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des Bourses du Travail, fait capital de cette époque du mouvement syndical.

On a trouvé dans l’étude consacrée à la Bourse du Travail toute l’histoire de celle-ci et son origine. Nous n’y reviendrons donc pas ici. Nous nous bornerons à constater que la première Bourse fut créée à Paris en 1886, après l’adoption du projet Mesureur.

Les Bourses se multiplièrent rapidement. Il y en avait 14 en 1892. Elles eurent tout naturellement l’idée de se fédérer entre elles et mirent leur projet à exécution à Saint-Étienne, le 7 février 1892.

Leur but, leur constitution furent définis à ce Congrès. De cette époque date la deuxième phase évolutive du syndicalisme qui va sans tarder affirmer son caractère de mouvement spécifique de classe.

Le Syndicat socialiste sentant le danger que représentait pour eux la jeune Fédération des Bourses, repoussa la proposition d’un Congrès commun à la réunion des Syndicats de la Fédération des Syndicats à Marseille en 1892.

Ce Congrès de Marseille de la Fédération des Syndicats eut à se prononcer sur la résolution votée à la Conférence régionale de Tours qui s’était tenue quelques jours auparavant et avait adopté la grève générale comme seul moyen révolutionnaire. Malgré tout le talent de M. Aristide Briand — qui depuis… — le Congrès de Marseille marqua sa rupture avec les Syndicats en repoussant leur suggestion.

C’est alors que se tint à Paris, en 1893, un autre Congrès des Bourses qui fut retardé en raison de la fermeture de la Bourse du Travail de Paris par Charles Dupuy, président du Conseil, à qui l’activité des Bourses portait ombrage.

Ce Congrès se tint le 12 juillet 1893. Il eut tout de suite le caractère d’une protestation véhémente contre le coup de force gouvernemental. Un grand nombre de délégués, y compris ceux représentant les Centres inféodés au Parti, y assistaient.

La discussion sur la question d’union des forces ouvrières se termina par le vote de la résolution ci-dessous :

« Tous les Syndicats ouvriers existants devront, dans le plus bref délai, adhérer à leur Fédération de métier ou en créer, s’il n’en existe pas ; se former en Fédérations locales ou Bourses du Travail, puis ces Fédérations et ces Bourses du Travail devront se constituer en Fédérations nationales.

« À cet effet, le Congrès émet le vœu que la Fédération des Bourses du Travail de France et la Fédération nationale des Chambres Syndicales se fondent en une seule et même organisation.

« Il sera fondé un Comité Central composé de deux délégués par Fédération de métier et quatre pour la Fédération nationale des Bourses du Travail et les Chambres Syndicales. »

Ce ne fut, hélas !, qu’un vœu. L’organisation unique ne devait surgir que deux ans plus tard, en 1895, après la disparition effective de la Fédération des Syndicats en 1894, après le Congrès de Nantes.

L’idée concrète de l’Unité au mouvement syndical n’en date pas moins de ce Congrès. Elle devait trouver sa matérialisation assez rapidement. Elle se fera pressante jusqu’au point d’apparaître comme la préoccupation dominante de la classe ouvrière.

Un recul suivit pourtant cette décision du Congrès de 1893.

Le Congrès avait bien nommé une Commission de neuf membres dite « d’organisation de la grève générale », mais elle fit aucun travail vraiment positif. Il convient d’ailleurs d’ajouter que le Parti ouvrier français ne lui ménagea pas les ennuis et il fit si bien qu’au Congrès de Nantes, en 1894, les deux Fédérations

(Bourses et Syndicats), organisèrent deux Congrès séparés.

La Bourse du Travail, sollicitée par les deux groupements, leur déclara qu’il ne lui semblait pas nécessaire d’organiser ces deux Congrès et leur proposa de fusionner. Tandis que la Fédération des Bourses acceptait aussitôt, celle des Syndicats donna son adhésion d’assez mauvaise grâce, après avoir tenté de tenir son Congrès à Saint-Nazaire.

C’était, pour le Parti ouvrier français un échec incontestable. Aussi, décida-t-il, pour la première fois, que le Congrès politique précéderait celui des Syndicats.

Il espérait qu’en se prononçant contre la grève générale, il influencerait le Congrès des Syndicats. Il n’en fut rien.

Les éléments des Syndicats du Parti furent complètement défaits et c’est par 67 voix contre 37 que le Congrès se prononça contre la thèse du Parti ouvrier français.

La cassure était consommée et l’Unité, un moment entrevu semblait s’éloigner à nouveau.

Ces perspectives alarmantes disparurent assez vite en raison du rôle réduit que joua désormais la Fédération des Syndicats.

Ombre d’elle-même, elle tint un Congrès à Troyes en 1895. Elle anathématisa contre la grève générale et repoussa l’idée de la grève générale, mais elle ne put empêcher que la Confédération Générale du Travail naisse à Limoges en cette même année 1895.

D’autres faits allaient concourir à soustraire le mouvement syndical à l’influence des partis politiques.

Guesde, en effet, réagit vigoureusement contre cette séparation du syndicalisme et du socialisme parlementaire, et le Congrès international socialiste de Londres (1895) eut à examiner longuement cette question.

Déjà, il avait pris la précaution, dans un précédent Congrès international tenu à Zurich, de faire voter avec ses amis de l’Internationale, une résolution qui excluait tous les adversaires de l’action parlementaire

Cette résolution disait : « Toutes les Chambres Syndicales seront admises au Congrès, et aussi les Partis et les organisations socialistes qui reconnaissent la nécessité de l’organisation des travailleurs et de l’action politique.

« Par l’action politique on entend que les organisations des Travailleurs cherchent autant que possible à employer ou à conquérir les droits politiques et le mécanisme de la législation, pour amener ainsi le triomphe des intérêts du prolétariat par la conquête du pouvoir politique. »

On comprend aisément qu’ainsi préparé, le Congrès de Londres ne fut qu’une violente réaction des politiciens contre le syndicalisme affirmant sa maturité.

La bataille commence par la discussion sur la validation des mandats. Les politiques contestèrent ceux des délégués ouvriers en rappelant la décision de Zurich. Les deux thèses s’affrontèrent avec force. Ce fut Guesde qui engagea la bataille.

Tranchant comme à son habitude, il déclara :

L’action corporative est une simple interprétation de l’ordre capitaliste. La classe ouvrière ne peut se désintéresser du gouvernement. C’est au gouvernement, c’est au cœur qu’il faut frapper. Dans ce Congrès, il n’y a pas de place pour les ennemis de l’action politique. Ce n’est pas de l’action corporative qu’il faut attendri la prise de possession des grands moyens de production. Il faut d’abord prendre le gouvernement qui monte la garde autour du capitalisme. Ailleurs, il n’y a que mystification, il y a plus, il y a trahison... Ceux qui rêvent une autre action n’ont qu’à tenir un autre Congrès.