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AME
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Pouvoir ; puisque, le mécanisme autoritaire ayant été définitivement brisé, nul ne sera tenu d’obéir.

C’est ainsi et seulement ainsi que, faute d’aliment, l’ambition, c’est-à-dire la soif immodérée de la gloire, de la fortune, des honneurs, de la puissance, disparaîtra pour faire place à l’ambition respectable et salutaire : celle qui porte l’homme à devenir toujours plus fort, plus éclairé, plus juste, plus fraternel, en un mot meilleur.

Sébastien Faure.


AME n. f. (du lat. anima, souffle, vie). C’est un terme vague, imprécis, indéterminé dont la définition varie selon les doctrines philosophiques qui, toutes, s’y sont plus ou moins intéressées. Le mot Âme exprime le principe inconnu auquel on attribue les effets connus et observés que nous sentons en nous. Dans le sens propre et littéral de la langue latine et de celles qui en sont dérivées, l’âme signifie ce qui anime. C’est pourquoi l’on dit « l’âme des hommes, des animaux, quelquefois des plantes » pour signifier leur principe de vie, de végétation, de développement. L’âme est, alors, prise en général pour l’origine et la cause de la vie, pour la vie elle-même.

Dans un sens plus restreint on dit que l’âme est l’ensemble des facultés qui représentent la vie intellectuelle et morale, et le siège, le foyer et la source de la sensibilité, de l’intelligence et de la volonté. Cette définition admise, il s’agit de préciser la nature, la substance de l’âme. Est-elle inhérente au corps et inséparable de ce dernier ? Naît-elle, se développe-t-elle, meurt-elle avec le corps ? Ou bien possède-t-elle une existence propre, autonome, indépendante du corps qui, dans ce cas, ne serait que son enveloppe mortelle ? Si l’on suppose que l’âme vit avant le corps dans lequel elle se loge et survît à ce corps, on se demande où elle se trouvait avant, où elle se trouvera après ; de quelle façon, à quel moment et dans quelles conditions elle pénètre dans le corps et, enfin, de quelle façon, à quel moment et dans quelles conditions elle en sort. On se demande encore si l’âme possède une existence limitée ou sans limites ; si elle commence : où, quand, comment et, si elle prend fin : où, quand, comment ?

De plus, si elle ne se confond pas avec la matière qui compose le corps vivant, il y a lieu d’étudier les rapports de toute nature qui existent entre le corps et l’âme, de mesurer l’influence que l’un exerce sur l’autre et inversement ; s’il y a entente étroite et constante entre eux ou, au contraire, conflit incessant, il convient de préciser les conditions de cette association ou de ce dualisme et d’en spécifier les origines et les conséquences.

Ce mot « Âme » et la signification qu’on lui donne ont provoqué — il est aisé de le concevoir et le contraire serait surprenant — les controverses les plus ardentes, les polémiques les plus âpres, les discussions les plus passionnées. Ces discussions ont donné lieu à des systèmes philosophiques variés et contradictoires d’où sont sorties, abstraction faite de certaines écoles dont l’enseignement reste imprécis, deux grandes écoles : l’École Spiritualiste et l’École Matérialiste.

Aux mots : Matérialisme et Spiritualisme, nous nous réservons d’approfondir, autant que faire se peut, dans l’état actuel des connaissances humaines, la doctrine générale de ces deux écoles philosophiques qui se flattent d’interpréter et d’expliquer pour ainsi dire scientifiquement les origines et les manifestations de l’Univers et de toutes les parties qui le composent, l’homme compris.

Dans ces lignes consacrées au mot Âme, nous nous bornerons à citer un passage intéressant du Dictionnaire Encyclopédique de Voltaire, et un extrait du Dictionnaire La Châtre.

Voici le passage du dictionnaire philosophique de Voltaire : « Nous devons mettre en question si l’âme intelligente est esprit ou matière ; si elle est créée avant nous ; si elle sort du néant dans notre naissance ; si, après nous avoir animés un jour sur la terre, elle vit après nous dans l’éternité. Ces questions paraissent sublimes. Que sont-elles ? Des questions d’aveugles qui disent à d’autres aveugles : « Qu’est-ce que la lumière ? »

« Quand nous voulons connaître grossièrement un morceau de métal, nous le mettons au feu dans un creuset. Mais avons-nous un creuset pour y mettre l’âme ? Elle est esprit, dit l’un. Mais qu’est-ce qu’Esprit ? Personne assurément n’en sait rien. C’est un mot si vide de sens, qu’on est obligé de dire ce que l’esprit n’est pas, ne pouvant dire ce qu’il est. L’âme est matière, dit l’autre. Mais, qu’est-ce que matière ? Nous n’en connaissons que quelques apparences et quelques propriétés ; et nulle de ces propriétés, nulle de ces apparences ne paraît avoir le moindre rapport avec la pensée.

« C’est quelque chose de distinct de la matière, dites-vous ? Mais quelle preuve en avez-vous ? Est-ce parce que la matière est divisible et figurable et que la pensée ne l’est pas ? Mais qui vous dit que les premiers principes de la matière sont divisibles et figurables ? Il est très vraisemblable qu’ils ne le sont point ; des sectes entières de philosophes prétendent que les éléments de la matière n’ont ni figure ni étendue. Vous criez d’un air triomphant : « la pensée n’est ni du bois, ni de la pierre, ni du sable, ni du métal ; donc, la pensée n’appartient pas à la matière. » Faibles et hardis raisonneurs ! La gravitation n’est ni bois, ni sable, ni métal, ni pierre ; le mouvement, la végétation, la vie ne sont rien, non plus, de tout cela ; et cependant la vie, la végétation, le mouvement, la gravitation sont données à la matière. Qu’importe tout ce qu’on a dit et tout ce qu’on dira sur l’Âme ; qu’importe qu’on l’ait appelée entéléchie, quintessence, flamme, éther ; qu’on l’ait crue universelle, incréée, transmigrante ?… Comment donc sommes-nous assez hardis pour affirmer ce que c’est que l’âme. Nous savons certainement que nous existons, que nous pensons. Voulons-nous faire un pas au delà ? Nous tombons dans un abîme de ténèbres et, dans cet abîme, nous avons encore la folle témérité de disputer si cette âme, dont nous n’avons pas la moindre idée, est faite avant nous ou avec nous, si elle est périssable ou immortelle ! »

Un peu plus loin, toujours dans son dictionnaire philosophique, au mot « Âme », Voltaire ajoute : « il faut que je l’avoue : lorsque j’ai examiné l’infaillible Aristote, le docteur évangélique ; le divin Platon, j’ai pris toutes ces épithètes pour des sobriquets. Je n’ai vu, dans tous les philosophes qui ont parlé de l’âme humaine, que des aveugles pleins de témérité et de babil, qui s’efforcent de persuader qu’ils ont une vue d’aigle, et d’autres, curieux et fous, qui les croient sur parole et s’imaginent enfin de voir quelque chose.

« Je ne craindrai point de mettre au rang de ces maîtres d’erreurs Descartes et Malebranche. Le premier nous assure que l’âme de l’homme est une substance dont l’essence est de penser, qui pense toujours et qui s’occupe, dans le ventre de la mère, de belles idées métaphysiques et de beaux axiomes généraux qu’elle oublie ensuite.

« Pour le père Malebranche, il est bien persuadé que nous voyons tout en Dieu ; il a trouvé des partisans, parce que les fables les plus hardies sont celles qui sont le mieux reçues de la faible imagination des hommes. Plusieurs philosophes ont donc fait le roman de l’âme ; enfin, c’est un sage qui en a écrit modestement l’histoire. Je vais faire l’abrégé de cette histoire,