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Les maisons de Clermont pour les filles et de Gaillon et Eysses pour les garçons, ont un règlement plus rigide, car elles sont des colonies correctionnelles destinées à recevoir les « incorrigibles » des autres maisons.

Ces établissements dépendent du ministère de la Justice et sont administrés tout à fait comme les prisons : à la tête de chacun, sont : un directeur, un gardien-chef, deux ou trois premiers gardiens et un contrôleur du ministère, chargé « en principe » de veiller aux intérêts des colons ― mais en réalité qui joue uniquement, comme, du reste, dans les prisons, le rôle de sous-directeur.

En plus des gardiens ordinaires, le Gouvernement adjoint encore un détachement de soldats dont le nombre va de vingt jusqu’à cent vingt (comme à Clermont et à Eysses).

Il doit y avoir en outre, un instituteur, mais dans certaines maisons cela a été jugé superflu et c’est un gardien qui remplit cet office.

Le règlement est très sévère et identique à celui des Maisons Centrales d’adultes. Une discipline des plus féroces doit régner et les enfants sont à la merci des gardiens.

Chaque manquement au règlement équivaut à une punition qui s’aggrave chaque fois. Les colons délinquants sont amenés au « Prétoire », audience que donne le directeur aux gardiens qui ont à se plaindre ou à signaler des contraventions au règlement.

Le gosse comparaît devant le directeur ― ou, à son défaut, le gardien-chef ― et ne peut fournir aucune explication. Sitôt que le gardien s’est expliqué, le gosse s’entend condamner à l’une des sanctions prévues par le règlement. Ces sanctions sont ainsi échelonnées :

Pain sec ; allant de quatre à quinze jours (qui peut être renouvelée incessamment) ; pendant tout le temps de sa punition le gosse reçoit chaque jour une ration de pain, et tous les quatre jours une gamelle de bouillon le matin et une gamelle de légumes le soir ;

Cachot ; de huit jours à un mois (en principe, pour toute peine de cachot dépassant un mois, le directeur doit se faire approuver par le ministère, mais on a trouvé le moyen de tourner la difficulté : quand le gosse a fini sa peine d’un mois, on le fait de nouveau comparaître au prétoire où il se voit renouveler sa punition) ― même régime alimentaire que le pain sec, avec, en plus, la détention dans un cachot sans air et sans lumière ;

Salle de discipline ; de huit jours à un mois et demi. Un des plus terribles supplices que l’on puisse endurer.

La « salle » est une pièce d’à peu près quinze mètres de long sur trois de large. Au milieu est tracée une piste circulaire de 0 m. 40 de largeur. Les gosses doivent marcher sur cette piste au pas cadencé de six heures du matin à huit heures du soir (un quart d’heure de marche alternant avec un quart d’heure de repos) ; les pieds nus dans des sabots sans bride et non appropriés à la pointure (ce qui fait que les punis ont les pieds en sang au bout de la journée). Ils doivent marcher les bras croisés sur la poitrine et touchant le dos de celui qui les précède.

Inutile d’ajouter que tous, indistinctement, sortent de la « salle » pour aller à l’infirmerie.

Mais si le gosse tombe malade avant l’expiration de sa punition, il doit, en sortant de l’infirmerie, retourner à la « salle » pour accomplir la fin de sa peine.

Les fers ; allant de 4 jours à un mois. C’est la peine du cachot avec cette aggravation que le gosse a les pieds enfermés dans des pedottes et les mains dans des menottes. Quelquefois, même, on applique la crapaudine, c’est-à-dire que l’on attache les mains et les pieds derrière le dos et que l’on fait rejoindre l’extrémité de

ses membres par une corde solidement serrée. L’enfant doit boire, manger et même faire ses besoins dans cette position. Ce qui fait qu’au bout de deux ou trois jours le gosse, mis dans l’impossibilité de se dévêtir, fait ses besoins dans son pantalon et reste dans ses excréments jusqu’à l’expiration de sa punition.

Enfin, à la colonie d’Eysses, on a ajouté à cela la basse fosse. Cet établissement est un ancien couvent de dominicains et il y a (à titre historique, dit-on) une ancienne oubliette dans laquelle les bons pères devaient plonger les moines hétérodoxes.

On envoie, maintenant, pour une période de un à quatre jours les délinquants trop « terribles ».

Attachés aux pieds et aux mains, les gosses sont descendus au bout d’une corde. L’atmosphère est nocive et, sans air, envahi par l’humidité, le malheureux risque l’asphyxie.

Tous les huit heures il est remonté au bout de la corde et examiné par un docteur qui n’a qu’un seul devoir : déterminer si le gosse peut supporter encore huit heures de supplice.

Il est arrivé que le docteur se trompe… alors à la huitième heure on remonta un cadavre !

Nourriture. ― La nourriture est à peu près la même qu’en prison ; matin : bouillon ; soir : soupe et légumes (oh ! si peu). Jeudis et dimanches une petite et très mince tranche de matière caoutchouteuse qu’on dénomme viande par euphémisme. Les gosses non punis ont du pain à volonté ― mais il y en a très peu qui profitent longtemps de cet avantage. Autrement ils ont à peu près la ration que l’on accorde dans les prisons.

Travail. ― Tout détenu est astreint au travail. Dans les colonies possédant assez de terrain, les gosses sont pour la plupart employés aux travaux agricoles.

Dans les autres et dans les maisons de filles, ils sont alors, comme dans presque toutes les prisons, exploités d’une manière féroce.

Des « entrepreneurs » du dehors ont obtenu la concession des travaux. Les gosses fabriquent un peu de tout pour le bénéfice du concessionnaire. Ils sont alors sous la surveillance non seulement de leurs gardiens mais encore d’un contremaître civil n’appartenant pas à l’administration et salarié par l’entrepreneur pour « diriger » la production.

Comme de bien entendu, les gosses ne touchent pas un sou de leur labeur ― sauf de rares exceptions ― et ils sont « tâchés » ; c’est-à-dire qu’ils doivent accomplir une quantité déterminée de travail. La « tâche » n’est pas conditionnée à la capacité productrice de chaque gosse ― elle est déterminée arbitrairement par le directeur.

Si le colon est malhabile ou malade et qu’il ne fasse pas la production déterminée, il est alors conduit au prétoire et se voit appliquer pour « défaut de tâche » les mêmes punitions, énumérées plus haut, que pour les infractions au règlement.

Comme on peut s’en rendre compte par la description ci-dessus, les enfants sont traités aussi durement (quelquefois davantage) que les adultes.

Des faits scandaleux se sont produits, des gosses ont été torturés et même assassinés dans ces maisons ― des enquêtes furent faites depuis 1905 par des hommes de différentes tendances et toutes ont dévoilé des faits horrifiants. Mais nous ne les relèverons pas en cette étude. Notre but étant d’étudier l’institution et non les faits ; d’autre part nous ne voulons donner nulle place au sentiment ― ce qui ne serait pourtant pas hors de propos.

Il y a d’autres sortes de maisons de correction :

Les maisons de préservation, les patronages de l’enfance, les œuvres de relèvement moral et les patronages religieux.