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les plus nombreux, des engins les plus terribles, des moyens de transport les plus expéditifs, des munitions les plus abondantes ; or, sur le champ de bataille de la concurrence, les munitions, les moyens de transport, les engins destructeurs et les bataillons, c’est l’agglomération ouvrière, c’est la condensation industrielle et commerciale, c’est enfin la concentration des capitaux de toutes natures.

« Et, maintenant, est-il besoin de se demander quels seront fatalement les vaincus de cette lutte à outrance ». (Sébastien Faure, La Douleur Universelle, page 178.)

Certains esprits naïfs s’imaginent, malgré tout, que la concurrence pourrait être une source de profits et d’avantages pour le consommateur si des mesures étaient prises pour éviter la spéculation et soutenir le commerçant « honnête ». On a préconisé l’intervention de l’État, l’imposition de certains prix pour des matières de première nécessité, etc. Toutes les tentatives ont échoué lors de leur application et il n’y a pas lieu de s’en étonner. L’erreur consiste à vouloir considérer la concurrence comme une cause, alors qu’elle n’est qu’un effet.

Quant au commerçant « honnête », si, toutefois, nous voulons accepter cet euphémisme, nous allons étudier sur le vif quelle peut être son influence, en signalant un fait caractéristique qui s’est produit en Angleterre ― mais qui aurait tout aussi bien pu se produire ailleurs ― vers la fin de 1918.

Le gouvernement anglais avait fait une commande de plusieurs centaines de milliers de mètres de toile, à divers tisseurs de la Grande-Bretagne. L’ordre avait été passé, mais le travail n’avait pas été commencé lorsque la guerre prit fin. Cette toile, destinée à l’aviation de guerre, devenait inutilisable pour le gouvernement, et ce dernier demanda aux tisseurs de bien vouloir annuler la commande ; les tisseurs refusèrent, déclarant que l’ordre avait été régulièrement passé et accepté et qu’en conséquence, il serait exécuté. En passant, quoique ce soit hors de la question, soulignons le patriotisme de ces gros industriels.

Le travail fut donc exécuté et, quelques mois plus tard, les tisseurs proposèrent au gouvernement de lui vendre, avant sa livraison, la toile qu’ils venaient de fabriquer, au huitième de sa valeur. C’était une opération fructueuse de racheter un franc ce que l’on venait de vendre huit, alors que les marchandises n’étaient même pas sorties des magasins. Le gouvernement refusa et les toiles furent livrées.

Un an environ s’écoula, et, un matin, la presse annonça à ses lecteurs qu’un richissime Anglais, récemment débarqué d’Amérique, venait d’acheter comptant, au gouvernement, près d’un million de mètres de toile provenant des stocks de guerre, et que cette toile allait être offerte au public à moitié prix de sa valeur marchande.

Cette toile, qui souleva de l’autre côté de la Manche, un flot d’indignation lorsqu’on apprit sa provenance et le marché odieux qui avait été précédemment proposé au gouvernement par les fabricants, ne fut jamais mise en vente aux conditions indiquées ci-dessus. Elle fut vendue au prix du cours et en voici les raisons :

Tous les tisseurs anglais s’associèrent contre la « brebis galeuse » qui voulait ignorer les lois de la solidarité commerciale, et la menacèrent, « dussent-ils perdre tous les bénéfices réalisés durant la guerre, et qui s’élevaient à plusieurs centaines de milliers de livres », de jeter sur le marché de la toile de qualité supérieure et à un prix plus avantageux, toile qui aurait été vendue à perte par les fabricants, mais qui aurait empêché l’écoulement de celle fournie par

le gouvernement. Et devant cette menace que les gros industriels britanniques n’auraient certainement pas hésité à mettre à exécution, le commerçant « honnête » se courba pour ne pas être écrasé. Tels sont les effets de la concurrence. Et aucune force politique ne peut empêcher ces faits de se produire. La concurrence est une force économique et c’est sur le terrain économique qu’il faut la combattre.

Nous avons dit, en traitant du « capital » que l’unité du capitalisme n’était qu’apparente (Voir Capitalisme), et que la division régnait au sein de cette classe. En effet, lorsque tous les terrains nationaux ont été explorés par les capitalistes, ceux-ci vont chercher à l’étranger d’autres filons à exploiter. Il se crée alors de nouvelles compétitions et de nouvelles concurrences.

Nous savons que pour se garantir de la concurrence étrangère, le capitalisme national exige des gouvernants qui ne sont au pouvoir que pour défendre ses intérêts, l’imposition de droits de douane sur les marchandises ou objets manufacturés qu’ils ne peuvent pas fournir à prix égal ou inférieur. D’autre part, il est indispensable à certaines nations d’exporter leurs produits en surabondance, si elles ne veulent pas être acculées à la misère et à la faillite. Or, les deux actions ne s’accordent pas et lorsque des droits de douane prohibitifs viennent protéger des marchandises de source nationale, ces marchandises ne peuvent pas être concurrencées par les produits de provenance étrangère et l’on peut dire que le marché national est fermé aux articles frappés par la douane.

Exemple ; Supposons que la fabrication d’une paire de chaussures revienne, en France, à 50 francs ; et que l’Angleterre, en raison de divers facteurs, puisse fabriquer ces chaussures pour 30 francs. Immédiatement, elle inonde le marché et l’industrie française de la chaussure n’arrive plus à écouler ses produits. Pour empêcher ce fait de se produire et assurer au capitalisme national les bénéfices qu’il réclame, les chaussures de provenance anglaise seront donc imposées d’un droit de douane d’au moins 20 francs, et si le capitalisme est satisfait de cette mesure, le plus clair de l’histoire c’est que les chaussures seront vendues au moins 20 francs de plus qu’elles devraient l’être en réalité.

Cela ne se passe pas cependant aussi simplement qu’on pourrait le croire, et il est des pays pour qui l’exportation est l’unique source de vie et qui n’accepte pas de se courber devant les exigences d’un capitalisme national. Chaque fraction du capitalisme en lutte, se défend par l’intermédiaire de son gouvernement et la concurrence de nation à nation est l’unique cause des négociations interminables qui se poursuivent depuis des années et des années. Le Capitalisme international cherche un terrain d’entente, et lorsque les intérêts particuliers n’ont pu se concilier autour du tapis vert de la diplomatie, alors on donne la parole au canon et c’est la guerre fratricide, criminelle, monstrueuse qui est chargé de régler le différend.

Voilà à quoi aboutit la concurrence. Les guerres coloniales n’ont également pas d’autres origines, et de l’étude de la Société capitaliste nous avons la ferme conviction qu’il ne peut en être autrement, tant que tous les rouages n’en auront pas été détruits et que les richesses sociales resteront détenues par une poignée de privilégiés.

Qui donc, aujourd’hui, en dehors de celui qui en profite, est assez fou pour trouver dans la concurrence, un phénomène utile à l’intérêt, au bien-être collectif ? Personne. Le commerce, la concurrence, le mili-