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Donc lorsqu’ils acceptaient le projet de Le Chatelier qui disait dans un des considérants de son rapport introductif ;

« C’est aux conventions libres d’individu à individu à fixer la journée pour chaque ouvrier ; c’est ensuite à l’ouvrier à maintenir la convention qu’il a faite avec celui qui l’a occupé ». Le Chatelier exprimait une pensée concrète, claire pour tout le monde, a fortiori pour des représentants du Peuple.

Et lorsqu’il ajoutait « C’est à la Nation de subvenir aux besoins des individus et de leur assurer du travail » cela voulait dire, que grâce à la loi nouvelle, ainsi motivée, le seul organe nécessaire à la satisfaction des travailleurs c’était l’État.

Là encore, impossible de se tromper et ceux qui votèrent la loi Le Chatelier savaient parfaitement qu’ils mettaient ainsi hors la loi l’organisation spécifique des travailleurs livrés sans défense à l’exploitation du patronat et à la domination de l’État.

N’est-il pas suffisamment significatif cet article de la loi Le Chatelier qui énonçait :

« L’anéantissement de toutes espèces de corporations de citoyens d’un même État étant une des bases fondamentales de la constitution française… l’association ouvrière, sous quelque forme et sous quelque prétexte que ce soit, est prohibée ».

Et un, peu plus loin : « Toutes les conventions tendant à réformer de concert ou à n’accorder qu’à prix déterminé le secours de leur industrie ou de leurs travaux, tous règlements ou accords ainsi fixés sont déclarés inconstitutionnels, attentatoires à la liberté ou à la déclaration des Droits de l’Homme et de nul effet ».

On avouera qu’il était difficile d’être plus cynique ou de se montrer plus réactionnaire.

Et, bien entendu, les délits étaient durement punis : amendes de 500 francs, privation de droits civiques, etc…

Enfin pour bien démontrer que ce texte avait un véritable caractère de classe, la loi accordait aux employeurs un scandaleux privilège. Le Chatelier disait « qu’il n’entendait pas empêcher les commerçants de causer ensemble de leurs affaires ». On sait ce que cela veut dire.

La loi consulaire de l’an XI (1803) instituait enfin le « livret ouvrier » qui n’était autre chose que la « mise en carte » des travailleurs.

À part la création des juridictions prud’homales, le régime impérial ne fit que systématiser la sujétion des ouvriers.

Les articles 414 et 416 du nouveau Code pénal, si durs pour les ouvriers, si indulgents pour les patrons, l’article 1781 du Code civil qui disait : Le maître est cru sur parole pour la quotité des gages, pour le paiement des salaires de l’année échue et pour les acomptes donnés pour l’année courante, complétaient cette domestication de la classe ouvrière, sans que la moindre législation lui permît de se défendre contre l’adversaire.

On comprend dès lors, les difficultés que devait rencontrer le prolétariat pour son organisation.

Quelles qu’elles aient été, la classe ouvrière sut cependant les vaincre dans une assez large mesure et, souvent, elle se dressa contre le pouvoir de l’État.

La période de 1848 à 1871, assez mal connue, a vu des révoltes terribles où le prolétariat a pu se croire enfin maître de ses destinées. C’est alors que naquit la Première Internationale et que vit le jour le socialisme utopique ou romantique.

Cette époque marque la fin de la bourgeoisie terrienne et l’avènement de la bourgeoisie industrielle et bancaire. L’introduction du machinisme créa de nouvelles conditions de vie sociale. En même temps qu’il resserait les

liens entre les ouvriers, il entraîna une technique nouvelle d’où découlèrent : le chômage et l’avilissement des salaires.

La misère atteignit des proportions effroyables. Il y avait une désaxation totale de l’activité et le capitalisme manifestait son impuissance à modifier les conditions de vie, à suivre le rythme nouveau imposé par le machinisme.

Les grands mouvements de 1831 à Lyon, dont les salaires furent réduits de 4 francs à 18 sous par jour marquent le point culminant de cette crise. C’est pendant les grèves sanglantes de cette époque que les Canuts de la Croix Rousse inscrivirent sur leur drapeaux cette devise restée de plus en plus d’actualité : Vivre en travaillant où mourir en combattant. Il en fut de même à Paris et en province. De nombreuses sociétés de résistance, auxquelles participèrent des chefs d’ateliers, se constituèrent un peu partout. Ce mouvement prit une « telle ampleur qu’il apeura le gouvernement qui, par la loi du 25 mars 1834, prit de sévères mesures contre les « Sociétés de résistance. ». (Syndicats de l’époque).

Ce vote alla à l’encontre du but poursuivi. Deux nouvelles insurrections éclatèrent presque aussitôt : l’une à Lyon, à la suite de poursuites pour faits de grèves, écrasée dans le sang, après 5 jours de lutte héroïque, et l’autre à Paris qui aboutit à un effroyable massacre.

Thiers, l’assassin des Communards fit peser sur la classe ouvrière un régime de terreur écrasant.

Rien n’arrêta pourtant l’élan du prolétariat et les journées de juillet verront le prolétariat se dresser contre l’État, serviteur de la bourgeoisie et massacreur des travailleurs.

C’est à ce moment que s’éveille la conscience du prolétariat. Il comprend qu’il n’arrivera à rien tant qu’il n’aura pas démoli le pouvoir de l’État et détruit l’exploitation nationale pour transformer la société.

Sous l’influence de Buonarotti survivant de la conspiration des Égaux, le socialisme gagne les classes ouvrières, encore qu’elles ne se reconnaissent guère dans le patois des doctrines Saint-Simoniennes, phalanstériennes et étatiques de Louis Blanc.

C’est alors que se produisit dans ce bouillonnement d’idées la Révolution de 1848 qui fut un triomphe passager du Peuple et porta au Pouvoir en la personne de Louis Blanc et d’Albert, le socialisme d’État.

Celui-ci ne tarda pas à marquer son impuissance. Une fois de plus les travailleurs furent trompés et déçus. Le salariat ne fut pas supprimé, comme ils l’espéraient dans leur naïveté. Les journées de février 1848 furent suivies d’une crise de chômage effroyable. Les revendications ouvrières en vinrent en fin de compte, à s’exprimer ainsi : « Le droit au travail ». Quelle aubaine pour le patronat !

Quelques mesures inopérantes, les unes platoniques, les autres vaines du gouvernement provisoire : la suppression du tâcheronat, la réduction de la journée de travail à dix heures à Paris et onze heures en province, n’étaient pas de nature à donner satisfaction aux réclamations des travailleurs et, moins encore, à solutionner les problèmes de l’heure.

C’est à ce moment, le 28 février 1848 que le gouvernement provisoire décida de créer les Ateliers Nationaux, pour parer au chômage grandissant.

Entreprise vouée à l’échec, voulue, d’ailleurs, tentée en pleine crise économique et sociale, les Ateliers Nationaux aboutirent à un lamentable fiasco qui prit fin le 19 juin 1848 par le vote de la loi Falloux qui ordonnait la dissolution des Ateliers.

Cette dissolution qui ne laissait aux ouvriers d’autres alternatives qu’un chômage aggravé ou l’enrôlement dans l’armée, aboutit à l’insurrection du 23 juin