilisation ; quand elle évoque des événements ou des faits d’une époque ou d’une nation, d’une personnalité pu d’une région ; quand elle dépeint un état d’âme ; quand elle contribue à perpétuer les fastes historiques d’un règne, d’un peuple, d’une nation ou qu’elle les critique.

Et n’est-ce pas là, justement, l’origine de la Chanson ? Elle a devancé l’Histoire et suppléé la Presse.

La Chanson est une forme d’art qui, mieux que la peinture et la sculpture, nous donne la plus réelle image du passé tant on la sent intimement mêlée à la vie de ce qu’elle raconte ou rappelle, critique ou glorifie !

C’est la chanson, dans sa naïveté, qui nous a conservé fraîche et vraie l’image des mœurs d’autrefois et nous a tracé, en traits rudes ou fins, des caractères qui révèlent une époque et marquent les évolutions d’une race.

Dans nos vieilles chansons de France, pieuses ou gaillardes, c’est bien le visage du passé, c’est bien l’âme du peuple aux siècles antérieurs à celui que nous vivons qui se présentent à notre esprit et réveillent les souvenirs que nous pouvons avoir des lectures et des études où nous avons eu l’illusion de revivre le passé. La chanson souvent nous désillusionne de l’histoire en nous montrant, sous des traits plus caractéristiques, certains événements et certains personnages. La chanson française, pour peu qu’on se plaise à l’étudier, nous montre bien la pensée populaire de la France. Elle nous la fait revivre à chaque époque de notre histoire, tantôt inquiète et fanatisée, tantôt sceptique et spirituellement moqueuse, enfin, tour à tour primesautière et profonde, mélancolique et passionnée et, au seuil de la grande époque révolutionnaire, passant soudain d’une chanson grivoise pleine d’insouciance à la menace des chants précurseurs du bouleversement de 1789.

La chanson populaire est celle qui reflète le mieux — même si elle s’éloigne des règles de la littérature proprement dite — par ses fréquentes évocations des